Interview de Giovanni Jouzeau à l’occasion de la sortie du tome 1 de Jean-Mowgli

A l’occasion du festival d’Angoulême fin janvier, nous avons rencontré Giovanni Jouzeau qui venait de sortir le premier tome de sa série Jean-Mowgli chez Bamboo. Il a très gentiment accepté de répondre aux questions des Amis de Spirou afin que nos lecteurs le connaisse un peu mieux.

Les Amis de Spirou : Peux-tu te présenter à nos lecteurs des Amis de Spirou ?

Giovanni Jouzeau : Giovanni Jouzeau, je suis auteur de bandes dessinées et illustrateur depuis un peu plus d’une douzaine d’années à peu près. Mon premier bouquin est sorti en 2010, je sortais de mes études quasiment. Je venais de rentrer dans un atelier et j’ai un collègue qui s’appelle Turalo, qui m’a dit, « franchement, on m’a proposé un truc, je ne peux pas le dessiner, mais je peux le scénariser, est-ce que ça te branche » ? Ça ne faisait pas trois mois que j’étais dans l’atelier. Ça a donné les Catcheurs de l’extrême, en deux tomes, mais qui n’ont pas vraiment marché. C’était la grande mode du catch, tous les commerciaux allaient voir les éditeurs en disant : « sortez-nous des trucs sur le catch ». Il y a trois ou quatre albums qui sont sortis en plus et ils se sont tous vautrés.

Photo de Giovanni Jouzeau
© Bamboo

Les Amis de Spirou : C’était chez quel éditeur ?

Giovanni Jouzeau : C’était chez Drugstore, une collection de Glénat, créée après avoir acheté l’Echo des Savanes et une autre maison d’édition, je crois. Ça a donné une collection un peu fourre-tout, à la ligne éditoriale assez floue, pour regrouper les différents titres et en sortir de nouveaux (et donc forcément, ça n’a pas très bien marché). Tu avais le choix entre plein de choses très (trop) différentes : tu avais des BD d’humour grand public, des BD de cul, tu avais Ranxerox, il y avait des guides du genre “Les guides du mariage”. Tu avais des auteurs un peu plus pointus, comme Olivier Boiscommun, ça mélangeait vraiment tout. La collection n’a pas duré très longtemps mais j’ai pu me lancer grâce à elle.

Couvertures Les Catcheurs de l'extrême par Giovanni Jouzeau
© Les Catcheurs de l’extrême – Giovanni Jouzeau et Turalo – Drugstore

Les Amis de Spirou : Quelle est ta formation ?

Giovanni Jouzeau : J’ai une formation de graphiste, j’ai été à l’école Brassart à Tours et donc j’ai appris à faire des logos et des affiches.

 

Les Amis de Spirou : Tu as bossé là-dedans avant de faire de la BD ?

Giovanni Jouzeau : Pas du tout. J’ai signé mon premier album un an après, ça a été vraiment hyper vite. J’ai fait des études qui étaient vraiment éprouvantes physiquement. Tous les soirs je finissais entre deux heures et quatre heures du matin, je me levais à sept heures pour aller bosser à l’école. Une fois diplômé, j’ai passé quelques mois à récupérer physiquement et de toute façon je n’avais pas de boulot. C’était un peu chômage-repos. Et puis au bout d’un an je suis rentré dans cet atelier et on m’a proposé quasiment instantanément un taf dans l’édition. J’ai eu de la chance.

 

Les Amis de Spirou : Et après, tu es resté dans le milieu de la BD ?

Giovanni Jouzeau : Non, après ça, je n’ai plus fait de BD pendant pratiquement sept-huit ans, parce que quand je proposais des trucs, ça ne passait pas. Au bout d’un moment, je suis allé faire de l’illustration. C’était un peu les années de vaches maigres. Avant de rentrer dans mon atelier, j’ai bossé sur Game Over, un petit peu ! J’ai fait deux gags de Game Over.

Croquis de Jean-Mowgli par Giovanni Jouzeau
Croquis © Jean-Mowgli – Giovanni Jouzeau – Bamboo

Les Amis de Spirou : Tu les as envoyés via le site ?

Giovanni Jouzeau : C’était le tout début. En gros, quand Midam a proposé aux aspirants scénaristes de lui envoyer des trucs, c’était pile au moment où j’étais diplômé, j’ai fait partie des tout premiers. J’en ai fait deux, c’est ma seule expérience dans Spirou.

 

Les Amis de Spirou : Avais-tu l’ambition de faire du scénario plus que du dessin ?

Giovanni Jouzeau : Non, moi j’aime les deux. Je n’en ai pas fait pendant des années, des scénarios, parce que j’avais bossé avec des scénaristes et je ne me sentais peut-être pas prêt, ce qui est presque idiot parce qu’aujourd’hui, on vient plus me chercher pour mes idées que pour mes dessins.

 

Les Amis de Spirou : Tu m’as dit que tu as fait de l’illustration ?

Giovanni Jouzeau : Oui, j’ai fait de l’illustration, j’ai fait de la presse, des trucs comme ça. J’ai fait des livres scolaires.

 

Les Amis de Spirou : Des boulots alimentaires quoi !

Giovanni Jouzeau : Oui, mais après, ce sont des boulots alimentaires sympa !

 

Les Amis de Spirou : Quand tu te lances, ce n’est pas forcément ce que tu as envie de faire, tu préfères raconter des histoires, faire rire les gens, que faire des manuels scolaires !

Giovanni Jouzeau : Je te dis pas, j’ai passé six mois à illustrer des bouquins pour les cinquièmes !

Croquis de Jean-Mowgli par Giovanni Jouzeau
Croquis © Jean-Mowgli – Giovanni Jouzeau – Bamboo

Les Amis de Spirou : Au niveau de tes influences, qu’est-ce que tu lisais quand tu étais jeune (tu es toujours jeune, mais…) ?

Giovanni Jouzeau : J’ai la trentaine bien tapée maintenant. Il y avait un petit peu de BD chez moi. Il y avait en gros les Gaston et les Astérix, donc c’est mon premier rapport à la bande dessinée. Ça et puis l’Histoire de France en bande dessinée, je ne sais pas si tu vois. C’est la collection des années soixante-dix, avec une histoire de France un peu discutable, mais des illustrateurs hyper balèzes. Ma culture s’est beaucoup faite en bibliothèque municipale. J’ai un peu lu tout et n’importe quoi.

 

Les Amis de Spirou : C’était plutôt de l’humour, de l’aventure, ou plutôt ce qui te tombait sous la main ?

Giovanni Jouzeau : J’avais la chance d’être dans une ville qui avait une bibliothèque BD qui était plutôt sympa. J’ai lu plein de trucs, même plutôt vieillot, comme la Patrouille des Castors qui était déjà datée pour le début ou le milieu des années 90, puis j’ai découvert le journal Spirou, j’avais environ sept-huit-neuf ans. Je connaissais le personnage de Spirou parce qu’il était dans Gaston. J’avais du mal à comprendre que le personnage d’une BD soit présent dans une autre BD, ça a été longtemps un truc mystérieux pour moi, je ne comprenais pas trop le truc ! Donc vers sept-huit ans, en bibliothèque, je suis tombé sur Spirou, c’est pas mal, y’a plein de trucs que je ne connais pas. C’est quand même un avantage de ce genre de presse, c’est que ça te présente tout un catalogue de séries, ça te crée une espèce d’ouverture. Quelques années plus tard, voire presque dans la foulée, je me suis abonné, donc quasiment à l’âge de dix ans.

Donc, mon influence, ce sont les classiques de la BD franco-belge. Les toutes premières, c’est Gaston, c’est Astérix, c’est Lucky Luke, c’est des trucs comme ça. Quand j’ai découvert Spirou, c’était aussi le début de Kid Paddle et c’était hyper moderne pour l’époque. C’était une autre approche du dessin. Après, il y a eu Calvin & Hobbes. Plus tard, à l’adolescence, Trondheim arrivait en force. Le Trondheim des années 90, des années 2000, était quand-même assez extraordinaire, je ne sais pas si tu as lu sa production de l’époque.

Croquis de Jean-Mowgli
Croquis © Jean-Mowgli – Giovanni Jouzeau – Bamboo

Les Amis de Spirou : Oui j’ai lu Lapinot notamment…

Giovanni Jouzeau : Du début des années 80-90 jusqu’aux années 2000, il n’y a quasiment rien à jeter, tout est bon ou presque. Aujourd’hui, c’est souvent bon, mais c’est parfois plus aléatoire, mais pour cette époque-là, c’était quand-même assez incroyable.

 

Les Amis de Spirou : Aujourd’hui, est-ce que tu lis des trucs qui sortent actuellement ?

Giovanni Jouzeau : Oui, un petit peu, mais je suis assez éclectique, j’aime bien me laisser surprendre donc je regarde aussi dans les trucs d’occasion, des trucs que je n’aurais jamais acheté. J’essaie. Je trouve toujours un peu triste toutes ces interviews d’auteurs qui disent : « moi, ça fait vingt ans que je ne lis plus de BD ». Putain, c’est notre métier !

 

Les Amis de Spirou : C’est vrai, à force d’interviewer des auteurs, j’ai l’impression qu’il y a deux écoles différentes. Il y a ceux qui ne comprennent pas qu’on ne lise pas de BD, car c’est quand-même le métier, qui te disent qu’on n’entendrait jamais de réalisateur de cinéma dire « bah moi je ne regarde plus de films », et d’autres auteurs qui disent « moi, je fais de la bd et je n’arrive plus à en lire ».

Giovanni Jouzeau : Je trouve ça hyper important de voir ce qui continue de se faire. Je ne sais pas, peut-être qu’à un moment, on arrête d’être curieux. Moi, j’essaie de me forcer à lire des trucs vieux, des trucs récents. On s’alimente aussi comme ça. Dans les métiers de l’image, on a besoin de se faire une banque d’images, de comprendre les choses visuellement, de les comprendre intimement.

Moi, ça me donne des idées aussi parfois ! Je me dis, ah tiens, ce sujet, il est intéressant. Comment mes personnages réagiraient dans une situation comme celle-ci ou, tiens, j’ai jamais pensé à faire un gag de ce genre-là. Tiens, c’est une mécanique à laquelle je n’ai jamais pensé qui est intéressante, comment moi je pourrais l’utiliser. On a fait de la BD en général parce qu’on en a lu et parce qu’on aimait ça. C’est fou parce que, parmi les auteurs de ma génération ou un peu plus jeunes, il y en a pas mal qui n’ont pas lu les classiques et qui en sont presque fiers ! Ça fait plusieurs fois que j’entends des auteurs qui ont trente ans et qui disent qu’ils n’ont jamais lu Tintin, par exemple.

Croquis de Jean-Mowgli
Croquis © Jean-Mowgli – Giovanni Jouzeau – Bamboo

Les Amis de Spirou : C’est pas une science exacte ce que je te dis, mais j’ai l’impression que c’est plus ceux qui écrivent des scénarios qui continue de lire des BD et ceux qui ne font que dessiner qui ont arrêté d’en lire.

Giovanni Jouzeau : Je ne peux pas te l’affirmer, mais c’est possible.

 

Les Amis de Spirou : Tu nous présentes maintenant la série, comment est venue la genèse ?

Giovanni Jouzeau : C’est venu d’une demande d’Okapi. C’est un magazine pour lequel je travaillais déjà depuis quelques années comme illustrateur. Je faisais le courrier des lecteurs, on était une dizaine à tourner pour l’illustrer. Il y a deux numéros par mois. J’illustrais parfois des articles de thématiques diverses. J’en ai fait sur les voyages scolaires. Ils aimaient bien ce que je faisais, car je m’arrangeais pour qu’il y ait toujours des gags dans mes illustrations. Ils se sont renseignés, ils ont vu que je faisais de la bande dessinée, que j’avais sorti un album chez Jungle ! un petit peu avant, qui s’appelait “Les Chicons”. Ils se sont dit qu’ils avaient un créneau, une série de Trondheim et Hugo Piette qui s’était arrêtée et qui s’appellait « Ma mère, le boulet ». Ils m’ont dit “ Comme ça se passe bien entre nous, est-ce que ça t’intéresse de prendre ce créneau-là ?”. Je dis « ben ouais, carrément ». Mine de rien, ça devient un boulot stable, c’est quand-même hyper intéressant. Ils m’ont dit : « Le truc, c’est que ça doit mettre en scène des collégiens », parce que Okapi, c’est du 10-15 ans, ça s’adresse aux collégiens. J’ai réfléchi là-dessus et vu que moi, j’aime bien dessiner des animaux, école Calvin & Hobbes oblige, je me suis demandé comment joindre tout ça. Donc, j’ai fini par créer ce personnage d’enfant sauvage qui se retrouve au collège en Europe pour poursuivre ses études, parce que pour les études dans la jungle, ils ne sont pas très forts, les professeurs.

Couverture Les Chicons
© Les Chicons– Giovanni Jouzeau et Mike Zonnenberg – Jungle

Les Amis de Spirou : Du coup, la série met en scène un jeune collégien, c’est basé sur ta vie ? Je ne dis pas que tu sors de la jungle, hein, mais les situations d’un collégien ?

Giovanni Jouzeau : Je pense qu’on s’inspire toujours un peu de sa vie. Il y a deux-trois trucs qui en sont tirés un peu… Pas forcément qui me sont arrivés, mais que tu entends, que tu vois, etc. Le collège, c’est quand-même une des parties de la vie qui m’ont vraiment marqué très fort, en bien ou en mal, souvent un petit peu en mal. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de premiers traumatismes qui viennent de cette époque-là.

 

Les Amis de Spirou : Plus tu y penses, plus ça devient de la nostalgie…

Giovanni Jouzeau : Oui, un peu, mais c’est vrai qu’il y a un peu d’expérience personnelle et beaucoup d’extrapolations ; on est sur une série d’humour. Dans le même genre, il y a “Elliot au collège” de Théo Grosjean, on est vraiment sorti à trois jours d’écart. Ça a l’air bien en plus ! Mais pour le coup, lui, il a vraiment l’air d’avoir axé sur la construction d’un personnage anxieux et j’ai l’impression que toute sa série va s’articuler là-dessus.

Le collège reste effectivement le point commun entre les deux séries, mais je trouve que ça n’a rien à voir, au point de vue de l’humour, c’est complètement différent.
Moi au final, je suis parti sur une série un peu barrée. C’est Titeuf qui a trois ans de plus.

Croquis de Jean-Mowgli
Croquis © Jean-Mowgli – Giovanni Jouzeau – Bamboo

Les Amis de Spirou : L’humour, le gag, c’est quelque chose que tu as toujours eu envie de faire, ou c’est parce que tu as eu une opportunité ?

Giovanni Jouzeau : Non, j’ai fait pas mal de dessin d’humour avant et c’est aussi souvent ça que j’ai présenté, pas toujours, mais il y avait toujours au minimum de l’humour. J’aime bien que les choses aillent vite. Je me rends compte qu’à chaque fois que j’ai monté des projets, des 46 pages ou des trucs comme ça, c’est difficile de les porter, donc je me suis orienté sur des formats plus courts, car je me rends bien compte que ce sont des formats que j’arrive à gérer. J’ai aussi le goût d’en faire. Est-ce que j’ai bon goût pour le faire, c’est autre chose, mais j’ai le goût d’en faire. Je me vois bien aussi faire d’autres trucs aussi.

 

Les Amis de Spirou : Ton dessin est aussi, dans cette série, assez humoristique…

Giovanni Jouzeau : Je me suis construit en dessinant comme ça, parce qu’il fallait que ça aille un peu vite, j’allais pas me lancer et faire du Largo Winch, ce n’était pas possible, je serais devenu fou !

Couverture de Jean-Mowgli par Giovanni Jouzeau
© Jean-Mowgli – Giovanni Jouzeau – Bamboo

Les Amis de Spirou : Tu n’es pas fermé à un moment de faire un sujet un peu plus sérieux, une histoire un peu plus longue ?

Giovanni Jouzeau : En soi pourquoi pas, tu vois, j’aime raconter en fait. Je suis ouvert, simplement, à la bonne idée. Si je me dis « ah tiens, ça, ça pourrait être un bon sujet », je ne le refuse pas ! Après, on ne va pas se mentir, il y a quand-même beaucoup de chances qu’une bonne partie de ma production soit du dessin et de l’humour.

 

Les Amis de Spirou : Mais humour gag ou humour autre chose ?

Giovanni Jouzeau : Je ne sais pas, ça peut potentiellement être autre chose.

Gag de Jean-Mowgli par Giovanni Jouzeau
© Jean-Mowgli – Giovanni Jouzeau – Bamboo

Les Amis de Spirou : Tu as des projets à venir ?

Giovanni Jouzeau : Je continue Jean-Mowgli et les illustrations pour la presse, tout ça me prend beaucoup de temps. Et je vais essayer de travailler aussi sur de nouveaux projets.

 

Les Amis de Spirou : Tu continues à faire de l’animation dans Okapi ?

Giovanni Jouzeau : Oui, la série continue d’être diffusée dans le magazine, j’ai toujours deux pages par mois à faire pour eux. Pour les albums, on verra : ça va dépendre des ventes du tome 1. Il n’y a pas beaucoup de nouvelles séries qui se vendent bien, en ce moment. Quand on lance une nouvelle série, on part un peu au casse-pipe, parfois…

Propos recueillis par Adrien LAURENT

Vous pouvez discuter de l’interview de Giovanni Jouzeau sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.

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