D’abord il y eut un roman. 2006, l’auteur américain Cormac McCarthy publie « la Route », un récit postapocalyptique sombre et sans concession. Ensuite vint un film. 2009, John Hillcoat adapte au cinéma le roman avec Viggo Mortensen dans le rôle principal, un film assez injustement boudé et décrié. 2024, « la Route » défile en bande dessinée sous la plume et le pinceau de l’incontournable Manu Larcenet chez Dargaud.

Couverture de l'album La Route
© La Route – Manu Larcenet – Dargaud

Un homme, son fils, leur caddie, des années après une apocalypse nucléaire : le monde est devenu un danger permanent, l’homme et son fils doivent sans cesse avancer vers le sud, le long d’une route, afin de trouver un endroit vivable, loin du froid, de la cendre et des autres humains. Et, avant tout, survivre.

Un récit sombre et cruel

Dès les première pages, Manu Larcenet parvient à nous plonger dans son univers oppressant : des cases sombres, un rythme contemplatif et menaçant à la fois, et les premières paroles qui n’arrivent qu’à la quatrième planche. Tout le long de l’album, tout le long de cette route, les dialogues sont rares, les planches alternent entre grandes cases d’ambiance et enchaînements de plans serrés narratifs : un choix audacieux qui ancre le lecteur aux côtés du duo. Impossible de ne pas ressentir leur détresse, leurs petites joies, leurs grandes peurs. Puis, viennent les premières rencontres, nouvelles sources d’un danger permanent que nous vivons avec eux, qui nous bloque la respiration, qui nous ouvre grand les yeux incapables de lâcher les cases, et cela jusqu’aux dernières pages.

Page 5 de l'album La Route
© La Route – Manu Larcenet – Dargaud

Un auteur au sommet de son art

Depuis bientôt trente ans, Manu Larcenet fait partie du quotidien de nombreux bédéphiles. De ses débuts à l’humour vitriolé chez Fluide Glacial et Dargaud (dans la collection Poisson Pilote) à ses récentes productions beaucoup plus sombres comme « Blast » ou « le Rapport de Brodeck » (déjà l’adaptation d’un roman, celui de Philippe Claudel), l’auteur français a su brouiller les pistes avec une œuvre bibliographique complexe mais dans laquelle les ponts sont nombreux, du combat social (« le Combat ordinaire ») au combat psychique (« Blast »), autant que les styles graphiques : rond et caricatural pour « Bill Baroud » ou le récent « Thérapie de groupe », et brutal est tranché pour « le Rapport de Brodeck » ou « la Route ».

Page 6 de l'album La Route
© La Route – Manu Larcenet – Dargaud

Dans « la Route », justement, son dessin sublime le récit, tantôt dépouillé, tantôt d’un apparent fouillis, mais toujours parfaitement adapté à la narration, rendant l’expérience du lecteur encore plus immersive. Manu Larcenet maîtrise son noir et blanc dans lequel s’invitent parfois des couleurs d’ambiance selon les émotions des protagonistes ou l’intensité du moment.

Trait agressif, regards expressifs, fonds envahis par une cendre oppressante, encrage profond, contrastes puissants, et même les gaufriers de certaines pages (parfois irréguliers, parfois carrément absents dans plusieurs enchaînements de cases), chaque choix de dessin, chaque étape, chaque trait semble pensé pour susciter une émotion forte, collant parfaitement au récit et à l’univers de « la Route », que ce soit dans les moments de danger ou dans les moments plus intimes que partagent père et fils.

Page 7 de l'album La Route
© La Route – Manu Larcenet – Dargaud

Leur relation est d’ailleurs au cœur du récit. Les quelques échanges verbaux, les quelques gestes, les gimmicks du fils, les lourdes responsabilités du père viennent ponctuer le récit de moments à la fois tendres et d’un pragmatisme effrayant. Et si le monde qui les entoure est un personnage à part entière (avec ses humeurs et son influence permanente sur les choix du père), c’est bien autour des deux protagonistes que tout tourne, et, une fois encore, Manu Larcenet parvient à nous attacher à eux autant que le faisait Cormac McCarthy, et plus encore que le réalisateur John Hillcoat.

Page 8 par Manu Larcenet
© La Route – Manu Larcenet – Dargaud

Si la sortie de « la Route » était l’un des gros événements BD du premier trimestre 2024, force est de constater que la qualité est largement au rendez-vous. Œuvre brutale mais émouvante, sombre mais non dénuée d’espoir, violente mais contemplative, pragmatique mais poétique, la nouvelle publication de Manu Larcenet est une réussite à tout point de vue. Une bande dessinée qui ne laissera personne indifférent : les choix radicaux de l’auteur quant au rythme du récit ou au graphisme pourront rebuter certains lecteurs lors des premières pages, mais s’ils parviennent à rentrer dans le récit, « la Route » offre une expérience de lecture rare dont on ne sort pas indemne. À n’en pas douter une œuvre qui traversera les années.

Page 9 par Manu Larcenet
© La Route – Manu Larcenet – Dargaud

Chronique écrite par Cédric SICARD

Informations sur l’album

  • Scénario : Manu Larcenet
  • Dessin : Manu Larcenet
  • Éditeur : Dargaud
  • Date de sortie : 29 mars 2024
  • Pagination : 152 en couleurs

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