Superino à la rescousse !

Après Donald et Mickey, Lewis Trondheim au scénario et Nicolas Keramidas au dessin, toujours épaulés par la coloriste Brigitte Findakly, s’attaquent à la reprise d’un vrai-faux héros de bande dessinée italienne de l’âge d’or des fumetti, Superino. L’occasion surtout, d’écorner le mythe du super-héros dans une aventure délirante, mêlant une reprise des codes de cet univers et un humour absurde et potache parfaitement assumé.

Couverture de Superino
© Superino – Nicolas Keramidas et Lewis Trondheim – Dupuis

 

En juin dernier, les lecteurs du magazine Spirou ont pu découvrir, dans la rubrique « En direct du futur », l’annonce de l’arrivée d’un étonnant héros dans le magazine. « Une légende  italienne », titre le petit encadré, et le reste de l’article n’est pas moins intrigant : on nous y présente  Superino, « le personnage le plus célèbre de la BD transalpine ». Ses aventures se vendaient par centaines de milliers d’exemplaires dans les anees 50, il était adulé par les italiens les plus célèbres, tels Fellini ou Pavarotti, et sa publication aurait été stoppée par une intervention de la mafia. Le héros serait tombé dans l’oubli si Keramidas, Trondheim et Brigitte Findakly ne s’étaient pas chargés de le ressusciter.

Image de Superino
© Superino – Nicolas Keramidas et Lewis Trondheim – Dupuis

Une histoire bien rocambolesque, qui sent bon l’aventure et le folklore… Le ton emphatique, les dates qui ne semblent pas correspondre, ainsi que la difficulté à trouver des informations sur le prétendu héros, mettent rapidement la puce à l’oreille du lecteur averti de Spirou, habitué aux fausses annonces et autres canulars orchestrés par le magazine (comme l’annonce du rachat de Spirou par Disney en 2020). D’autant plus que Keramidas et Trondheim sont également friands de ce genre de canular, comme lors de leur reprise de Mickey, Mickey’s Craziest Adventures, où ils avaient prétendu avoir mis la main sur d’anciennes planches abimées, datant des années 50. Le canular semble confirmé, lorsqu’à la fin de l’article, l’on découvre le nom du prétendu « grand historien de la BD italienne » qui aurait aidé nos auteurs dans leurs recherches, Alfredo Paperone. Les connaisseurs de bande dessinée italienne auront reconnu le nom italien d’un fameux personnage du 9e art, authentique celui là : l’oncle Picsou !

Fausse pub de Superino
© Superino – Nicolas Keramidas et Lewis Trondheim – Dupuis

Plus de doute, les auteurs et le journal sont en train de nous mener en bateau. Mais c’est fait avec grand art, puisque toute la communication autour de la sortie de cet album met en avant cette reprise d’un héros italien oublié, les auteurs n’hésitant pas à raconter comment ils auraient trouvé dans une brocante une caisse des aventures de Superino avant de décider de lui donner une seconde vie. Quant à la pré-publication dans le journal, elle s’est faite sous la forme de six mini fascicules à découper et monter, au look vintage assumé. L’album lui-même joue sur le côté « fac-similé » des fumetti d’antan, puisque les planches sont entrecoupées de fausses publicités, de pages présentant les gadgets forcément vendus avec le prétendu magazines, de jeux, de courrier des lecteurs, jusqu’à une vraie-fausse planche du Superino d’alors. On finirait presque par croire à cette histoire de héros de la bande dessinée italienne ressuscitée par notre trio.

Planche de Superino
© Superino – Nicolas Keramidas et Lewis Trondheim – Dupuis

Le clou de l’histoire, c’est qu’en cherchant avec acharnement des preuves de l’existence du super-héros sur internet, on finit par trouver la trace d’un obscur mais véritable héros nommé SuperIno, en costume moulant rouge et jaune, dont les aventures ont été publiées dans le Corriere dei Picoli, non pas dans les années 50, mais 70. Notre trio infernal aurait-il été pris à son propre jeu ? C’est d’autant plus amusant que ce héros était dessiné par Mario Sbatella, qui a dessiné pour Disney, comme beaucoup d’auteurs italiens, et qui a notamment livré des aventures de Mickey et Donald ! De là à dire que la boucle est bouclée…

Planche 6 de Superino
© Superino – Nicolas Keramidas et Lewis Trondheim – Dupuis

Cependant, si le SuperIno de Sbatella est une sorte de Fantomas avec des super-pouvoirs, le Superino version 2022 a davantage à voir avec Batman. En effet, sous couvert de rendre hommage aux fumetti italiens des années 50, Trondheim, Keramidas et Findakly convoquent tout l’imaginaire des super-héros, et en particulier, celui du chevalier noir de Gotham City. Voyez plutôt : Dino Dimarco est un puissant milliardaire qui vit dans un manoir sur les hauteurs de New Napoli, et qui s’illustre dans les événements mondains. Cependant, les sous-sols de son manoir constituent son repaire secret et ultra technologique, dans lequel il devient Superino et s’équipe de gadgets super sophistiqués, pour aller combattre le crime dans les bas-fonds de la ville et prêter main-forte au chef de la police locale. Parmi ses adversaires, on compte Supergazza, une voleuse en combinaison latex noire, ersatz de Catwoman. La comparaison s’arrête ici : Superino est puéril, chochotte, sexiste, gaffeur et pas très futé. Il ne doit sa survie et ses succès qu’à ses gadgets et au fait que ses ennemis sont encore plus bêtes que lui. Il se montre souvent ridicule, comme lorsqu’il double ses exploits d’une voix off qu’il enregistre sur dictaphone, qu’il invective les criminels dans un style ampoulé (« Halte-là margoulin ») ou lorsqu’il invente une histoire de constipation pour expliquer ses longues absences auprès de sa maman. Heureusement, il a bon cœur, et se bat pour les plus démunis : dans cette aventure notamment, il combat un super-méchant qui veut faire expulser les habitants des quartiers populaires de la ville afin d’avoir le champ libre pour planifier une invasion de la terre par les Atlantes, créatures marines aux tentacules sortant de la bouche. Il se montre également plein de candeur et finalement assez touchant, lorsqu’il découvre, horrifié, que Supergazza flingue les méchants à tout va, quand lui se contentait de les assommer avec ses gadgets.

Planche 7 de Superino
© Superino – Nicolas Keramidas et Lewis Trondheim – Dupuis

On sent que les auteurs se sont bien amusés à inventer les aventures de ce héros ridicule malgré lui, et à le mettre dans des situations loufoques… L’ensemble se lit avec un petit sourire amusé et distancié, quand certains passages font rire franchement par leur ton décalé, ou leur humour ouvertement scatologique. Le dessin pastiche les bandes dessinées de l’univers Disney, avec ses personnages anthropomorphes (le commissaire Cochonou par exemple, ressemble franchement au commissaire Finot dans l’univers de Mickey), ses lignes de mouvement et ses onomatopées omniprésentes. La colorisation en aplats, ainsi que le choix d’une trame de pointillés, renforce ce sentiment d’être face à une bande dessinée vintage. On soulignera enfin les efforts faits sur la couverture, avec impression en surbrillance et titre en relief, qui achèvent de donner à l’ensemble un côté sympathique et bon enfant.

Chronique écrite par Marie ENRIQUEZ

Informations sur l’album

  • Scénario : Lewis Trondheim
  • Dessin : Nicolas Keramidas
  • Couleurs : Brigitte Findakly
  • Éditeur : Dupuis « Tous publics »
  • Date de sortie : 16 septembre 2022
  • Pagination : 112 en couleurs
  • Format : 181 x 248

A lire aussi notre interview de Nicolas Keramidas à l’occasion de la sortie de l’album.

Vous pouvez discuter de l’album « Superino » sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.