Du feu sur la glace – T67 des Tuniques Bleues

Quand on parle de la guerre de sécession, on pense surtout aux deux forces armées opposées : Nordistes contre Sudistes, Yankees contre Confédérés, tuniques bleues contre grises. Rares sont ceux encore aujourd’hui qui se soucient du sort des indiens (ou américains natifs) pris entre les deux feux. Le nouvel album des Tuniques Bleues tente de soulever la question de ces tribus indiennes qui, à l’occasion, ont pris parti pour l’un ou l’autre camp.

Couverture du T67 des Tuniques Bleues
Couverture du T67 des Tuniques Bleues © Les Tuniques Bleues – Lambil et Kris – Dupuis

Le sergent Chesterfield n’est pas dans son assiette : obligé de remplacer le capitaine Stark en tant que meneur de charges la plupart du temps suicidaires, ce dernier ayant « besoin de repos », notre Cornelius voit se développer chez lui les mêmes symptômes, ceux de la maladie du « soldat trop longtemps exposé au feu, à la violence et à la mort ». Devant la nécessité de l’écarter de la guerre, Chesterfield et Blutch sont sélectionnés d’office pour escorter un géographe chargé de cartographier des terres indiennes inexplorées qui, aux dernières nouvelles, sont le théâtre de nouvelles batailles entre indiens d’allégeances opposées. Ah, on allait oublier : le géographe Clure est un anar communiste et antimilitariste de la plus belle espèce…

Page 3 du T67 des Tuniques Bleues
© Les Tuniques Bleues – Lambil et Kris – Dupuis

Un mille-feuille scénaristique

On le voit à la lecture de ce pitch : Kris, au scénario, semble avoir voulu superposer des intrigues qui auraient pu faire l’objet d’un album chacune. Le lecteur peut donc se sentir frustré de ne pas voir tel ou tel aspect de l’histoire plus développé : un anarchiste remettant en cause l’absurdité de la guerre à grands coups de « la propriété, c’est le vol » promettait pourtant de belles confrontations qui se seraient insérées admirablement dans les joutes verbales habituelles de notre duo star. Les Cherokees engagés dans l’armée confédérée eurent avantageusement nourri une intrigue avec Plume d’Argent, officier indien de l’armée nordiste rarement mis en avant dans les albums précédents. On peut également imaginer ce que le PTSD (Syndrome de Stress Post-Traumatique) de Stark et Chesterfield aurait amené comme situations comiques, eût-il fait l’objet d’un album entier… Las, l’idée est reléguée au deuxième, voire troisième plan dès la page 14.

Page 4 du T67 des Tuniques Bleues
© Les Tuniques Bleues – Lambil et Kris – Dupuis

Condensées en 44 pages assez laborieuses, au découpage peu rigoureux, et parsemées de maladresses et d’erreurs qu’une relecture aurait évitées (non, le tutoiement ne peut pas être un sujet dans une histoire dont la ‘VO’ est censée être en langue anglaise), toutes ces composantes se mélangent avec plus ou moins de bonheur et de vraisemblance.

Page 5 du T67 des Tuniques Bleues
© Les Tuniques Bleues – Lambil et Kris – Dupuis

 

Lambil, son âge, ses artères…

On a déjà tout dit sur la perte de qualité du dessin de Lambil, dont la vitalité n’a pas eu de véritable regain malgré la nouvelle fraîcheur des scenarii. L’intervention d’Emmanuel Michalak sur le storyboard n’a pas non plus suffi à compenser le manque d’élan, de fluidité et de dynamisme de l’ensemble. Ceci étant dit, on ne peut qu’être admiratif de l’endurance de ce grand monsieur qui, à 87 ans, continue de produire des planches, somme toute honorables, avec une belle régularité. Les couleurs sans fioritures de Leonardo contribuent avec bonheur à la cohérence visuelle et à la lisibilité.

Page 6 de l'album Du feu sur la glace
© Les Tuniques Bleues – Lambil et Kris – Dupuis

Qu’aurait fait Cauvin à sa place ?

Devant cette relative frustration et le sentiment d’une belle occasion manquée, on ne peut s’empêcher d’imaginer les choix qu’aurait fait le regretté Raoul Cauvin avec le même contenu. Même si cette qualité est devenue un gros défaut en fin de parcours, Cauvin brillait dans l’exercice de partir d’événements anecdotiques, et d’en tricoter des perles de comique de situation. Perdu dans la complexité de son mille-feuille, Kris en oublie d’être drôle et reste dans un certain premier degré. Cela ne saurait remettre en cause les grandes qualités de ce scénariste, qui ne sont plus à prouver, et on souhaite ardemment un retour aux fondamentaux pour les prochaines aventures de Blutch et Chesterfield.

Page 7 de l'album Du feu sur la glace
© Les Tuniques Bleues – Lambil et Kris – Dupuis

Chronique écrite par Philippe BARRE

Informations sur le T67 des Tuniques Bleues

  • Scénario : Kris
  • Dessin : Lambil
  • Couleurs : Studio Leonardo
  • Éditeur : Dupuis « Tous publics »
  • Date de sortie : 20 octobre 2023
  • Pagination : 48 en couleurs

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