Interview de Jérôme Pélissier et Carine Hinder, les auteurs de la série Brume
Brume est une série dont le premier tome a été publié chez Glénat en avril 2023. Un premier opus réussi qui a reçu un bon accueil du public et qui a été élu BD du mois par l’équipe des Amis de la BD. Rencontre avec ses dynamiques auteurs, Carine Hinder et Jérôme Pélissier.
Les Amis de la BD : Je débute par la dernière question que j’avais prévue de vous poser : Comment avez-vous appris que Brume était l’album du mois des Amis de la BD ?
Jérôme Pélissier : Je crois que c’est par Instagram qu’on a vu passer ça. C’est très flatteur, car C’est notre première bande dessinée. Plus largement, on ne s’attendait pas à un tel engouement.
Les Amis de la BD : Quels retours avez-vous reçu lors de dédicaces, en festival ?
Carine Hinder : On a planing de dédicace qui sort de l’ordinaire, on est sur le front toutes les semaines. C’est vrai qu’on ne s’attendait pas à un tel succès. Lors de mes premières dédicaces à Lyon, j’étais troublée, je tremblais…
Jérôme Pélissier : Le retour des lecteurs est vraiment très important, notre travail en devient moins abstrait. Vraiment, on est très flattés.
Les Amis de la BD : Vous venez tous les deux du domaine de l’illustration. Pouvez-vous nous expliquer le parcours qui vous a mené à la bande dessinée ?
Carine Hinder : Pour ma part, c’est un souhait que j’avais depuis très longtemps. J’ai démarré avec un blog BD. C’était un espace où l’on pouvait publier de petit strip. C’était une belle occupation pour m’amuser, mais je ne pensais pas que ça me mènerait à la BD.
Les Amis de la BD : Aviez-vous reçu des propositions pour en faire ?
Carine Hinder : Effectivement, j’ai reçu des propositions mais sur des sujets qui ne me parlaient pas. Toutefois, cette expérience m’a mis un pied à l’étrier pour démarrer dans la littérature jeunesse, cela me convenait mieux. En BD, il faut une certaine aisance dans le dessin.
Jérôme Pélissier : Me concernant, la BD trottait toujours dans un coin de mon esprit, mais je ne me sentais pas légitime. Je suis illustrateur. Avec la BD, on repart de zéro. Je n’osais pas me lancer à cause du temps que cela peut prendre.
Les Amis de la BD : Alors, comment a démarré l’aventure avec Brume ?
Carine Hinder : Au départ, j’ai demandé à Jérôme de m’écrire une histoire en vue de concevoir un album jeunesse classique. C’était précis, je souhaitais un récit qui se déroule dans la brume, inspiré de notre lieu de vie, en Bretagne. C’est un travail que j’imaginais réaliser à l’aquarelle.
Les Amis de la BD : Et le projet s’est transformé en bande dessinée ?
Carine Hinder : Jérôme a écrit une histoire géniale. Mais, c’était un peu trop dense pour un livre illustré. On s’est donc orienté sur la BD. Une véritable découverte !
Jérôme Pélissier : Nous nous étions donnés un mois pour présenter un dossier aux éditeurs. On s’est tellement marré pour réaliser les planches qu’on s’est décidé pour changer le support.
Les Amis de la BD : Est-ce que, justement, ça « fout la trouille » de se lancer dans une telle aventure, sachant que vous n’aviez jamais réalisé, ni l’un, ni l’autre de BD ?
Jérôme Pélissier : C’est vrai, il faut l’avouer, on n’était pas à l’aise.
Carine Hinder : Oui, mais seulement au départ. Ensuite, Jérôme a réalisé un pré-storyboard tellement canon que j’ai trouvé ça facile, finalement. On avait une base de départ très solide sur laquelle intervenir et travailler.
Jérôme Pélissier : Encore une fois, toute mon expérience est dans le domaine de l’illustration. Pour s’illustrer dans un art, c’est vraiment plusieurs années de travail. Je pensais qu’il nous faudrait le même temps pour atteindre ce niveau en BD. J’ai eu peur de toutes les erreurs de débutant que nous aurions pu faire – ou que nous avons peut être faits.
Les Amis de la BD : Est-ce difficile de se lancer avec cette crainte ?
Carine Hinder : Des erreurs, il y en a. Mais je me sentais assez aguerrie pour m’amuser. Donc, j’ai pu me lâcher. Pour la première fois, nous avions aucune contrainte. J’ai donc saisi cette liberté. Je me suis davantage orienté sur le cartoon par rapport à mes habitudes.
Les Amis de la BD : Pour toi, Jérôme, n’était-ce pas frustrant de ne pas dessiner cette histoire ?
Jérôme Pélissier : C’est toujours un peu frustrant pour un dessinateur de ne pas dessiner ses images en entier. Mais, j’ai des projets d’albums à côté et j’ai des contrats d’illustration. Le deal tacite sur Brume est que chacun utilise ses propres forces de manière à arriver à un projet le plus abouti possible.
Les Amis de la BD : Et de ton côté, Carine, toi qui voulais un projet à l’aquarelle, pas de regret ? Surtout que les couleurs sont assurées par Jérôme.
Carine Hinder : Non, je vis ce travail comme un cadeau. Les couleurs réalisées par Jérôme sont tellement plus belles !
Les Amis de la BD : Justement, comment s’est déroulée la collaboration ? De nos jours, le scénariste et le dessinateur vivent parfois à des centaines de kilomètres l’un de l’autre. Ce qui n’est pas votre cas…
Jérôme Pélissier : Ben… on travaille à une distance approximativement de deux mètres l’un de l’autre… C’est une force dans notre travail et dans notre couple. On s’interroge régulièrement afin d’avoir un conseil ou un avis sur nos différentes étapes de travail.
Carine Hinder : Quand Jérôme travaille sur son scénario, il me pose beaucoup de questions. À l’inverse, lorsque je suis sur le dessin, je lui demande régulièrement son avis sur telle ou telle expression d’un personnage.
Jérôme Pélissier : On travaille ensemble en temps réel, c’est nettement plus réactif. Dans notre binôme, on apporte également le recul nécessaire sur le travail de chacun. C’est très utile pour voir les défauts son de propre travail.
Les Amis de la BD : Comment travaillez-vous le découpage et ce travail autour d’une planche ?
Jérôme Pélissier : Le pré-story bord est assez poussé, il comporte également les textes. Je lui transmets ces pages avec un premier découpage. Je laisse à Carine le travail de cadrage pour les plongées, contre-plongées etc.
Carine Hinder : Parfois, je revois le découpage en fonction de mon ressenti. J’ajoute des cases, j’en intervertis d’autres, c’est une partie sympa de mon travail.
Les Amis de la BD : Carine, quel est ton support pour dessiner, plutôt numérique ou « traditionnel » ?
Carine Hinder : Pour Brume, j’ai clairement travaillé avec l’ordinateur. C’était une manière de prendre confiance en moi pour un travail qui m’était inconnu.
Les Amis de la BD : Et par quelles phases es-tu passée pour trouver les traits de tes personnages ?
Carine Hinder : Pour travailler Brume, j’ai fait passablement d’essais. Il fallait qu’elle soit à la fois drôle, attachante et qu’on ressente son caractère de feu. Pour le personnage d’Hubert, c’est venu plus rapidement. Pour Hugo, je n’ai fait qu’un seul croquis, j’étais à la plage, à Nice.
Les Amis de la BD : Et il y a également tout l’univers dans lequel évoluent les personnages, notamment le village…
Carine Hinder : Eh bien là, je me suis inspiré de notre village. J’ai réalisé un gros croquis, puis aussi un plan très concret. Tout, comme certains villageois sont directement inspirés de nos connaissances. C’est une manière de donner corps à la BD.
Les Amis de la BD : Comment avez-vous atterri dans ce coin de Bretagne ?
Jérôme Pélissier : C’est le hasard. On cherchait à quitter la région parisienne. On cherchait un village style plus beau village de France avec des artisans et des artistes, quelque chose dans le genre. Une alerte automatique nous a donc mené jusqu’à Rochefort-en-Terre, source d’inspiration du village de Brume.
Les Amis de la BD : Cet album est donc une belle carte de visite pour votre région?
Jérôme Pélissier : L’office du tourisme nous a même informé que des touristes ont débarqué, ici, après avoir lu la BD.
Les Amis de la BD : Comment on réagi les villageois que vous avez croqués dans l’album ?
Carine Hinder : C’était un très beau succès. Certains villageois étaient très reconnaissables, d’autres un peu moins. Le vendeur de chaudron est celui qui est le plus facilement identifiable. Pour les gens de notre village, ça rendait l’histoire vraiment très concrète. Et ça continue dans le tome 2.
Jérôme Pélissier : Avec d’autres concitoyens, nous avons organisé un festival de BD dans le village, avec des planches de Brume exposées dans le château. Le succès à été incroyable, en une après-midi, nous avons dû dédicacer une centaine d’albums.
Les Amis de la BD : Si on revient sur votre travail sur Brume. Comment s’est déroulé la mise en couleur par Jérôme, sur des indications de Carine ou sur celle de Jérôme-le-scénariste ?
Jérôme Pélissier : Pour les couleurs, je m’accorde la liberté de faire ce que je veux. C’est un domaine dans lequel je suis sûr de moi. Parfois, si Carine m’indique que c’est trop terne et que j’estime qu’elle a raison, alors je change.
Carine Hinder : Je donne simplement quelques indications sur les ombres. D’ailleurs je place plutôt des calques de texture, pas forcément des ombres.Je reste sobre pour offrir un maximum de liberté. On travaille à deux, mais sur ce sujet, je laisse faire Jérôme.
Jérôme Pélissier : La mise en couleur est une étape très importante pour moi. J’aime réfléchir sur la lumière, sur la manière dont la scène est éclairée, j’adore ça.
Les Amis de la BD : Et si Carine place, par exemple une fenêtre, dans un endroit où cela ne vous convient pas ?
Jérôme Pélissier : Ca m’est arrivé de déplacer une source de lumière qui ne me convenait pas.
Les Amis de la BD : À quand le prochain tome de Brume,
Jérôme Pélissier : Le tome 2 sortira en janvier 2024. Actuellement, je travaille sur le pré-story board du tome 3. Les trois premiers albums de Brume suivent un fil rouge qui se conclura à l’issue de cette trilogie. Si on nous demande de continuer, on partira sur une autre histoire des aventures de Brume.
Les Amis de la BD : Carine ne souhaites-tu pas écrire un des albums ?
Carine Hinder : Pour l’écriture, clairement non. En revanche, ça serait un rêve de publier un album de Brume tous les ans. Son univers est magique, il a beaucoup à développer. Longtemps, je me suis demandée comment les auteurs pouvaient travailler une série sur le long terme… Maintenant, je sais. Il y a tant à faire pour Brume.
Les Amis de la BD : et quels sont vos prochains projets respectifs ?
Jérôme Pélissier : Je collabore avec David Bry sur une série de romans pour la jeunesse, Le Clan du Chaudron qui est édité chez Nathan. Nous travaillons actuellement à l’écriture du 3e tome. J’illustre également une nouvelle édition des livres audio de Marlène Jobert. Et j’ai d’autres projets en tête.
Carine Hinder : Je continue mon travail d’illustratrice pour une collection de chez Hachette. J’ai également différents contrats pour réaliser des couvertures ou des illustrations pour des jeux vidéos. Ce sont des travaux qui rythment mon année. C’est un peu récréatif entre deux aventures de Brume.
Les Amis de la BD : N’est-ce pas difficile pour toi, Carine, de passer d’un univers à l’autre ?
Carine Hinder : La question est intéressante. D’avoir dessiné Brume a eu deux implications sur mon travail : tout d’abord, j’ai vraiment le goût de dessiner dans le style que j’ai développé pour Brume. C’est vraiment un style qui s’est affirmé et qui est très différent de mes autres projets. Ensuite, je suis un peu plus perdue dans les couleurs. Grâce à Brume, je me remets en question, c’est très positif et c’est une véritable évolution dans mon travail.
Les amis de la BD : Pour terminer, avec les différentes illustrations, vous m’avez envoyé une photo un peu particulière. Celle de la « vraie » Naia. Qui était-elle ?
Carine Hinder : Cette personne nous a énormément inspirée. Elle vivait dans les ruines d’un château pas loin de chez nous. C’était l’une des dernières sorcières de France. D’après le photographe qui a tiré son portrait, c’était une vraie sorcière. Toutefois, on s’est rendu compte qu’elle manipulait son petit monde en utilisant notamment la ventriloquie. Naia fait clairement partie de la genèse du projet.
Propos recueillis par Bruce RENNES
A lire en complément de l’interview, notre chronique du premier tome de Brume