Interview de Théo Grosjean, à l’occasion de la sortie du tome 1 d’Elliot au collège

Théo Grosjean, qui se définit comme l’homme le plus flippé du monde, vient de publier chez Dupuis “Elliot au collège”. Une BD qui retrace quelques moments quasi-autobiographiques du collégien le plus stressé du monde.

Photo de Théo Grosjean
© Dupuis

Les Amis de Spirou : Théo, on lit partout que vous êtes l’homme le plus flippé du monde. Qu’est-ce que cela fait d’être, cette semaine, en couverture du Journal de Spirou (n°4422, du 11 janvier 2023) à l’occasion de la sortie de votre album ?

Théo Grosjean : Bon, ça va. Je commence à avoir l’habitude maintenant. J’ai réalisé plusieurs couvertures depuis que j’ai commencé à dessiner pour le journal. Je m’adapte à la situation.

Les Amis de Spirou : Comment a débuté cette aventure dans le journal ?

Théo Grosjean : Morgan Di Salvia, le rédacteur en chef, suivait les aventures de ma série “L’homme le plus flippé du monde” que je publie sur mon compte Instagram. Il avait du mal à trouver de jeunes auteur·e·s qui travaillent dans la tradition franco-belge, c’est-à-dire de la “planche à chute”. Une page est égale à un gag.

Crayonné d'une planche
© Elliot au collège – Théo Grosjean – Dupuis

Les Amis de Spirou : C’est un format que vous appréciez particulièrement ?

Théo Grosjean : Oui, plus jeune, je lisais beaucoup de BD franco-belge avec ce format. Cela a influencé mon travail. Donc, la proposition de Morgan Di Salvia correspondait à ce que je faisais, il y avait une certaine logique.

Les Amis de Spirou : Et concernant l’idée de la série “Elliot au collège” ?

Théo Grosjean : Au départ, je voulais écrire un “avant” “L’homme le plus flippé du monde”. Finalement, j’ai décidé d’en faire une fiction car j’avais envie de travailler avec des personnages fictionnels à la manière de Titeuf ou des Nombril que j’aime beaucoup.

Une planche noir et blanc
© Elliot au collège – Théo Grosjean – Dupuis

Les Amis de Spirou : Mais est-ce vraiment de la fiction ? On sent du vécu dans Elliot au collège…

Théo Grosjean : Ça reste de l’auto-fiction dans le sens où je m’inspire de souvenirs d’adolescences réels. Toutefois, Elliot évolue dans une époque plus contemporaine que la mienne. J’ai été un collégien très stressé, ces souvenirs remontent à la surface et nourrissent Elliot au collège.

Les Amis de Spirou : Vous n’avez pas pris d’inspiration chez les copains ?

Théo Grosjean : Non. Je ne pense pas. J’ai vraiment axé sur mes propres souvenirs de manière à être proche de ma réalité, d’événements que je connais.

Les Amis de Spirou : Est-ce difficile de se raconter à travers ses peurs ?

Théo Grosjean : Pour moi, pas tant que ça. Je ne suis pas très pudique avec mes émotions. Cela fait même souvent du bien d’en parler, car ce sont souvent des situations un peu ridicules qui font de bonnes anecdotes. Je gravite aussi dans un milieu où ce n’est pas tabou, ça aide.

Crayonné d'une planche
© Elliot au collège – Théo Grosjean – Dupuis

Les Amis de Spirou : Comment êtes-vous parvenu à visualiser l’angoisse ?

Théo Grosjean : Je cherchais un moyen d’aborder les émotions des adolescents et des enfants sans que cela soit trop frontal. Je ne voulais pas que cela soit trop évident, en utilisant par exemple un cartouche ou des bulles de pensées.

Les Amis de Spirou : L’idée fut-elle facile à trouver ?

Théo Grosjean : C’est venu assez naturellement. Dans les BD jeunesse, on retrouve souvent le principe de la mascotte, c’est très attractif. Pour l’anxiété d’Elliot, j’ai rapidement pensé à une boule d’angoisse à laquelle j’ai ajouté deux gros yeux. Ma première idée fut la bonne. Il y a un côté Pokemon que j’aime bien. Ça me parle. Ça parle certainement aussi aux plus jeunes. En plus, si les enfants aiment bien la BD, ils peuvent facilement se réapproprier ce personnage, il est facile à redessiner.

Les Amis de Spirou : Cela vous permet de traiter également de sujets forts, mine de rien ?

Théo Grosjean : Oui, grâce à cela, je peux traiter de sujets sombres ou très sensibles. Le décalage le permet. Dans le tome 2, le lecteur découvrira l’angoisse de Bastien : une sorte de grosse morve qui lui coule dessus. Elle ressemble aussi à une sorte de grosse larme. C’est métaphorique, Bastien est davantage triste que stressé.

Planche en noir et blanc
© Elliot au collège – Théo Grosjean – Dupuis

Les Amis de Spirou : C’est là, que l’on se rend compte que les beaux gosses ou les “méchants” ont une certaine fragilité…

Théo Grosjean : Oui, ça m’agace lorsqu’une personne est décrite comme simplement méchante. Je ne le vois pas ainsi. Je trouve intéressant de creuser chaque personnage et les interactions entre chacun. J’aime expliquer et décrypter les attitudes des uns et des autres. Cela donne des informations sur les caractères des différents personnages.

Les Amis de Spirou : Dans la dernière séquence de l’album, Elliot est en vacances. C’est très touchant et la visualisation des angoisses aide à faire passer un message fort…

Théo Grosjean : Oui, j’étais un peu frustré de ce découpage page à page. Il oblige à rester léger. Ainsi, j’ai demandé à mon éditeur Benoît et à Morgan d’avoir leur confiance sur une histoire de 8 pages. Elle m’a été accordée. C’est un format que j’utiliserai pour chaque fin d’album. J’y raconterai des aventures où Elliot sera en vacances. Cela me permettra d’approfondir certains sujets, d’y ajouter encore davantage d’émotions.

Les Amis de Spirou : Qu’est-ce qui est le plus dur : écrire ou dessiner ?

Théo Grosjean : Le scénario, c’est parfois très dur, cela peut me prendre vraiment du temps et me stresser. Souvent,  j’améliore mes scénarios au fur et à mesure que je les dessine. Côté dessin, je n’ai pas de stress particulier. Je dessine ce que je sais faire. Parfois, je m’y reprends à plusieurs reprises, mais j’y prends beaucoup de plaisir.

Couverture du tome 1 d'Elliot au collège par Théo Grosjean
© Elliot au collège – Théo Grosjean – Dupuis

Les Amis de Spirou : Pourquoi le choix d’un lettrage avec des caractères liés ?

Théo Grosjean : J’ai toujours encré mes lettrages. Je trouve que c’est une solution qui convient mieux à mon dessin. Je la préfère à des solutions automatisées. Ensuite, vu que c’est une BD qui traite de l’adolescence, je trouve cela cohérent avec l’ambiance de l’histoire. Au collège, on travaille en écriture liée, ça  ajoute une dimension un peu fragile.

Les Amis de Spirou : L’enfance maltraitée, qui est évoquée durant les vacances d’Elliot, est un sujet qui vous préoccupe ?

Théo Grosjean : Oui, forcément. C’est un sujet qui est difficile à traiter. Il est nécessaire de trouver un juste équilibre, être ni trop léger, ni trop lourd. En passant par de petites créatures, je parviens à avoir le recul nécessaire par rapport à des situations parfois très compliquées.

Les Amis de Spirou : Et l’angoisse est-elle mauvaise conseillère ?

Théo Grosjean : Le personnage de l’angoisse a un statut équivalent à celui de Jimmy Cricket dans Pinocchio. Il donne des conseils censés faire grandir le personnage, mais au final, il augmente les angoisses d’Elliot. C’est un personnage un peu dysfonctionnel qui provoque les problèmes de notre collégien.

Première planche d'Elliot au collège par Théo Grosjean
© Elliot au collège – Théo Grosjean – Dupuis

Les Amis de Spirou : Était-ce vite évident que Elliot au collège allait être publié en album ?

Théo Grosjean : Pour moi, pas forcément. Je n’étais pas dans cette démarche, j’imaginais que je devais d’abord faire mes preuves dans le journal. En revanche, Benoît m’en a parlé assez vite. Il a ainsi proposé le projet à Dupuis.

Les Amis de Spirou : Quelle sera la suite des aventures d’Elliot ?

Théo Grosjean : La prépublication du tome 1 vient de se terminer dans le journal. On va débuter la publication de ses aventures en classe de 5e. L’esthétique du personnage va changer, il grandit. Actuellement, je travaille sur les histoires où le collégien est en 4e. J’ai beaucoup été marqué par la BD Lou de Julien Neel. Le personnage grandit, c’est un procédé rare en bande dessinée.

Les Amis de Spirou : Quelles sont les influences qui ont nourri votre style de dessin ?

Théo Grosjean : L’influence la plus évidente, c’est Lewis Trondheim. Je suis attentivement son travail depuis de longues années, depuis mon enfance. Il y a également Tifeuf ou les nombrils. De manière plus indirecte, j’ai été inspiré Marjane Satrapi et son Persepolis.

Les Amis de Spirou : Avez-vous déjà eu des retours de lecteur ?

Théo Grosjean : Oui quelques uns – Notamment via une rubrique du Journal de Spirou qui permet d’interagir avec les lecteurs. Et en séances de dédicace également, alors même que l ‘album n’était pas encore sorti. Des familles passaient me faire un petit coucou avec leurs enfants pour me parler de la série qui était publiée dans le journal.

Deuxième planche d'Elliot au collège par Théo Grosjean
© Elliot au collège – Théo Grosjean – Dupuis

Les Amis de Spirou : Vous même, étiez-vous un lecteur du Journal ?

Théo Grosjean : Pas vraiment. Je n’étais pas abonné au journal, mais je le feuilletais à la bibliothèque. J’étais assez intrigué car je n’avais jamais une vue d’ensemble des histoires puisque je lisais les numéros de manières disparates. J’avais donc une admiration assez lointaine pour le journal, je n’ai pas vraiment eu de rapport avec le journal durant mon enfance. En revanche, je m’y suis intéressé davantage durant le temps de mes études.

Les Amis de Spirou : Avez-vous pensé y être publié un jour ?

Théo Grosjean : Plusieurs fois, j’ai imaginé envoyer des planches de strips, mais je ne pensais pas arriver à la publication d’une telle série, ce n’était pas une évidence. Mais sans aucun doute, cela fait plaisir.

Propos recueillis par Bruce RENNES

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