En direct des histoires d’hier – 4e épisode – T3 de Jacques Le Gall (Les Naufrageurs)

« Les Naufrageurs » est la 6e et dernière aventure du héros Jacques Le Gall, imaginé par l’inarrêtable Jean-Michel Charlier, et dessiné par le discret MiTacq. Cette série, initiée en 1959, narre les tribulations d’un jeune scout vivant de folles péripéties dans des voyages qui lui feront faire le tour du monde.

Couverture de l'album Les Naufrageurs
Couverture de l’album Les Naufrageurs © Jacques Le Gall – Jean-Michel Charlier et Mitacq – Dupuis

 

Jacques Le Gall est ainsi le stéréotype des BD des années 60, où le personnage principal est un adolescent solitaire, sans parents, sans source de revenus ou expérience quelconque, qui vagabonde quand même autour du globe sans aucun souci matériel et va, naturellement, résoudre des intrigues sur lesquelles les polices internationales ou experts de tout ordre se cassent les dents depuis des mois, si ce n’est des années, voire des siècles (Jacques va en effet être carrément confronté au mystère des Templiers dans un des tomes !).

Page 3 de l'album Les Naufrageurs
© Jacques Le Gall – Jean-Michel Charlier et Mitacq – Dupuis

Cependant, l’histoire qui nous intéresse possède de multiples atouts pour être relue aujourd’hui. Dans cet album, Jacques, toujours en vadrouille, décide de camper quelques jours en solitaire sur une île des Baléares. Las ! La première nuit, une gigantesque tempête éclate, obligeant notre petit scout à sortir de sa tente pour fortifier sa base. Dehors, de nuit, sous une pluie démentielle, il est témoin d’un étrange événement : près des côtes, un cargo sombre et l’équipage – croyant le lieu où notre héros passe ses vacances, inhabité – sabote le canot de sauvetage. Poursuivi par les bandits qui voient en lui un témoin gênant de leur curieuse manigance, Jacques va enquêter sur les étranges activités des marins et comprendre que ceux-ci sont des « passeurs » de clandestins, opposants politiques dans une dictature africaine…

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© Jacques Le Gall – Jean-Michel Charlier et Mitacq – Dupuis

D’abord parue dans Pilote en 1966, cette aventure est republiée dans Le Journal de Spirou en 1980, avant d’être éditée dans l’excellente collection « Péchés de Jeunesse » chez Dupuis la même année. Si notre hebdomadaire favori a choisi de rediffuser une histoire datant de près de 15 ans, on peut légitimement se demander si elle ne pourrait pas aussi l’être encore de nos jours, 55 ans après son écriture, tant le sujet abordé y est brûlant et encore tout à fait d’actualité. Certes, l’album est à destination des jeunes de l’époque, et on y retrouve les fondements de la série décrits plus haut : Jacques est seul, et passe de l’Espagne à la France, puis au Maroc sans problèmes d’argent ni de transport (et sans valises !) ; arrive à obtenir un entretien avec un armateur sans que celui-ci ne soit surpris, et surtout, se fait déposer sur une île déserte par un marin qui ne se pose pas plus de questions que cela ! Cependant, le sujet, loin des autres aventures un peu naïves de la série, est fort : le drame des passages de migrants par des malfaisants cyniques. Bien sûr, le contexte des « Naufrageurs » est propre à son époque – la Françafrique – mais les enjeux, excellemment narrés par le grand Charlier restent toujours les mêmes aujourd’hui, comme on a pu le voir en novembre dernier avec un vaste réseau de passeurs a été démantelé, et où 27 migrants ont perdus la vie dans la Manche en s’embarquant sur des navires de fortune proposés par des bandits.

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© Jacques Le Gall – Jean-Michel Charlier et Mitacq – Dupuis

L’album, en reprenant ce grave sujet, n’est toutefois ni didactique, ni moralisateur. Si l’intrigue s’appuie sur une problématique forte, elle n’en reste pas moins distrayante, fondée sur l’aventure et l’action, dans le meilleur style de son talentueux scénariste qui savait comme personne développer une histoire de la façon la plus harmonieuse et agréable qui soit. Les dessins de MiTacq, précis, enlevés et dynamiques, renforcés par des couleurs magnifiques (notamment lors de la scène de la tempête) achèvent de rendre cette BD particulièrement attractive. Lire « Les Naufrageurs » permet ainsi de découvrir un sujet important d’une façon agréable et montre que les grandes BD sont éternelles. »

Page 6 du T3 de Jacques Le Gall
© Jacques Le Gall – Jean-Michel Charlier et Mitacq – Dupuis

Article écrit par Mathieu DEPIT

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