Interview de Turk, à l’occasion de la sortie du tome 54 de Léonard

Se sentir comme le disciple face au génie à l’occasion d’une interview qu’il fallait inventer ? C’est chose faite, à la suite d’un merveilleux moment passé à découvrir le travail de Philippe Liégeois, le dessinateur de Robin Dubois, Clifton et Léonard le Génie, mieux connu sous le nom de Turk. Avec Zidrou au scénario, il nous a concocté une nouvelle aventure du célèbre inventeur…

Photo de Turk au dessin
Turk au dessin © Turk

Les Amis de la BD : Merci d’avoir pris du temps pour Les Amis de la BD. Vous suivez le groupe, sur Facebook ?

Turk : Oui, mais je suis sûrement très irrégulier.

Les Amis de la BD : Un nouvel album de Léonard le Génie paraît au mois de septembre. Je trouve la longévité de cette série incroyable.

Turk : Oui, ça étonne un peu tout le monde, l’éditeur aussi. Ça me ravit évidemment.

Les Amis de la BD : Ça fait déjà beaucoup d’albums, et vous restez toujours aussi imaginatifs, avec Zidrou comme scénariste actuellement. Ce n’est pas difficile d’enchaîner très régulièrement un nouvel album ?

Turk : C’est-à-dire qu’au fur et à mesure, on s’attache aux personnages et ça devient un peu comme une famille et c’est une famille dans laquelle je ne me dispute avec personne (rires), donc ça va toujours bien de mon côté. Tant que j’y trouve de l’amusement, je continue…

Les Amis de la BD : Par rapport à Robin Dubois, y a-t-il une raison pour laquelle Léonard le Génie continue davantage à perdurer ?

Turk : Robin Dubois avait beaucoup de succès à l’époque de Tintin parce qu’il était publié dans le magazine très régulièrement. Quand Tintin a disparu, les ventes de Robin Dubois ont baissé. Il y a eu une tentative de reprise par Borecki et Diaz, mais sans le magazine Tintin, ça n’a pas repris. Ceux qui aimaient la série le regrettent évidemment.

Les Amis de la BD : Et avez Zidrou, comment ça se passe ? Ça aussi, ça a dû être un changement de collaborer avec lui.

Turk : Ça se passe très bien. Avec De Groot, ça se passait très très bien aussi mais ils travaillent d’une façon différente. De Groot, c’est un ancien dessinateur, donc il faisait des croquis de ce qu’il pensait, ça me facilitait le travail. Il y avait déjà un premier stade qui était fait. Zidrou, lui, écrit donc j’ai un peu plus de boulot, mais il se débrouille très bien. Je ne m’attendais pas à une reprise aussi bien faite. Un peu comme s’il avait mis les pantoufles de Bob De Groot [rires], il est entré dedans facilement.

Les Amis de la BD : Quand vous recevez un scénario de sa part, vous ne vous sentez donc pas déstabilisé, puisque vous avez maintenant l’habitude de travailler ensemble.

Turk : Non, il a bien compris l’univers, il y a ajouté quelques trucs, il a tout pigé !

Les Amis de la BD : Comment voyez-vous ce qu’il a apporté, sa patte ?

Turk : Ce qu’il a apporté, ce sont quelques personnages nouveaux, comme Mozzarella, les deux bandits bêtes et méchants que j’aime beaucoup. (Je trouve qu’il n’en met pas assez avec ces deux-là). Tout en gardant les grands principes de la série, il a son style à lui, mais définir son style, c’est un peu compliqué, surtout quand la série demande de respecter un canevas.

Les Amis de la BD : Clifton, ce n’est pas dans les projets pour le moment ?

Turk : J’ai refait ces trois derniers albums car j’aimais le personnage et il me manquait! Quand Zidrou m’a proposé de m’écrire un scénario, j’ai sauté sur l’occasion.

Il y a eu un laps de temps assez grand entre le dernier album et celui qui va sortir en octobre « Le dernier des Clifton ». Pour moi, ce sera certainement le dernier. Le personnage appartient à la maison d’édition, ça lui permet de le confier à un autre auteur, ce qu’il s’est déjà produit par le passé. Je ne me consacrerai plus qu’à Léonard, c’est déjà pas mal.

Quelques albums de Turk
© Les Amis de la BD

Les Amis de la BD : Ça nous impressionne beaucoup que vous puissiez justement mener plusieurs bandes dessinées de front.

Turk : Quand on est jeune, ça va, on peut faire des nuits blanches, mais à mon âge, c’est autre chose. Déjà quand j’ai abandonné Clifton la première fois, ça devait être dans les années 80-90, j’ai dû laisser tomber car je faisais à la fois Robin Dubois, Léonard et Clifton. Trois albums par an, c’est trop pour un seul homme!

Les Amis de la BD : Auriez-vous d’autres projets, des choses que vous avez laissées dans les cartons, et pour lesquelles vous dites « c’est maintenant ou jamais ».

Turk : Non, franchement, si j’ai envie de faire autre chose, ce ne sera pas dans la bande dessinée, ce sera tout à fait autre chose. Pour le moment, je m’occupe de ma vieille coccinelle que je suis en train de customiser. Je la sors seulement quand il fait sec. Ça rouille vite ces vieilles machines.

Les Amis de la BD : Au niveau de la technique, comment travaillez-vous quotidiennement le dessin ?

Turk : Jusqu’à l’album 29 de Léonard, j’ai travaillé sur papier. J’ai abandonné le papier car on ne trouvait plus de bon papier, car je suis difficile à ce niveau-là. En plus, j’avais une maison au Sénégal, je travaillais la moitié du temps là-bas. Et emmener du papier là-bas ce n’est pas possible car avec l’humidité ça poche directement. Je suis passé à l’ordinateur et depuis, je travaille sur palette graphique.

Les Amis de la BD : Comment ça s’est passé pour vous adapter au travail sur ordinateur ?

Turk : Au départ, il faut emmagasiner pas mal d’informations, c’est comme apprendre à conduire, mais ce n’est jamais qu’un autre outil, comme il y a la plume, le pinceau. Ce que j’ai surtout voulu, c’est que ça ne se voit pas, mais je crois que ça s’est bien passé à ce niveau-là. Heureusement, un ami dessinateur (Didgé) m’a mis le pied à l’étrier.. Maintenant, je connais à peu près tout ce que je dois savoir pour être à l’aise.

Photo de l'interview
Photo de l’interview de Turk, avec notre intervieweuse Aurélie © Les Amis de la BD

Les Amis de la BD : C’est vous qui faites aussi les couleurs, ou pas ?

Turk : C’est mon épouse. On travaille en famille. On n’a pas d’horaires fixes. On travaille quand on veut, quand on peut. Mais on s’astreint quand même à une certaine discipline. Sans quoi on finit vite par ne plus rien faire.

Les Amis de la BD : La procrastination, ça vous ne connaissez pas alors ?

Turk : De temps en temps, il faut [rires]. Je viens de terminer ce dernier Clifton qui m’a demandé beaucoup d’énergie, il m’a pris un an ! En général, je fais un album en six mois, il était très compliqué. Quand j’ai eu fini, je me suis arrêté pendant trois semaines, j’ai un peu glandé !

Les Amis de la BD : Essayez-vous encore de votre point de vue de vous améliorer, notamment au niveau du dessin ?

Turk : Avec Léonard, la question ne se pose pas vraiment, parce que c’est déjà dans un canevas bien précis. Il y a toujours une évolution involontaire, bien sur, les personnages évoluent peu à peu. Si on regarde Léonard, au début, il était plus proche du style cartoon, les personnages étaient plus petits, plus ramassés. C’est aussi en fonction de ce qu’on leur fait faire, ils prennent des apparences qui doivent leur permettre de faire beaucoup de choses, donc il faut un style qui permet tout. Surtout dans le cas de Léonard, qui est un personnage qui explose dans tous les sens.

Les Amis de la BD : Y a-t-il des auteurs qui vous inspirent, dans les dessinateurs, … ?

Turk : Je suis toujours influencé, encore maintenant, par Franquin, Peyo et Tillieux. Surtout pour Clifton. Morris par exemple non, bien que j’admire son immense talent, Roba aussi, mais c’est plutôt l’école Franquin qui m’inspire.

Fresque de Léonard
© Les Amis de la BD

Les Amis de la BD : Lisez-vous les nouveautés ? Relisez-vous vos propres albums ?

Turk : Je relis mes classiques, oui! Je jette un coup d’œil au dessin dans certains albums quand je suis dans les magasins, mais je ne suis pas un fan, passionné, collectionneur, pas du tout.

Je relis seulement mes propres albums quand j’ai besoin d’un décor ou un personnage qui revient. A cette occasion-là, je me replonge un peu dans mes albums, mais les relire pour relire les histoires, non.

 

Les Amis de la BD : Bientôt le journal Tintin va sortir, vous allez le suivre de près ? Suivez-vous par ailleurs le journal Spirou ?

Turk : J’ai fait trois pages de Luc Orient! (Une parodie humoristique) Vous me demandiez si je faisais de temps en temps autre chose, eh bien voilà.

Spirou, je le suis, mais ça me déroute complètement. Je reste toujours avec l’idée du Spirou que j’ai connu, quand c’était Delporte qui était le rédacteur en chef. C’est une époque qui n’existe plus. C’est sans doute de la nostalgie.

Les Amis de la BD : Si vous suivez le groupe Les Amis de Spirou, vous auriez un petit mot à leur attention ? Ainsi que pour les dessinateurs en général ?

Turk : Qu’ils continuent à lire mes albums [Rires]. Qu’ils continuent à être passionnés et à lire beaucoup de BD. A ne pas se laisser influencer par ce qu’on dit, Il y a un mot qui me hérisse le poil, c’est « roman graphique ». D’abord, faudrait qu’on m’explique exactement ce que c’est, et puis, c’est un peu une sorte de snobisme pour ne pas dire qu’on lit de la BD! La bande dessinée, est un art qui est absolument ouvert dans tous les styles il n’y a aucune raison pour trouver ce genre d’appellation bidon.

Va-t-on retrouver les grandes séries, des grands succès comme Astérix, Tintin, je ne pense pas, car il y a tellement d’auteurs maintenant. Il y a eu Titeuf qui a fait un boum… Kid Paddle… Je n’aimerais pas débuter maintenant, je pense que je n’aurais probablement pas ma chance.

A ceux qui commencent, je leur dirais courage et de faire ce qu’ils aiment.

Couverture du tome 54 de Léonard
Couverture du tome 54 de Léonard, avec une jaquette portant le numéro 77 pour les 77 ans du Lombard © Léonard – Turk et Zidrou – Le Lombard

Les Amis de la BD : Si c’était à refaire, vous recommenceriez ?

Turk : Oui, car vu mes résultats scolaires, je n’avais pas beaucoup le choix. J’étais un peu paresseux de ce côté-là. J’ai toujours dessiné depuis vraiment tout petit. Mes parents m’ont raconté qu’alors que je ne savais pas encore parler, je réclamais déjà un crayon en m’exprimant par borborygmes. J’ai commencé le métier très tôt, à 15 ans, au bureau de dessin de Spirou,. C’était une autre époque! Je ne pense pas que ça pourrait encore se passer comme ça aujourd’hui.

Les Amis de la BD : Pourquoi n’êtes-vous pas au Festival de la BD à Bruxelles cette année ?

Turk : J’ai arrêté les séances de dédicaces, j’ai envie de procrastiner, Les festivals c’est l’occasion de se revoir entre auteurs et de faire la fête, mais à partir d’un certain âge, on supporte moins bien les gueules de bois! [rires].

Propos recueillis par Aurélie DORCHY

Vous pouvez discuter de l’interview de Turk sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.