En direct des histoires d’hier – 6e épisode – T1 de Brice Bolt

« L’archipel de l’épouvante » est le 1er tome de l’éphémère série Brice Bolt. Parue dans Spirou entre 1970 et 1971, elle est issue de l’imagination fertile du génial Jean-Michel Charlier qui collaborait là pour la première fois avec le dessinateur espagnol Artur Aldoma Puig. Ce premier opus raconte les péripéties d’un journaliste – Brice Bolt – et d’un de ses confrères cherchant à découvrir le mystère de l’apparition d’effrayants crabes géants sur un archipel perdu au milieu de l’océan Pacifique. Frissons, terreur et atmosphère angoissante accompagnent les lecteurs tout au long de cet opus qui s’achève dans le 2ème et dernier album de la série portant le titre horrifique de « L’empire de Satan ».

Couverture du T1 de Brice Bolt
© Brice Bolt – Jean-Michel Charlier et Aldomà Puig – Dupuis

L’intrigue garde le schéma classique du journaliste qui cherche à résoudre un mystère incroyable dans un exotisme assez convenu tout en introduisant certains relents fantastiques que l’on retrouvera dans de multiples titres de BD ou de films de série B qui pulluleront tout au long des 70’s et 80’s. Malgré son aspect précurseur, Brice Bolt n’a pas permis à son dessinateur de se faire connaitre, et ne figure pas dans les meilleures pages de l’impressionnante bibliographie de son illustre scénariste. Celui-ci, use en effet dans « L’archipel de l’épouvante » d’une ficelle scénaristique qui serait aujourd’hui complètement dépassée, voire boudée.

Page 3 du T1 de Brice Bolt
© Brice Bolt – Jean-Michel Charlier et Aldomà Puig – Dupuis

Ainsi, au début de l’album, si Brice se lance sur la piste d’inquiétants monstres surgis au bout du monde, c’est parce que lui et toute l’équipe de son journal « L’éclair » viennent de se prendre une soufflante par leur rédacteur en chef concernant la une du quotidien qu’on lui propose : la canicule. Plutôt que de titrer sur ce sujet jugé anecdotique, dont il compare l’intérêt aux « chiens écrasés », il envoie donc Brice sur le mystère des crabes géants. Si Charlier a été avant-gardiste, notamment dans ses histoires d’aviation, force est de reconnaitre qu’ici, il n’a pas eu le nez creux en traitant la canicule de façon humoristique. Pour la défense du grand scénariste, on peut dire que lorsqu’il écrit Brice Bolt, en 1970, le réchauffement climatique est loin de faire les grands titres. L’Europe n’a alors pas encore connu le suffoquant été 1976, et le réchauffement climatique est quasiment inconnu de tous. Il faut attendre 1988 pour voir la création du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et 1992 pour le premier « Sommet de la Terre », à Rio. S’en suivront une prise de conscience plus affirmée avec notamment le protocole de Kyoto en 1997 et la COP21 en 2015. Parallèlement, médias de toutes sortes s’alignent sur le phénomène pour le souligner et, contrairement au rédacteur en chef de Brice Bolt, tous s’accordent pour alerter sur la canicule et ses dangers, comme on a encore pu le voir en France en mai et juin dernier.

Page 4 du T1 de Brice Bolt
© Brice Bolt – Jean-Michel Charlier et Aldomà Puig – Dupuis

Cet épisode un peu bancal sur le climat n’est cependant pas le seul élément étonnant de la BD pour l’œil d’aujourd’hui, ou pour le collectionneur. Ainsi, les clichés de l’horreur – animaux effrayants, peuples exotiques cannibales, dangers multiples venus d’ailleurs – sont légion dans ce titre qui, par la science de la narration de Charlier se lit toutefois agréablement. Le plus étonnant reste cependant que Brice Bolt a, à la base, été créé comme remplaçant de Marc Dacier, le fameux reporter globe-trotter présent dans Spirou de 1958 à 1967. Son dessinateur Paape ayant rejoint Tintin, il avait été décidé la conception d’une nouvelle série censée développer le même univers plutôt que de reprendre ce classique. Cependant, les 2 séries ne sont pas vraiment alignées, au moins sur la forme. L’entrainant et gentillet Marc Dacier, sous le trait lisse et régulier de Paape n’a pas grand-chose à voir avec l’ambiance de Brice Bolt illustrée de façon énergique par Puig, utilisant des couleurs sombres et inquiétantes, peu communes à l’époque dans Spirou. Il est en effet difficile de penser le jeune et sympathique reporter aux sourcils broussailleux évoluer dans une atmosphère violente à la traque de monstres d’opérette dans un univers hostile et fantastique…

Page 5 du T1 de Brice Bolt
© Brice Bolt – Jean-Michel Charlier et Aldomà Puig – Dupuis

Traitant d’un sujet tranchant quelque peu avec les poncifs de la BD du moment, Brice Bolt ne trouvera jamais son public. Ne sachant encore pas qu’ils découvriraient, avec joie cette fois, les classiques de l’épouvante quelques mois plus tard dans Archie Cash, les lecteurs de Spirou rejetèrent en bloc la série de Charlier et Puig, dont les 2 seuls tomes ne seront publiés que bien après leur publication dans Spirou, en 1984 dans la collection « Dupuis Aventures ». Reste le bonheur de (re)découvrir une histoire un peu inconnue de l’immense Charlier, et le talent d’un dessinateur n’ayant que très peu travaillé sur de la bande dessinée.

Page 6 du T1 de L'Archipel de l'épouvante
© Brice Bolt – Jean-Michel Charlier et Aldomà Puig – Dupuis

Article écrit par Mathieu DEPIT

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