Quelques semaines après la Cuisine des Ogres, Fabien Vehlmann revient avec un nouveau récit en forme de conte philosophique, accompagné ici du dessinateur espagnol Roger (Jazz Maynard, également chez Dargaud). Récit choral, histoire de violence et de destruction portée par des personnages forts, le Dieu-fauve est la nouvelle pépite de Dargaud de ce début 2024 qui se révèle décidément riche en one shots puissants.

Couverture de l'album Le Dieu-Fauve
© Le Dieu-Fauve – Roger et Fabien Vehlmann – Dargaud

Dans notre monde, ou un autre, il y a fort longtemps. Il était une fois un jeune singe qui rêvait de prouver sa valeur à son clan, petit groupe nomade en quête de survie, jusqu’au moment où… Il était une fois un poète, ancien esclave affranchi, en route vers la capitale en compagnie de son peuple. Lui rêvait de réussir à « exprimer la complexité du monde », jusqu’au moment où… Il était une fois une guerrière au service d’une princesse à la poursuite d’un trône, une guerrière qui ne rêvait plus, impitoyable et respectée, jusqu’au moment où… Il était une fois une jeune esclave qui rêvait de révolution, dans l’attente du moment où…

Page 5 de l'album Le Dieu-Fauve
© Le Dieu-Fauve – Roger et Fabien Vehlmann – Dargaud

UNE VALSE A DEUX TEMPS

Le Dieu-fauve, c’est un peu comme un carré avec, à chacun de ses angles, un personnage et, au milieu, la violence, ou plutôt les violences : violence de la nature, imprévisible et implacable, violence animale, brutale et désespérée, et, bien sûr, violence humaine, parfait mix entre les deux précédentes, la cruauté en plus. Et pourtant, rarement un récit basé sur la violence aura été autant contemplatif que ce Dieu-fauve. Divisée en quatre parties principales, s’intéressant chacune à un des coins tout en lorgnant vers le centre, la narration consiste principalement en de longues scènes d’attente, de marche ou de réflexion. De longues scènes dans lesquelles les dialogues sont rares mais pas les textes, ceux-ci étant majoritairement de la description presque documentaire dans le premier angle et des introspections du personnage principal dans les suivants. De lentes scènes dans lesquelles la violence s’invite subrepticement avant de disparaître tout aussi rapidement. Fabien Vehlmann fait ici un choix audacieux qui pourrait laisser sur la touche le lecteur à la recherche de « bourrinage » et d’effusions de sang : la violence est souvent une menace inévitable et menaçante.

Page 6 de l'album Le Dieu-Fauve
© Le Dieu-Fauve – Roger et Fabien Vehlmann – Dargaud

LES VISAGES DE LA VIOLENCE

Côté dessin, l’Espagnol Roger Ibáñez Ugena, dit Roger, joue également avec une belle dualité : des cases très riches et généreuses mises en valeur par des décors relativement minimalistes (en dehors des scènes d’exposition) et un jeu d’opposition de couleurs (chaude/froide avec deux teintes par page). Lorsque l’action se recentre autour d’un ou deux personnages, les plans sont souvent originaux et au service de la narration (plans serrés et/ou obliques, éléments de décors au premier plan…) Cette richesse dans la simplicité plonge le lecteur aux côtés des personnages avec qui il partage les pensées, les doutes, les craintes. Le trait des protagonistes suit cette même logique : si le dessin a l’air simpliste et parfois même assez froid (surtout chez les humains, le singe semblant posséder plus d’« humanité » que ceux-ci), c’est pour mieux faire exploser les émotions fortes aux moments clés. Il en va de même pour la mise en page, alternant gaufriers classiques et chevauchements de cases selon les besoins du récit.

Page 7 de l'album Le Dieu-Fauve
© Le Dieu-Fauve – Roger et Fabien Vehlmann – Dargaud

Réussite narrative et visuelle, le Dieu-fauve est une œuvre qui se mérite. Passé le premier chapitre quasi documentaire, Fabien Vehlmann nous livre une histoire à la fois lente et puissante, se mettant au service du dessin de Roger, à la fois posé et spontané, lui-même au service d’un récit sur la violence et la destruction. Un récit qui sait ménager ses effets, faisant craindre cette violence autant qu’il la montre, la rendant ainsi plus dramatique et inévitable que graphique et impressionnante. Une œuvre coup de poing intelligente tout en étant profondément humaine (et surtout animale).

Page 8 par Roger et Fabien Vehlmann
© Le Dieu-Fauve – Roger et Fabien Vehlmann – Dargaud

Chronique écrite par Cédric SICARD

Informations sur l’album

  • Scénario : Fabien Vehlmann
  • Dessin : Roger
  • Couleurs : Roger
  • Éditeur : Dargaud
  • Date de sortie : 5 avril 2024
  • Pagination : 102 en couleurs

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