Interview de Batem, dessinateur du Marsupilami

Lors du festival BD au Château, à Aigle, en Suisse, Batem était un auteur très demandé. Un hachis parmentier rapidement avalé et c’est parti pour un entretien avec Les Amis de la Bande dessinée avant de retourner à la rencontre de ses lecteurs et lectrices.

Photo pendant l'interview de Batem
Photo de l’interview de Batem © Les Amis de la BD

Les Amis de la BD : Bonjour Batem, depuis plus de 35 ans, vous avez en main la destinée du Marsupilami. Vous avez travaillé avec différents scénaristes. Pouvez-vous nous raconter ce que chacun d’eux a apporté à cet univers ?

Batem : Eh bien d’abord, il y a Greg qui a apporté une forme de crédibilité au Marsupilami. Déjà Greg, ce n’est pas n’importe qui. Il s’est retiré après deux albums, car je pense qu’il n’a jamais vraiment bien senti le Marsupilami. Il l’avait même avoué lors d’une interview à Numa Sadoul. Le Marsupilami l’encombrait un peu et je crois savoir pourquoi. Greg était un dialoguiste… et le Marsupilami ne parle pas.

Les Amis de la BD : Il y a ensuite Yann…

Batem : Tout bêtement, Yann a amené le Marsu Noir, puis peut-être une dimension un peu plus adulte et une lecture plus second degré. Ensuite Éric Adam et Xavier Fauche ont apporté, à mon sens, une dimension un peu plus classique. À la demande de l’éditeur, nous avons fait deux albums avec à chaque fois deux histoires. C’était une idée pour tenter de créer la recette du succès. Mais cette recette-là n’existe pas.

Dugomier a démarré dans l’aventure par deux albums de gags pour lesquelles je n’étais pas très chaud. C’était une idée de l’éditeur qui s’imaginait qu’avec des gags, il y aurait davantage de facilité pour replacer le Marsu dans les journaux. Ca n’a pas vraiment porté ses fruits.

Les Amis de la BD : Avec ce concept, le Marsu s’écartait d’un univers d’aventure…

Batem : Oui, évidemment. Déjà, retirer le Marsupilami de ses aventures au cœur de la Palombie, qui est son milieu naturel, pour le ramener dans un cirque, c’était un peu particulier. Surtout que depuis l’univers du cirque a évolué.

Les Amis de la BD : Effectivement de nos jours, on retire plutôt les animaux sauvages des cirques…

Batem : Vraiment… Mais, le Marsu avait toujours son petit regard, sa petite touche écolo et protecteur des animaux. Un des deux albums de gags avait été pré-publié dans le journal de Mickey et je pense que ça s’arrête là. Moi, j’aurais aimé que ces deux albums ne s’inscrivent pas dans la série principale, mais plutôt en hors-série. À nouveau l’éditeur, les commerciaux, diffuseurs, distributeurs, n’ont pas les mêmes considérations pour des raisons plus triviales qui me dépassent.

Les Amis de la BD : Nous sommes loin de la démarche artistique, on est davantage dans une approche commerciale…

Batem : Ce sont des trucs qui me passent par-dessus la tête. Mais, je dois préciser que Dugomier s’en est très bien sorti. Il a pondu près de 90 gags avec un Marsupilami qui je le rappelle, ne parle pas et ne pense pas au contraire d’un Milou, d’un Spip ou Jolly Jumper. Ces derniers pensent et sont donc en connexion directe avec le lecteur. Ce n’est pas le cas du Marsu.

Les Amis de la BD : Les lecteurs ne sont aidés que par les éléments narratifs…

Batem : Il faut penser que le Marsu, et ça Franquin y tenait particulièrement, est un animal. Il ne se lève pas le matin en se disant : « En route pour une nouvelles aventures, que vais-je faire aujourd’hui ? ». Le Marsu, il subit les situations… puis il réagit. En gros, il veut bouffer et s’amuser. Puis évidemment protéger sa famille et son biotope. Dugomier a scénarisé plusieurs albums d’aventures avec lesquels je me suis bien amusé. En particulier Robinson Academy dont le scénario était très très bon.

© Marsupilami – Batem et Colman –  Dupuis

Les Amis de la BD : vous avez également scénarisé…

Batem : Oui j’ai scénarisé un album et demi. Le premier était lié au dessin animé. Mais un épisode de 26 minutes ne prenait que 14 pages. C’était donc compliqué. Avec Jean-Michel Bourcquardez et Olivier Saive, en soutien, nous sommes revenus à une aventure plus traditionnelle à la  Indiana Jones. La base était de nouveau un dessin animé, mais qui a dû être terriblement développée pour les raisons évoquées.

J’avais aussi eu une idée. Je voulais faire neiger sur la Palombie mais je ne savais pas comment m’en sortir d’autant plus que Franquin tenait à ce côté un peu réaliste, il ne voulait pas trop de délires absolus.

Les Amis de la BD : Y avait-il un cahier des charges de la part de Franquin ?

Batem : Non, c’était plutôt un accord tacite, rien n’était écrit, voilà. Il y avait donc une forme d’auto-censure, mais je voulais quand même être le plus fidèle, le plus proche possible de l’état d’esprit de Franquin. Contractuellement, j’ai signé un document dans lequel un article précisait que je devais m’engager à respecter l’univers graphique, pas le reste.

Les Amis de la BD : Donc, Stéphane Colman est arrivé dans l’aventure.

Batem : À l’époque, je travaillais en atelier avec Stéphane. Je connaissais son travail de dessinateur, bien évidemment hors pair. Je connaissais un peu moins son travail de scénariste. Il me disait « tu sais que je peux scénariser… »  Du coup, je lui ai filé la patate chaude de mon histoire de neige sur la Palombie et donc, il nous a pondu Magie Blanche. Grâce à ça, la série a franchi un cap que je n’aurais jamais osé franchir tout seul. 

Les Amis de la BD : C’est-à-dire ?

Batem : Il a amené une forme de chamanisme, le côté un peu magique. Il neige sur la Palombie par le biais de la sorcellerie. Je ne sais pas ce qu’en aurait dit Franquin, puis j’ai pensé qu’André était un monsieur tellement intelligent qu’il aurait rapidement compris que cela servirait à faire évoluer la série. On évite ainsi de tourner en rond.

Les Amis de la BD : Chaque scénariste est aussi venu avec ses propres personnages ?

Batem : Oui, chaque scénariste a apporté de nouveaux personnages, récurrents ou pas d’ailleurs. Certains sont restés, d’autres repartis aussitôt. C’est comme ça que ce chamane est resté. C’est comme ça que nos protagonistes ont voyagé dans le temps. Là aussi, je me demandais si Franquin aurait compris la démarche. Mais, je suis content, ça a permis de rebondir et de nous renouveler.

Les Amis de la BD : Cela a aussi permis aussi d’étoffer la série

Batem : Vraiment oui. De nouveaux personnages sont arrivés. Mais pas toujours du fait de Colman. Il y a de nouveau une intervention de l’éditeur qui incite à créer de nouveaux personnages pour alimenter les nouvelles saisons du dessin animé. C’est comme ça que sont arrivés Hector et la tante Diane. 

Les Amis de la BD : Ce qui relie la série à des thèmes très contemporains…

Batem : Voilà, c’est sûr. Après Magie Blanche, Stéphane amène toujours des clins d’œil évident. Par exemple à l’exode, lorsque tous les animaux doivent se déplacer. Il y a des thèmes très contemporains, mais quand on s’adresse à un grand public, il est impératif de faire attention à ce qu’on raconte. C’est toutefois l’occasion rêvée, de faire passer un petit message, mais sans se prendre au sérieux. Puis, nous nous sommes mis à travailler avec le WWF et nous avons été les premiers à imprimer nos albums sur du papier FSC. Il avait une vraie cohérence.

Les Amis de la BD : Vos différents scénaristes ont-ils une manière différente de travailler ?

Batem : Bon évidemment, le premier scénariste c’est Greg, alors c’est dactylographié. Avec un code très simple : une première colonne qui détermine la surface qu’occupe la case, la seconde colonne comporte un descriptif de ce que comporte la case et une troisième avec les textes et les dialogues. Yann, comme Dugo et Stéphane, plutôt que de faire du blabla, dessinaient des petits croquis à la manière de Cauvin, mais de manière plus précise. Yann qui est dessinateur apportait déjà beaucoup de précision dans l’attitude et les mouvements. Mais à l’époque avec Franquin, on revisitait joyeusement tout ça.

Puis Stéphane Colman est aussi dessinateur. Il y a eu des moments où je devais lui taper sur la main… Puis, j’ai compris qu’il devait prendre son plaisir et je le laissais faire. De toute manière, après je refais ce que je veux derrière.

Les Amis de la BD : Comment  se déroulent les moments d’échanges ?

Batem : C’est un travail d’étroite collaboration, même si Stéphane m’a fourni des scénarios « clés sur porte ». Au départ, il a une idée, il m’en parle. Je réagis. En fonction de mes réactions, il réécrit l’histoire. Il y a des choses dont je ne veux pas entendre parler, mais très rapidement, nous sommes sur la même longueur d’onde.

Les Amis de la BD : Est-ce que l’un des vos scénaristes vous a contraint à des défis graphiques plus compliqués que d’autres ?

Batem : Non. Mais, dès qu’on sort de la jungle, cela devient difficile pour moi. Je pars du principe que tous les dessinateurs doivent savoir tout dessiner, nous ne sommes pas là pour nous plaindre. Toutefois, il est clair que lorsque le Marsu se retrouve en ville et que je dois dessiner des bagnoles ou autres machines…  Je le fais mais avec moins de plaisir et de gourmandise que lorsque je dessine la jungle et les animaux. En même temps, je viens de finir un Donald pour Glénat dans la collection « Vu par » qui se passe en ville et je dessine plein de bagnoles… Mais, ne me demandez pas de quelles marques il s’agit !

Les Amis de la BD : Comment travaillez-vous ? Avec quel matériel ?

Batem : Je travaille vraiment à l’ancienne : du crayon, du papier, de l’encre de Chine, plumes et pinceaux et voilà. Je ne suis pas encore passé de l’autre côté, vers l’offre numérique, cela ne m’intéresse pas. J’aime bien rentrer le soir chez moi avec de l’encre de Chine jusque sur le front.

Photo pendant l'interview de Batem
Photo de l’interview de Batem © Les Amis de la BD

Les Amis de la BD : Votre trait a-t-il évolué tout au long de ces années ? Est-ce qu’on le modifie pour coller à la modernité ?

Batem : Un jour, Stéphane Colman m’a fait cette réflexion qu’il fallait évoluer parce qu’on ne dessine plus comme ça. André Franquin lorsqu’il faisait Le Nid du Marsupilami, il simplifiait énormément. Mon éditeur, me disait souvent, travaille simplement, gagne du temps. Feuillette Le Nid du Marsupilami. C’est génial, c’est magnifique, mais on évolue inévitablement même si je ne cherche pas à évoluer. On s’adapte c’est tout. J’évolue parce que je lis beaucoup de bande dessinée et je suis dans l’observation perpétuelle. En revanche le scénario fait évoluer, par exemple lorsque Stéphane amène des drones dans la série. Ce qui n’existait pas avant.

Les Amis de la BD : la série s’adapte donc à l’environnement moderne…

Batem : Dans l’aventure que je suis en train de dessiner, il y a une petite fille qui a un drone, qui a du matériel technologique, qui est suréquipée, très branchée, genre avec casque, détecteur de métaux et tout le bazar.

Les Amis de la BD : Vous travaillez actuellement sur le 34 et 35e album… Est-ce que se sera la suite directe du 33 qui termine sur un gros suspens ?

Batem : Effectivement, le 34 sera la réponse à cet album-là. Et le 35 que j’ai déjà commencé est écrit par un nouveau scénariste à la demande de l’éditeur. Ce n’est pas moi qui choisi. On m’a simplement demandé si ça me gênait de travailler avec une nouvelle personne. Moi, je trouvais qu’avec Colman, nous avions fait du bon boulot ensemble.

Les Amis de la BD : Quelles raisons à ce changement ?

Batem : Dans un premier temps, ils voulaient rebooter la série. Je ne savais pas ce que ça voulait dire. Je leur ai dit « Ben Rebootons ! » À un moment donné, il était même question de la rebooter sans moi. Mais, l’éditeur m’a gardé et on m’a présenté Kid Toussaint. Il m’a déjà fourni un album de 46 pages (Note de Kid Toussaint : « C’est un album écrit à deux avec Ced »).

Les Amis de la BD : C’est le scénariste du moment…

Batem : J’ai bien compris que c’était un peu leur démarche. Mais, il se fait que Kid est charmantissime et qu’il m’a transmis un scénario qui est excellent !

Les Amis de la BD : Le Marsu a célébré ses 70 ans en 2022… et vous bientôt 40 ans d’albums. Qu’est-ce que cela fait de travailler sur une aussi longue durée avec un personnage aussi légendaire ?

Batem : Le premier album date de 87, mais j’ai commencé à travailler sur le projet de dessin animé en 84. Il y a donc 40 ans. Bien évidemment, je n’en suis pas le papa du Marsu, même si on me présente souvent ainsi. Je n’en suis que la nourrice. Les choses sont venues naturellement. Si j’avais pris conscience de ce qui m’arrivait en 87, je serais parti en courant. Mais j’étais plus jeune et j’ai rencontré mon idole qui venait me chercher pour reprendre un personnage extraordinaire. Et ça a marché d’entrée de jeu.

Les Amis de la BD : Justement, comment avez-vous été choisi ?

Batem : Parce que j’avais travaillé sur ce projet de dessin animé. J’étais engagé par le studio des éditions Dupuis. Inévitablement, André Franquin était confronté à mes dessins. Quand il était question de faire vivre des aventures au Marsupilami comme personnage principal d’une série, Franquin préférant se consacrer à Gaston Lagaffe, c’est là qu’est née cette idée formidable de donner sa chance au jeune auteur que j’étais. Donc ils sont venus me chercher.

Les Amis de la BD : Pour les 70 ans du Marsu, il y a de nombreux auteurs qui se le sont appropriés dans le Journal de Spirou. Mais surtout, il y a Frank Pé qui s’est approprié le personnage. Avez-vous un avis sur cette adaptation ?

Batem :Oui, bien sûr. J’avais déjà été approché par la presse lorsque le premier tome est sorti. C’était génial, incroyable. Il y a plusieurs scènes que j’aurais aimé dessiner moi-même. Je trouvais l’idée formidable, ce petit gamin qui adopte tous ces petits animaux blessés, handicapés, dans la maison avec sa maman. Mais, je dois avouer que je compte énormément sur les auteurs pour redresser le tir, car le Marsupilami a perdu de sa superbe dans cet album…

Les Amis de la BD : Oui, c’est nettement plus noir… il est moins bondissant…

Batem : Frank m’avait prévenu qu’il allait faire un Marsupilami « qui pue », pour le paraphraser. Bah, c’est un un Marsupilami un peu un peu triste, malade, qui n’était plus capable de passer à travers une fenêtre sans s’y reprendre à trois reprises. Puis, il y a le deuxième tome que je suis en train de lire… avec des couleurs et des dessins magnifiques, et toute la magie de Frank Pé !

Les Amis de la BD : Et que nous allons éviter de spoiler…

Batem : Oui, donc j’attends de voir la fin pour voir s’il reprend de sa superbe. Mais bon, je me suis laissé dire que « pas tant que ça ». Mais laissez-moi mon plaisir de le découvrir.

Les Amis de la BD : Pour terminer, Batem, qu’est-ce qu’on vous demande le plus en dédicaces ?

Batem : C’est très, très variable. Alors, ici, c’est la première fois que je viens, c’est un public très familial avec beaucoup d’enfants. Quand c’est la première fois que je les rencontre, je les invite à me demander un Marsu. Evidemment quand je vais dans certains festivals de manière plus régulière, on retrouve des lecteurs qu’on croise tout le temps. Il y a ce type, Philippe que je croise souvent a qui j’ai demandé combien de dédicaces il possédait de moi. Il en a 59 ! Bien plus que mon nombre d’albums. Mais, il y possède des dédicaces que j’ai dessinée en plusieurs fois.

Dédicace pendant l'interview de Batem
Dédicace pendant l’interview de Batem © Les Amis de la BD

Les Amis de la BD : Le jeune public connaît-il le Marsupilami ?

Batem : C’est variable. Je pense que beaucoup d’entre eux en ont entendu parlé. Je parle des plus jeunes. Car dès qu’on arrive au 15-16 ans, ils ont vu les dessins animés. Je pense que c’est pourquoi chez Dupuis, ils ont compris qu’il fallait sortir une nouvelle saison. Le Marsupilami est un peu inscrit dans une sorte d’inconscient collectif. Mais, les plus petits, ceux que j’ai croisé ce week-end, n’ont pas vu les dessins animés, donc ils ne connaissent pas plus que ça.

Les Amis de la BD : Je suppose que cela reste des rencontres magiques ?

Batem : Oui, ils sont attirés. J’ai tout de même eu énormément de gamins qui savaient précisément ce qu’ils désiraient : le piranha ou le nid, par exemple. Vendredi, j’ai passé ma journée dans une école où j’ai animé 3 ateliers dans 3 classes différentes. Je dirais que 40% des élèves en ont entendu parler. Un bon 30 % ne savent pas qui il est mais quand on le dessine, le trouve super sympa. Le reste ont un bouquin à la maison grâce à papa ou maman.

Les Amis de la BD : C’est un personnage intergénérationnel…

Batem : Comme je le disais tout à l’heure, ça fait 40 ans que je m’en occupe. Un peu moins que je dessine les albums. Aujourd’hui, je dessine essentiellement pour les enfants des gamins qui étaient devant moi, il y a 37 ans.

Les Amis de la BD : Merci Batem. Je ne vous retarde pas plus longtemps. Vous êtes attendu.

Interview de Batem recueillis par Bruce RENNES

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