Interview d’Alain Henriet, à l’occasion de la sortie du T4 de Black Squaw

Dans la galaxie des auteurs et des autrices des Amis de la BD, Alain Henriet est un camarade à part qui est, depuis longtemps, un soutien de notre communauté. Il était donc enfin temps de nous intéresser plus en détail à son travail, à commencer par sa dernière publication : Black Squaw.

Photo de l'interview d'Alain Henriet
Photo d’Alain Henriet.

Les Amis de la BD : Salut Alain, peux-tu revenir, pour nous, sur la genèse de Black Squaw, dit Bessie Coleman, une personnalité qui a vraiment existé?

Alain Henriet : C’est assez simple. À l’époque, je travaillais avec Yann sur le tome 3 de Dent d’Ours. Il m’annonce qu’il avait un nouveau projet pour moi, un truc qui avait l’air très bien. Je lui réponds que je suis intéressé, mais pas dans l’immédiat. Je souhaitais terminer la série en cours.

Les Amis de la BD : Donc tu termines Dents d’Ours, puis tu attaques avec Black Squaw… Était-ce une histoire facile à vendre à l’éditeur ?

Alain Henriet : En réalité, ce n’est pas l’éditeur qui a accepté la série. C’est plutôt le directeur général de l’époque.

Couverture du tome 4 de Black Squaw, dont nous parlons dans l'interview d'Alain Henriet.
Couverture du tome 4 de Black Squaw, sortie en janvier 2024, dont nous parlons dans l’interview d’Alain Henriet. © Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Les Amis de la BD : Connaissais-tu Bessie Coleman ?

Alain Henriet : Je ne connaissais rien du tout de cet univers. Yann, de son côté, voulait depuis très longtemps raconter cette histoire, mais il ne savait pas comment l’aborder. C’est quand il a découvert que le frère de Bessie était le cuistot d’Al Capone que tout a commencé à s’enchaîner.

Les Amis de la BD : Ce lien inattendu était une source d’inspiration…

Alain Henriet : Oui, pour Yann, c’était trop beau comme ficelle. Il y avait matière à créer ce lien entre Bessie et Al Capone. Dans l’histoire de Coleman, il y a des zones d’ombre. Il est donc bien possible qu’ils se soient vraiment rencontrés.

Dessin de Black Squaw par Alain Henriet
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Les Amis de la BD : De quelle manière a-tu abordé le dessin, notamment pour représenter l’héroïne ?

Alain Henriet : Je ne dessine jamais les gens tel quel. De Bessie, tu trouves 3 ou 4 photos existantes. Mais, je trouve ça très ennuyeux de partir de la réalité. Donc, je fouille. Je recherche des filles avec le même profil, métisse afro-américaine et indienne, déjà pour que l’histoire tienne. Puis, je compose mon propre personnage, avec ses propres aptitudes et attitude.

Les Amis de la BD : Et pour Al Capone, qui est un personnage beaucoup plus connu ?

Alain Henriet : Pour Capone. Même principe. Initialement, Yann m’avait donné les photos d’un acteur qui avait joué le rôle de ce célèbre gangster. Donc, je suis parti de ces photos, mais je l’ai un peu typé, puis grossi. J’ai effectué la même démarche pour son frère. Je caricature mes personnages, je trouve que c’est nettement plus sympa.

Dessin de Black Squaw par Alain Henriet
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Les Amis de la BD : Comment travailles-tu avec Yann ?

Alain Henriet :Yann m’envoie le scénario par tranches. Ses scénarios sont rédigés. Toutefois, en trois-quatre mot, il est très clair dans ce que je dois dessiner. C’est vraiment très facile. Dès que j’ai le scénario en main, je prépare un découpage au propre. S’il doit y avoir une discussion entre nous, c’est lors de cette étape-là.

Scénario de Black Squaw dont nous parlons dans l'interview d'Alain Henriet
Une page de scénario dont nous parlons dans l’interview d’Alain Henriet © Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Les Amis de la BD : Et tu acceptes facilement ses retours ?

Alain Henriet : En dix bouquins, je pense qu’il m’a simplement demandé de changer un seul angle de vue. Sur Dent d’Ours. Pour moi, tant que les propositions visent à améliorer la BD, je n’ai aucun problème d’apporter ces changements.

Les Amis de la BD : Justement vous avez réalisé 6 Dent d’Ours et 4 Black Squaw ensemble, avez-vous des automatismes ?

Alain Henriet : En fait, avec Yann, c’est très facile. Mais, quel que soit le scénariste, c’est toujours plus ou moins pareil. Chacun a sa manière d’écrire. D’ailleurs, un scénariste expérimenté sait très bien, avec le temps, comment va lui revenir le boulot du dessinateur.

Dessin de Black Squaw par Alain Henriet
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Les Amis de la BD : Les premiers albums de la série ont été prépublié dans le journal de Spirou. Le tome 4 « Secret six » est en cours de publication, plus d’un mois et demi après sa sortie de l’album. Qu’est-ce que cela change ?

Alain Henriet : Pour moi, l’important, c’est que cela soit publié dans le journal. Avant ou après, c’est égal. Toutefois, je remarque que la diffusion dans le journal après la publication de l’album est un sacré avantage. Les gens découvrent l’histoire dans le journal et peuvent directement aller l’acheter en magasin. D’ailleurs, on constate une remontée dans le classement des ventes depuis que la publication dans Spirou a commencé. C’est une belle mise en lumière.

Les Amis de la BD : Comment travailles-tu, avec quelles ressources documentaires ?

Alain Henriet : Bien évidemment, il y a Internet. Mais j’ai également un ami, Michel, qui habite au Canada. Lorsque je travaille sur le découpage d’un scénario, je prépare ma liste de « course ». Lui, il parvient trouver à me trouver des trucs assez incroyables. Je l’avais rencontré au Canada à l’occasion d’une séance de dédicace. Michel est ingénieur, constructeur d’avion…

Dessin de Black Squaw par Alain Henriet
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Les Amis de la BD : Ce qui tombe à pic….

Alain Henriet : Sur le tome 6 de Dent d’Ours, il m’a même dessiné le cockpit d’un avion sur lequel je ne trouvais aucune information.  

Les Amis de la BD : En parlant d’avion, peux-tu nous parler de ta rencontre avec Yann ?

Alain Henriet : En novembre 2008, j’ai un premier contact avec lui. Il avait été désigné pour officier en tant que scénariste sur Buck Danny. Il pensait que mon dessin pouvait correspondre à l’esprit de la série. Je finissais alors ma série Damoclès. Bon, le fils de Charlier a refusé car il ne me connaissait pas. En outre, il voulait un dessinateur qui soit également pilote d’avion.

Dessin de Black Squaw par Alain Henriet
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Les Amis de la BD : Cette rencontre vous permet néanmoins de travailler ensemble sur Dent d’Ours

Alain Henriet : Oui, c’est un mal pour un bien. Finalement lorsque tu reprends une série, tu as un cahier des charges, tu dois rendre des comptes. Il y a moins de liberté. Il y a un avantage en revanche, c’est que tu peux vendre rapidement des bouquins. Mais, la série Dent d’Ours a aussi très bien fonctionné.

Les Amis de la BD : À propos de reprise, tu es intervenu dans le collectif qui a travaillé sur le tome 14 de XIII Mystery « Traquenards et Sentiments» Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Alain Henriet : Je suis arrivé dans ce projet-là car le nom de Joël Callède avec qui j’ai travaillé sur Damoclès y était associé. On m’a donc proposé un scénario qui reprenait un des personnages emblématiques de la série. Il y avait 8 pages à dessiner. J’ai essayé d’être le plus fidèle possible à l’œuvre de Vance, mais mon trait réaliste est un peu plus rond que le sien.

Dessin de XIII
© XIII – Alain Henriet – Dargaud

Les Amis de la BD : Était-ce un travail compliqué ?

Alain Henriet : J’ai une petite anecdote à ce sujet. Les 8 pages de l’histoire s’étalent sur 25 années. C’était donc un sacré défi. Il y avait des recherches à faire sur les voitures ou encore sur la mode vestimentaire des différentes époques. La fille change de tenue à chaque séquence. Autre défi, les deux dernières planches que j’ai dessinées devaient être exactement les deux mêmes que deux planches qui figurent dans le tome 3 de la série XIII. C’était une volonté de Van Hamme.

Dessin de XIII
© XIII – Alain Henriet – Dargaud

Les Amis de la BD : On peut donc jouer au jeu des sept différences ?

Alain Henriet : Oui, je n’ai presque rien changé. Il y a notamment une case où mon plan est plus éloigné que celui de Vance. Au lecteur de s’amuser avec cela. C’était finalement, ça le plus drôle de l’exercice : être le plus fidèle possible, tout en y apportant des modifications très subtiles mais qui, à mon sens, étaient pertinentes.

Dessin de XIII par Alain Henriet
© XIII – Alain Henriet – Dargaud

Les Amis de la BD : Quel est ton prochain projet ?

Alain Henriet : Avec Pierre Dubois, je travaille sur un western à paraître au Lombard. C’est un one-shot d’une centaine de pages.

Dessin du western d'Alain Henriet et Pierre Dubois
© Alain Henriet et Pierre Dubois – Le Lombard

Les Amis de la BD : Après Dent d’Ours, puis Black Squaw, tu remontes donc encore un petit peu plus dans le temps, alors ?

Alain Henriet : Entre Golden Cup et mes séries plus récentes, cela fait 20 ans que je dessine des véhicules en tout genre. Donc maintenant, donnez-moi de la nature, des grands espaces, des animaux et des cailloux, c’est parfait comme ça !

Les Amis de la BD : Il y a a qui partent dans la nature pour respirer, toi c’est avec le dessin…

Alain Henriet : Oui, c’est une véritable grande respiration. D’autant que Pierre me fournit un scénario digne d’un roman. Alors, je découpe l’ensemble comme j’en ai envie. C’est un projet sur lequel je me fais plaisir. Si je souhaite dessiner de belles doubles pages, alors je fonce ! Effectivement quand tu n’es pas bien, tu files te promener dans les bois. Moi là, je dessine de grands espaces !

Dessin du western d'Alain Henriet et Pierre Dubois
© Alain Henriet et Pierre Dubois – Le Lombard

Les Amis de la BD : Le travail de documentation est-il différent ?

Alain Henriet : La documentation je la trouve très simplement sur Internet où dans des livres.

Les Amis de la BD : Si on observe bien ton travail, on remarque une influence cinématographique. Tes BD se regardent comme des films

Alain Henriet : Je regarde des films en dessinant. Parfois, j’ai du mal à bosser lorsque le film est prenant comme Les Sept mercenaires ou dans Danse avec les Loups lorsque les sioux parlent dans leur langue. Je dois regarder l’écran.

Quand j’étais gamin, je voulais être réalisateur. Mes parents m’avaient acheté une caméra. Puis la BD a pointé le bout de son nez et toutes mes envies sont passées dans le dessin. Mais, pour en revenir au cinéma. Quand tu lis un scénario, tu as des images qui s’imposent tout de suite. Je fais rapidement un crayonné au brouillon que je corrige ensuite. Est-ce que tu connais la règle du 180° au cinéma ?

Dessin de XIII par Alain Henriet
© XIII – Alain Henriet – Dargaud

Les Amis de la BD : Non…

Alain Henriet : C’est une règle que j’ai découvert dans un Tuniques Bleues spécial crayonné. Ca part donc de Lambil, même pas du cinéma. Mais, c’est un langage cinématographique. En gros, quand tu regardes un film, si un personnage est à gauche et l’autre à droite, quelque soit l’angle de vue, en passant de l’un à l’autre, le placement doit être le même. C’est un truc que je fais instinctivement quand je fais de la BD, ça fluidifie la lecture… À une différence près, c’est que tu dois encore placer les bulles.

Les Amis de la BD : Bien souvent, on se rend bien compte du travail du dessin, mais pas forcément de ce travail de mise en scène, et c’est pourtant ce genre de détail qui fait la différence au moment de la lecture.

Alain Henriet : On peut aimer ou ne pas aimer un dessin. Mais c’est vrai que la mise en place d’un dessin est importante. C’est ça qui permet aux lecteurs d’être happé par le truc, sans même vraiment savoir pourquoi. Dans de vieilles BD, tu avais souvent une flèche qui indiquait au lecteur comment passer d’une case à une autre. Lorsque tu utilises cette astuce, c’est qu’il y un problème de lecture.

Les Amis de la BD : Quand sortira ce western ?

Alain Henriet : C’est prévu pour 2025. On aura le temps d’en reparler !

Interview d’Alain Henriet recueillis par Bruce RENNES

En supplément de l’interview d’Alain Henriet, vous pouvez lire notre chronique du tome 4 de Black Squaw.

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