Black House – T1 d’American Parano
Les États-Unis d’Amérique sont un territoire naturellement propice à la fiction. Ce pays, par ses dimensions, sa diversité et ses multiples cultures, permet aux raconteurs d’y imaginer aussi bien les crimes les plus sordides que la saga romanesque la plus épique ou la passion amoureuse la plus forte. L’Histoire pourtant encore jeune de ce qu’on appelle « le nouveau monde » permet d’élargir encore le champ des possibles de l’imaginaire tant elle fourmille d’évènements iconiques, incroyables ou irréels. La nouvelle série « American Parano » exploite les ressorts de ce théâtre inépuisable en plaçant l’intrigue de son premier tome Black House, dans le San Francisco de la fin des années 60.
En ce matin du 10 mai 1967, une femme est découverte morte au pied du célèbre pont du Golden Gate, nue et portant un signe satanique sur le ventre. L’enquête est confiée au lieutenant Ulysses Ford et à la jeune policière Kim Tyler, pour qui ce drame est la première mission. Les soupçons de Ford se portent d’emblée sur Baron Yeval, sorte de gourou escroquant des ouailles crédules et complètement désaxées qu’il reçoit dans une maison peinte en noir, qui tranche avec les maisons victoriennes colorées habituellement visibles dans la célèbre ville californienne, sinistrement nommée « Eglise de Satan ». Tandis que l’enquête avance difficilement et que d’autres crimes similaires sont commis, Ford, saisi par un infarctus, laisse Kim seule face à la réalité sordide d’un possible serial killer diabolique. Dans un monde d’hommes machos au possible, isolée dans une ville à l’atmosphère étrange mélangeant dangers et menaces latentes, la jeune inspectrice va devoir lutter pour ne pas perdre son âme, comme jadis son père, lui-même policier dont la mort reste un mystère.
Une ville de tous les dangers
Le scénariste Hervé Bourhis plante le décor du premier opus d’American Parano dans un cadre parlant à l’imaginaire collectif. Mais il n’est pourtant pas question de la Californie ensoleillée « Flower power » ou du San Francisco hippie, pionnière des mouvements de libération des mœurs. Kim évolue dans une ville inquiétante où le danger rode et où tout peut basculer à tout moment, comme dans un terrain miné. L’auteur crée un climat suffocant fait de moiteur, de menaces potentielles et de mauvais coups qui peuvent surgir au coin de la rue. La jeune héroïne navigue dans une citée où maisons et bâtiments sont aussi inhospitaliers que ses collègues misogynes, et où rien ne se passe comme prévu, comme si une malédiction planait sous le ciel lourd de la « City by the bay ». Entre ventilateurs cassés, repas indigestes, perte du seul ami qu’elle avait et intrigue qui semble, sans qu’elle sache pourquoi, se rattacher à son histoire personnelle, on ressent à la lecture la confusion s’emparer de Kim, qui doit lutter contre elle-même pour garder le courage de poursuivre son enquête, dans un univers on ne peut plus hostile.
Les couleurs du drame
Le dessin de Lucas Varela, par sa simplicité apparente, permet au lecteur de s’ancrer dans l’histoire avec d’autres clefs qui lui donnent des sensations presque étranges. D’un abord lisible au premier coup d’œil, le graphisme souligne le caractère ambigu du scénario. A priori, les données de l’enquête sont simples : des crimes sataniques ont lieu, et Yeval, maître d’une secte, ne peut qu’être le responsable des massacres, ce que même une jeune flic comme Kim peut découvrir. A posteriori, est-ce vraiment si simple ? Les détails ont toute leur importance et le dessin de Varela le démontre parfaitement. Certains décors sont plus détaillés que d’autres, l’expression des personnages, dont Kim, donne à penser que derrière le voile, des histoires plus complexes sont là et que la noirceur sous-jacente peut venir frapper là où on ne l’attend pas forcément. Les couleurs du natif de Buenos Aires sont, à cet effet, parfaitement réussies : brunes, sans fioritures, jamais exubérantes, comme si la fameuse couche de brume qui parasite constamment San Francisco indiquait que le danger est là, palpable. Seules les bulles bleu électrique narrant les émissions d’une radio religieuse prônant l’amour apporte de la couleur. Toutefois, Cette dominante de cyan s’amalgame également aux vêtements ou même au physique de certains protagonistes du récit apportant, là encore, une touche dramatique supplémentaire. Portée par la voix radiophonique, San Francisco est le reflet de l’opportunisme des USA d’alors, vantant l’amitié, la famille modèle de société de consommation, quand le pays, en guerre au Viêt-Nam, était ravagé par une folle violence. La rousseur et les yeux bleus de Kim dans cet univers terne nous incitent à croire qu’elle est la seule innocente d’une histoire dramatique, mais le pardessus et les habits sombres qu’elle s’impose montrent encore une fois qu’il ne faut pas se fier aux apparences.
American Parano, par son histoire dramatique, plonge avec brio le lecteur dans un univers connu, sans provoquer un sentiment de déjà-vu. Plus proche de « Zodiac » que de « Dirty Harry » ou « Bullitt », elle montre une ville de San Francisco sombre, inquiétante et d’où le mal peut à tout moment surgir. « Fog City », et ses quelques 5 millions d’habitants, est un personnage à part entière d’un récit dans lequel Bourhis et Varela racontent plusieurs histoires en une : celle personnelle de Kim Tyler se heurte avec la seconde, l’enquête à résoudre. Le tome 2, déjà attendu, promet, après cet essai réussi, bien des surprises et émotions.
Chronique écrite par Mathieu DEPIT et Bruce RENNES
Informations sur l’album
- Scénario : Hervé Bourhis
- Dessin : Lucas Varela
- Couleurs : Lucas Varela
- Éditeur : Dupuis
- Date de sortie : 22 mars 2024
- Pagination : 64 en couleurs
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