Mal aimée dans le monde littéraire francophone, la nouvelle est pourtant un moyen d’expression et d’imagination de choix pour un auteur. Elle permet à l’écrivain d’installer une respiration récréative en développant de façon éphémère un monde et une ambiance à chaque fois différente, et au néophyte d’aiguiser son style en allant droit au but dans l’unique objectif de convaincre rapidement ses lecteurs. Le célèbre Jean Van Hamme s’y est lui aussi essayé, sans toutefois y connaître le succès qu’il rencontrera en bande dessinée. Avec « Miséricorde », il allie les deux types de création en adaptant sept de ses nouvelles en courts récits, à chaque fois mis en images par un dessinateur différent.

Couverture de l'album Miséricorde
© Miséricorde – Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Aimée de Jongh, Djief, Christian Durieux, Efa, José Luis Munuera et Jean Van Hamme – Dupuis

Un tueur en série qui ne retrouve plus ses morts ; un criminel voulant passer la frontière ; un célibataire au physique ingrat trouvant l’amour de façon étonnante ; une entreprise new-yorkaise qui manipule le temps ; un anarchiste victime d’un coup d’état ; une aristocrate anglaise prise à son propre piège et un journaliste en quête de scoop dans un petit pays africain. Des accroches choc sentant bon l’aventure imaginative et pleine d’action : aucun doute, le scénariste le plus connu de la BD est à  la manette dans les sept récits composant l’ouvrage.

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© Miséricorde – Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Aimée de Jongh, Djief, Christian Durieux, Efa, José Luis Munuera et Jean Van Hamme – Dupuis

Quand les histoires ont plusieurs histoires

Le fidèle admirateur de Jean Van Hamme le sait : le bruxellois aime à décliner ses histoires sous différents moyens d’expression. Ainsi, « Les Maîtres de l’orge » et « Rani » ont connu tour à tour une version BD, une version roman et une version série TV, tandis que le méconnu ouvrage « Le télescope » a connu le succès lors de son adaptation dessinée. Il y a donc une certaine logique à ce que les courtes nouvelles écrites sporadiquement par le scénariste depuis ses débuts connaissent elles aussi leur conversion en bande dessinée. De l’aveu même de Van Hamme, à la critique toujours juste mais acérée, il n’est pas totalement arrivé, en tant que nouvelliste, à créer une atmosphère et à trouver le style qu’il admirait chez les auteurs américains qu’il dévorait étant jeune. La version BD des petites histoires dont il n’est pas fier à 100% leur amènent-elles ce « petit plus » qui, d’après l’auteur, leur manquait ? Pour quiconque n’a jamais lu les nouvelles de Van Hamme, les sept récits proposés dans « Miséricorde » remplissent parfaitement l’objectif d’un amateur de BD : divertissant, plein d’énergie, ironique et parfois drôle façon « pince sans rire », l’album se dévore rapidement, sans trop laisser de traces si ce n’est celle d’un agréable goût de jovialité mâtiné d’une délicieuse et savoureuse ringardise. Pour celui qui, comme l’auteur de ces lignes, a lu les nouvelles de Van Hamme (éditées chez Averbode sous le titre « Adios Amigo »), l’exercice est jubilatoire. Si le scénariste voulait, comme ses idoles, écrire des nouvelles, force est de constater que son style, ses idées et sa maîtrise du récit s’accordent pleinement à l’univers de la bande dessinée. Le découpage nerveux et rapide qu’il fait de ses histoires dans « Miséricorde » leur apporte l’énergie et la fougue qui étaient un peu moins ressentis à la lecture de leur version écrite. Si la transposition d’une nouvelle à une BD passe, en toute logique, par une abondance de récitatifs, ceux-ci ne ralentissent pas le rythme des histoires. L’idée de publier « Miséricorde » en format moyen, induisant des pages à 2 ou 3 bandes avec peu de cases, ajoute encore au dynamisme de l’ensemble. Le fan le plus ultra se demandera pourquoi la nouvelle « Une mauvaise saison » n’a pas été adaptée dans cette BD, mais cela, c’est une autre histoire !

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© Miséricorde – Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Aimée de Jongh, Djief, Christian Durieux, Efa, José Luis Munuera et Jean Van Hamme – Dupuis

Quand la nouvelle redevient (presque) un galop d’essai

Au lancement de ce projet, Van Hamme souhaitait que les adaptations soient confiées à de jeunes dessinateurs voulant se lancer, l’utilisant ainsi en parrain bienveillant pour asseoir définitivement leur carrière. Les récits complets, comme les nouvelles sont en effet, le plus souvent, les premiers essais des futurs grands, comme on l’a vu dans les Spirou et Tintin de la grande époque. F. Niffle, ayant choisi les heureux élus pour le scénariste, n’a pas tout à fait respecté cette volonté en conviant au projet des auteurs déjà renommés. Au final, la différence de style des sept dessinateurs (six hommes et une femme) est charmante et ludique, et tous rendent une copie tout à fait acceptable et sympathique. Si Durieux, aux pinceaux de l’histoire « Les Dents de l’amour », n’a pas eu la tâche facile (la nouvelle publiée dans Tintin avait été illustrée par Dany !), d’autres, comme Munuera et Bertail, montrent qu’ils sont à l’aise en toutes circonstances. Bazin et De Jongh apportent une touche assez étonnante à des histoires a priori loin de leur style, renforçant leur charme. On note aussi les excellentes prestations de Efa et Djief, parfaitement en harmonie avec l’histoire qu’ils dessinent, les rendant très « Van Hamme compatibles » !

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© Miséricorde – Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Aimée de Jongh, Djief, Christian Durieux, Efa, José Luis Munuera et Jean Van Hamme – Dupuis

Pour reprendre le terme de l’éditeur, « Miséricorde » se déguste telle une friandise pleine d’imagination, de saveurs, dans la plus droite lignée de la BD classique, chère au scénariste qui en est un des plus brillants acteurs. Gageons qu’en ces temps troublés par une actualité noire et dramatique, la lecture de cet étonnant projet qui n’a pour seuls objectifs que le divertissement et l’évasion, saura faire évacuer, au moins momentanément, les soucis de ceux qui en tourneront les pages.

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© Miséricorde – Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Aimée de Jongh, Djief, Christian Durieux, Efa, José Luis Munuera et Jean Van Hamme – Dupuis

Chronique écrite par Mathieu DEPIT

Informations sur l’album Miséricorde

  • Scénario : Jean Van Hamme
  • Dessin : Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Aimée de Jongh, Djief, Christian Durieux, Efa, José Luis Munuera
  • Éditeur : Dupuis
  • Date de sortie : 3 novembre 2023
  • Pagination : 96 en couleurs

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© Miséricorde – Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Aimée de Jongh, Djief, Christian Durieux, Efa, José Luis Munuera et Jean Van Hamme – Dupuis