Tintin, l’aventure immersive

Tintin, l’aventure immersive aux Carrières des Lumières, les Baux de Provence

Culturespaces, société spécialisée dans la gestion en délégation de service public de monuments historiques, a lancé en 2022 un partenariat avec Tintinimaginatio (anciennement Moulinsart, entreprise de Nick Rodwell propriétaire des droits d’Hergé) pour créer ce qu’on appelle une « exposition immersive » aux Ateliers des Lumières à Paris. Culturespace étant aussi délégataire des Carrières de Lumières aux Baux de Provence, dans les Bouches du Rhône, il était naturel de faire venir Tintin dans ce lieu emblématique des Alpilles avec Tintin, l’aventure immersive.

D’abord, le lieu : utilisées initialement pour extraire les pierres de calcaire nécessaire à la construction du Château de la Cité des Baux, les carrières des Bringasses sont mises à l’arrêt dans les années 30. Restent donc aujourd’hui de véritables cathédrales creusées dans le rocher, dont la beauté fascine jusqu’à Jean Cocteau qui en fera un décor de cinéma. C’est en 1975 qu’un journaliste, Albert Plécy, a eu l’idée d’utiliser ces monumentaux murs de calcaire et ces grandes pièces fermées pour des spectacles son-et-lumière : la Cathédrale d’Images. Au cours de longs et pénibles démêlés judiciaires(1), Cuturespaces a récupéré la concession et modernisé la technique pour proposer ce qu’ils appellent des « expositions immersives » consistant en la projection, en musique et en animation, d’images numériques sur les beaux murs de calcaire blanc de ce qu’ils ont renommé les Carrières des Lumières.

Van Gogh, Chagall, De Vinci, Klimt, Vermeer… font partie de la liste (non-exhaustive) des peintres qui ont fait l’objet d’une présentation moderne et innovante dans ce cadre, dans un souci de vulgarisation et d’accessibilité au plus large public. L’œuvre d’Hergé, considérée comme un sommet du pop-art européen, prend du grade en figurant désormais dans cette liste très sélective.
Il convient donc de prendre des précautions en parlant d’« exposition ». Il ne s’agit pas, on l’aura compris, d’exposition d’originaux ni même de reproductions des œuvres originales d’Hergé, mais bien d’une projection, d’un spectacle, d’une attraction entièrement numérique dont le principe réside dans la réinterprétation et la mise en valeur de l’œuvre par des graphistes spécialisés en mapping(2). La collaboration avec Tintinimaginatio (dont on sait l’exigence parfois excessive dont ils font preuve sur l’intégrité et le respect de la marque) garantit un respect à toute épreuve de l’univers de Tintin, entièrement numérisé et animé par Spectre Lab (société française de mapping et de motion design qui a déjà fourni pas mal de matériel aux centres d’arts numériques de Culturespaces). Le résultat est à la hauteur des attentes : le spectateur/promeneur est invité à déambuler dans les centaines de mètres carrés de l’espace intégralement recouvert d’images qu’il connaît probablement par cœur, mais qui prennent une dimension (au sens propre comme au figuré) surprenante. La ligne claire d’Hergé, dont il reste un maître inégalé, dévoile tout son pouvoir dramatique et sa puissance narrative sur des murs de 14 mètres de haut (7000 m2 de surface de projection au total).

Organisée en chapitres, l’exposition enchaîne les tableaux reprenant et animant les scènes classiques, voire culte, des aventures de Tintin. Des origines en Russie soviétique aux plus récents extraterrestres, le parcours nous fait traverser l’Amérique, l’Égypte, la Lune… mais aussi propose des intermèdes thématiques sur les célèbres antagonistes (Rastapopoulos en tête), les plus beaux costumes ou un florilège de jurons. Les effets d’animation créés par la technologie numérique moderne sont du meilleur effet, à quelques exceptions près, ce qui est plus qu’on ne peut en dire des dessins animés traditionnels qui étaient trop rarement parvenus – et c’est un comble – à restituer le dynamisme des albums. L’habillage musical, fabuleuse bande originale de la deuxième moitié du XXème siècle, provient de la discothèque personnelle d’Hergé, ses rayonnages comprenant des albums des Beatles, de Pink Floyd, de David Bowie et de Creedence Clearwater Revival, entre autres. Ainsi des tubes pop, rock, new age et psychédéliques, soigneusement sélectionnés, accompagnent tour à tour les images, créant des atmosphères bluffantes à des scènes pour lesquelles le silence est habituellement de rigueur.

L’exposition se veut familiale : programmée aux Baux de Provence les après-midi des vacances de Pâques de la zone B, puis le reste de l’année les mercredi, samedi et dimanche après-midi (3), l’accent est mis sur la sortie en famille quand il n’y a pas école. Les plus âgés (les enfants de la tranche de 40 à 77 ans – on rappelle que c’est contractuellement la limite) vont se régaler de la nouvelle dimension que prennent ces aventures vécues maintes fois sur papier, vont redécouvrir l’univers, analyser le croisement des références, admirer l’habileté du montage, critiquer la pertinence de certains passages, reconnaître la virtuosité de certains autres… Les plus jeunes (de 7 à, disons, 12 – toujours dans le respect de la consigne) vont être épatés de l’ambiance colorée, dynamique et musicale dans laquelle ils vont être immergés, découvrir avec curiosité ces personnages dont ils auront entendu leurs parents parler. Entre les deux, il y a les lecteurs de mangas.

Interrogé sur la cible de l’exposition et l’objectif concernant ce public difficile, Yves Février, responsable du pôle édition numérique chez Tintinimaginatio, reconnaît que vu l’ancienneté de Tintin, dont la dernière aventure achevée a été publiée en 1977, les adolescents et jeunes adultes se sentent moyennement concernés par ce genre de grands classiques. Cependant M. Février estime que l’attaque strictement visuelle de l’exposition (seules quelques bulles sont reproduites) a des vertus : celle de montrer à ces jeunes que le style d’Hergé est riche, expressif, puissant, et « qu’Hergé existe ». C’est effectivement un bon début. « Les jeunes ont une appréhension visuelle du monde. Même pour choisir leur smartphone, ils se basent en priorité sur une photo. Avec un peu de chance, leur faire découvrir Tintin d’abord par l’image leur donnera l’envie d’aller voir les albums de plus près. » Il ajoute que Tintinimaginatio noue également des partenariats avec la Comédie Française et FranceCulture pour la production de feuilletons radiophoniques adaptés de Tintin. Le public n’est pas le même, mais les podcasts de ces pièces radiophoniques détiennent le record de téléchargements dans la catégorie « fiction » sur FranceCulture depuis le lancement de ce service. La création de l’exposition immersive constitue donc un media complémentaire (l’image après le son) et, selon M. Février, « une étape très importante pour l’entreprise dans la diversification de l’univers ». Il faut avouer qu’avec la volonté d’Hergé de ne pas laisser son œuvre être reprise après lui, scrupuleusement respectée par ses ayants-droits, le renouvellement de la marque relève du casse-tête. Ayant épuisé les possibilités de réédition des albums (petits formats, coffrets, intégrale-bottin, fac-similés des éditions originales, remaniement de l’album inachevé « Tintin et l’Alph’art »…) et fait une incursion dans la presse périodique (4), la voie du numérique s’impose comme une aubaine. Le résultat est jusque-là convaincant, tant artistiquement que commercialement, puisque la précédente version à Paris aux Ateliers des Lumières a largement dépassé les 200 000 spectateurs.

Il est donc conseillé aux visiteurs de réserver à l’avance, sur le site des carrières (places limitées), de prévoir un petit budget également, sachant que la mairie n’a pas facilité les choses : le parking est tout récemment devenu payant, et pas qu’un peu (5€ la première heure, 1€ puis 0,5€ les suivantes). Assez dissuasif en particulier pour les habitués de la région qui constituent une part non négligeable des visiteurs des carrières.

Reportage de Philippe BARRE

Informations pratiques :

Plein tarif : 14,50 € ; Tarif senior : 13,50 € (+ de 65 ans) ; Tarif réduit : 12 € (jeunes de 7 à 25 ans inclus, étudiants, demandeurs d’emploi) ; Tarif famille : 41 € (2 adultes + 2 jeunes) ; Gratuit pour les moins de 7 ans et pour les porteurs d’une carte d’invalidité.

Vous pouvez discuter de notre reportage « Le pasteur sanglant – Soda » sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.


Photos : Philippe Barre
Les visuels extraits de l’œuvre d’Hergé sont © Hergé / Tintinimaginatio – 2023

  • (1) ..où la mairie des Baux et Culturespaces ont été condamnés
  • (2) Technologie multimédia permettant de projeter de la lumière ou des vidéos sur des volumes, de recréer des images de grande taille sur des structures en relief, tels des monuments, ou de recréer des univers à 360° (Wikipédia)
  • (3) À partir de 14h, diffusion en boucle
  • (4) « Tintin c’est l’aventure », trimestriel en partenariat avec GEO et Prisma Presse