En direct des histoires d’hier – 3e épisode – T9 de Jean Valhardi (Le Mauvais Œil)

« Le Mauvais Œil » est la 4ème aventure de Jean Valhardi animée par Jijé après sa reprise de la série. Celle-ci, créée par le dessinateur en 1941 avec Jean Doisy au scénario, avait été confiée à Paape en 1946, avant d’être récupérée par son auteur originel en 1956. L’histoire qui nous intéresse est publiée dans Spirou en 1958, et scénarisée par le propre fils de Jijé, Philippe Gillain dit « Philip ».

Couverture de l'album Le Mauvais Œil
© Jean Valhardi – Jijé et Philip – Dupuis

Le Valhardi de cette seconde époque est bien différent du personnage simple et sympathique des débuts. Fini le costaud souriant à la poigne de fer, aimant le camping, et s’habillant en strict costume d’enquêteur pour une compagnie d’assurances. Ici, le héros est un grand et beau ténébreux à la parfaite coiffure blonde, fronçant les sourcils, riant peu, troquant le complet / cravate pour le blouson et le pull. Il n’a a priori pas de métier fixe, mais est une sorte de détective free-lance se laissant happer par l’aventure qu’il attire régulièrement à lui.

Planche 1 de l'album Le Mauvais Œil
© Jean Valhardi – Jijé et Philip – Dupuis

Dans « Le Mauvais Œil », elle vient littéralement le cueillir au coin de la rue, en la personne de Lee. Celui-ci, inventeur-espion entré par mégarde dans la bande de voyous d’un certain Baru, alpague directement Valhardi qu’il connait de réputation, pour l’aider à sortir des griffes des méchants. Dès lors, une course poursuite s’engage pour Jean, fidèlement accompagné du jeune adulte Gégène – remplaçant l’adolescent Jacquot, de la 1ère époque – pour libérer Lee du joug des bandits et comprendre le dessein de ceux-ci. Cette histoire d’espionnage, somme toute classique, prend un tout autre intérêt lorsqu’on s’aperçoit qu’elle comporte des éléments typiques de son époque de publication qu’il est amusant de constater avec l’œil d’aujourd’hui (et le bon !).

Planche 2 de l'album Le Mauvais Œil
© Jean Valhardi – Jijé et Philip – Dupuis

En effet, en cette fin des années 50, la concurrence est forte avec le rival « Tintin ». L’éditeur Dupuis, pour contrer son adversaire de papier, veut capter l’immense marché des lecteurs de l’hexagone, et mobilise ainsi Valhardi, premier des « AdS », pour se faire l’ambassadeur de Spirou auprès des jeunes français. Le détective et Gégène n’ont ainsi de cesse, dans cette histoire, de citer les noms de rues parisiennes, et vagabondent du côté du boulevard St Germain, du Quai de la Tournelle, ou bien du boulevard St Michel. L’album reproduit même un plan réduit de ce quartier de la capitale, pour bien montrer où se situe l’action. Aussi, le scénario de Philip reprend un marronnier des aventures policières de l’époque : la communication en langage morse. C’est en effet via des signaux lumineux que Baru correspond avec ses complices depuis une villa (un peu) isolée en utilisant ce code que Valhardi (faisant partie des rares privilégiés à le connaitre par cœur !) va évidemment déchiffrer pour poursuivre les bandits jusqu’en Angleterre.

Planche 3 de l'album Le Mauvais Œil
© Jean Valhardi – Jijé et Philip – Dupuis

C’est d’ailleurs cet épisode fondamental de l’album qui va être repris en couverture du n°1053 de Spirou, dessinée par Jijé lui-même. Rappelons qu’à cette époque, si la fiction utilisait allégrement le code morse pour fournir des indications précieuses aux personnages, celui-ci, dans le contexte de la guerre du Viet-Nam, a donné lieu à de multiples épisodes de bravoures répercutées dans la presse. Dorénavant, le morse est utilisé en grande majorité uniquement par les amateurs (dont les scouts, chers au Valhardi de la 1ère époque) et pour les situations d’urgence, mais son usage officiel pour le service maritime s’est éteint en 1999, et il n’est plus nécessaire de connaitre ce code pour obtenir une licence de radioamateur depuis 2012.

Planche 4 de l'album Le Mauvais Œil
© Jean Valhardi – Jijé et Philip – Dupuis

Ainsi, « Le Mauvais Œil », est une BD qui reprend les caractéristiques de son temps. Elle est aussi fondée uniquement sur l’action, présente un héros solide, fort et futé, et les femmes en sont quasi-absentes. Elle n’en reste pas moins un excellent divertissement, grâce à son rythme soutenu, à son intrigue simple et efficace, mais aussi et surtout à son atmosphère prenante et envoutante. Le trait de Jijé, familier, généreux et enlevé, allié aux couleurs sombres, mystérieuses et pénétrantes d’ambiances de nuit, permet une évasion dans la lecture que seuls les maitres peuvent procurer. En lisant « Le Mauvais Œil », le lecteur ressent ainsi, selon les bons mots d’Y. Chaland l’un des plus grands admirateurs du dessinateur, « à travers les arabesques vivantes et imprévisibles de son pinceau, la présence invisible et rassurante de Jijé ».

Planche 5 de l'album Le Mauvais Œil
© Jean Valhardi – Jijé et Philip – Dupuis

Article écrit par Mathieu DEPIT

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