Interview de Cy., dessinatrice de Ana et l’Entremonde

Qui aura eu l’aubaine de rencontrer Cy. à l’occasion d’une séance de dédicace aura eu l’occasion d’apprécier sa personnalité pétillante et sa curiosité profonde à connaître en détail la vie de ses lecteurs ou de ses lectrices. Elle se livre avec une grande franchise au cours de cet entretien pour Les Amis de la BD.

Photo de Cy.
Photo de Cy. © Lisa Miquet

Les Amis de la BD : Quel est le parcours qui t’a mené à la bande dessinée ?

Cy. : J’ai toujours dessiné. J’appartiens à cette catégorie d’enfants qui n’ont jamais arrêté de dessiner. Dans les années 2000, je tenais un blog BD, une pratique en vogue alors. J’y dessinais ma vie bien qu’elle n’était pas super intéressante. C’était un passe-temps. Mon premier métier est graphiste et directrice artistique. Je réalisais des chroniques dessinées pour le site

Les Amis de la BD : Est-ce que le succès de cette publication t’a ouvert les portes des autres maisons d’édition ?

Cy. : Le vrai sexe de la vraie vie à eu un succès de lecteur/lectrice… Les autres maisons d’édition ne me connaissaient pas. Mon arrivée chez Glénat est plutôt liée à un alignement des planètes, à être là au bon moment et au bon endroit.

Croquis interview de Cy
© Cy.

Les Amis de la BD : C’est-à-dire ?

Cy. : J’ai rencontré mon futur éditeur chez Glénat lors du Salon du livre de Francfort. Sa compagne connaissait mon travail. De mon côté. J’avais déjà les prémices de Radium Girls en tête. J’ai monté un dossier et le projet a été accepté chez Glénat. Et, ça a très bien marché.

Les Amis de la BD : ce qui t’a ensuite mené à Ana et l’Entremonde

Cy. : Après le succès de Radium Girls, Glénat était dans l’attente d’un nouveau projet. J’avais quelque chose en tête, mais qui était bien trop proche de ce que j’avais déjà réalisé. Un jour, Marc Dubuisson qui est un ami, me demande de relire un scénario « mais pas pour que tu le dessines », m’avait-il précisé. Il se trouve que j’aime aimé l’histoire et que finalement, nous nous sommes lancés ensemble sur ce projet d’Ana et l’Entremonde.

Croquis interview de Cy
© Cy.

Les Amis de la BD : Le scénario était-il proche de la version que nous connaissons ?

Cy : Marc a du réviser sa copie car je voulais une histoire complète en plusieurs albums. Je voulais vraiment une épopée qui nous permette de creuser nos personnages. Ensuite, nous avons monté le dossier et Glénat a suivi.

Les Amis de la BD : Comment se déroulent les différentes étapes de ta collaboration avec Marc ?

Cy : Tout d’abord Marc me fait valider le scénario. Une petite partie de ping-pong se met alors en place. Ensemble, nous nous sommes mis d’accord sur le tronc central de l’histoire. Il y a 4 tomes de prévu, nous savons où nous allons. En cours d’écriture, parfois, je lui demande de pousser davantage un élément du scénario ou alors d’en réduire un autre.

Croquis interview de Cy
© Cy.

Les Amis de la BD : comme par exemple ?

Cy : Il y a plein de choses ou de messages que je peux faire passer à travers le dessin sans qu’il n’y ait besoin de le dire. C’est la méthode « Show don’t tell ». C’est mon rôle que le texte du scénariste infuse vraiment dans l’image. En une seule case, je peux faire passer différentes émotions qui sont décrites en plusieurs lignes dans le scénario.

Les Amis de la BD : Qui se charge du découpage ?

Cy : Marc réalise un premier découpage en planche que je respecte… ou non. Puis, moi je travaille le découpage en case, c’est vraiment ce que je préfère car c’est ce qui donne le rythme de l’album. Puis, je passe par les étapes de croquis, puis du dessin et de la retouche. C’est un an et demi de boulot…

Croquis interview de Cy
© Cy.

Les Amis de la BD : À quel moment Marc intervient-il sur tes planches ?

Cy : Lui intervient majoritairement sur la partie croquis. Comme c’est une étape que je réalise en numérique, il peut donner son avis sur le cadrage ou l’expression d’un personnage, m’indiquer s’il trouve des problèmes de lisibilité. Dès que je passe en traditionnel, je ne suis plus autant flexible. Ainsi, c’est vraiment très important de s’entendre dès l’étape des croquis. Cela étant, il n’est pas interdit de me faire une remarque sur la partie traditionnelle, mais cela doit vraiment être très bien argumenté (elle rigole) ! Mais sur l’ensemble des deux tomes publiés, je pense que j’ai dû refaire au maximum deux planches.

Les Amis de la BD : Cela représente quel tempo environ pour chaque étape ?

Cy : En gros le croquis c’est environ 4 mois de boulot contre 6 mois pour l’étape traditionnelle.

Croquis interview de Cy
© Cy.

Les Amis de la BD : Marc relit tes planches au fur et à mesure ou par groupe ?

Cy : On fonctionne par salve. Souvent, je lui mets à disposition sur un serveur un groupe de 30 planches qu’il peut annoter quand il veut. Lorsque je lui demande, il me met à disposition l’ensemble de ses notes. Comme cela, j’ai un retour global sur les planches dessinées.

Les Amis de la BD : Comment as-tu travaillé graphiquement tes personnages ?

Cy : Marc est un scénariste peu directif. Il me donne une idée générale. Comme il veut travailler avec ma vision des choses, je suis assez libre. Mais au cours du processus créatif, on se nourrit l’un l’autre de nos différentes envies. Pour Ana, le premier croquis était le bon. Marc m’a décrit une jeune fille orpheline qui travaille comme manutentionnaire, qui n’a pas le temps de se coiffer ou de penser à son look. Pour Melvin, ce fut une discussion. Au départ, je l’ai dessiné fin et élancé. Marc m’a demandé de le tasser. Le plus long à dessiner, c’était Sacha puisque c’est un personnage transparent. Marc et moi n’avions pas les mêmes références. Travailler avec un scénariste, c’est vraiment embrasser les références de l’autre.

4e de couverture
© Cy.

Les Amis de la BD : Quel est ton état d’esprit lorsque tu dessines, as-tu des rituels ?

Cy : La bande dessinée, c’est mon métier. Donc, je l’aborde vraiment comme un job, sans rituel. Je travaille huit heures par jour avec une pause le midi. Parfois, il y a des jours où j’ai la flemme, mais comme c’est mon métier… Eh bien il faut faire tomber les planches comme n’importe quel travailleur qui doit être productif. La vision de mon métier est très pragmatique, je ne me laisse pas berner par cette ritournelle « Votre passion, c’est votre métier ».

Les Amis de la BD : Et donc… est-ce que tu te fixes des objectifs ?

Cy : Durant l’étape des croquis, je tâche de réaliser deux à trois planches par jour. Pour la partie en dessin traditionnel, c’est une planche par jour. La bande dessinée, c’est vraiment un marathon sur du long terme. Il est important de savoir manager son temps en évitant d’y perdre des plumes.

Planche storyboard
© Cy.

Les Amis de la BD : Tu partages régulièrement ton travail sur les réseaux sociaux ? Est-ce que cela simplifie ton contact avec tes lectrices et tes lecteurs ?

Cy : Surtout, cela renforce ce contact. Il faut être à l’aise avec ça. Cette relation fait partie de mon travail. En plus, j’aime beaucoup partager, mais je ne montre pas tout. Je sais très bien où mon intimité s’arrête et ce que je ne dois pas dépasser. Dévoiler une partie de mon travail fonctionne comme un allié. Cela montre que le processus est long et mon lectorat se rend compte qu’il y a de nombreuses étapes dans la conception d’une bande dessinée.

Planche storyboard
© Cy.

Les Amis de la BD : C’est une manière de montrer que ce n’est pas simplement un produit de consommation comme un autre, du type on lit et on oublie, non ?

Cy : On doit naviguer entre différents objectifs. La BD, c’est un processus très long. Les maisons d’édition ont des délais et dans la littérature jeunesse, nos lecteurs et nos lectrices grandissent vite, avec des centres d’’intérêt qui évoluent. Il est important de ne pas les faire attendre trop longtemps entre deux albums.

Les Amis de la BD : Est-ce rassurant pour toi de savoir qu’il n’y aura « que » quatre tomes à Ana et l’Entremonde ?

Cy : Au départ, ce qui m’intéressait, c’est vraiment d’avoir une histoire au long cours. C’est vrai que c’est rassurant de savoir qu’il y a 4 volumes et qu’ensuite c’est fini, que je peux partir sur un autre projet. Mon pragmatisme a besoin de ces limites.

Croquis
© Cy.

Les Amis de la BD : Ta présence sur Instagram est aussi un moyen d’avoir un retour rapide de ton lectorat ?

Cy : On ne va pas se le cacher. On est boosté à l’égo. Les commentaires positifs, les gens qui t’encouragent, c’est tout autant d’essence dans le moteur pour tenir le marathon. Cela nous permet de durer.

Les Amis de la BD : Est-ce que cela remplace les retours de lectrices et lecteurs en festival ?

Cy : Non, ça ne remplace pas les séances des dédicaces, sinon on aurait arrêté. Notre job, c’est aussi de rencontrer nos lecteurs et nos lectrices. L’interaction sociale, la richesse des rencontres, c’est important.

Croquis
© Cy.

Les Amis de la BD : Et pour l’avoir constaté en direct, avec Marc, vous vous intéressez à la vie de votre lectorat, c’est assez impressionnant…

Cy : Nos lecteurs et nos lectrices nous connaissent généralement… Alors que nous, eh bien on ne les connaît pas. En discutant avec les gens, on se rend compte qu’ils ont plein de trucs à raconter. Avec Marc, on est vraiment de grosses pipelettes. On ne veut pas simplement faire acte de présence. On comprend ce que c’est d’être de l’autre côté. Alors, on s’intéresse à la vie de nos lecteurs et de nos lectrices. On prend vraiment du temps pour chacune et chacun.

Les Amis de la BD : Avec des anecdotes particulières ?

Cy : Il y a cette petite fille qui te raconte que c’est la première BD qu’elle achète avec son argent de poche ou ce couple dont la femme était enceinte avec qui ont discutait. Et à un moment, nous nous sommes rendu compte que c’est la première fois qu’ils révélaient à quelqu’un le nom du bébé qui allait naître. C’était super émouvant !

Couvertures Ana et l'Entremonde
Les couvertures des deux tomes d’Ana et l’Entremonde © Ana et l’Entremonde – Cy. et Marc Dubuisson – Glénat

Interview de Cy. recueillis par Bruce RENNES

Vous pouvez discuter de l’interview de Cy. sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.

En plus de l’interview de Cy. vous pouvez lire notre chronique du tome 2 de la série Ana et l’Entremonde.