Spirou chez les fous – T20 de Spirou et Fantasio par…

Dans la série des « Spirou de… », avec Spirou chez les fous, Libon et Jul livrent une aventure délirante du groom et de ses complices de toujours, Fantasio et Spip, au pays des fous, ou plutôt dans l’univers de la bande dessinée.

Couverture de Spirou chez les fous
© Spirou chez les fous – Jul et Libon – Dupuis

Fantasio, parti pour un reportage en Poitou-Charentes, ne donne plus signe de vie, et Spirou s’inquiète. Après un long débat avec Spip, qui ne parle pas, mais n’en est pas moins expressif, le voilà parti pour Angoulême où il découvre, stupéfait, que son ami a succombé à une épidémie de folie. Sur le modèle des visiteurs atteints du Syndrome de Jérusalem à leur arrivée dans la ville sainte, les amateurs de bande dessinée seraient atteints de troubles de l’identité au contact de la ville sacrée de la BD, et se prendraient pour les héros des aventures qu’ils aiment tant : Largo Winch, Titeuf, ou encore Lanfeust de Troy. Après avoir essayé, en vain, de faire sortir Fantasio de l’asile d’aliénés où il est enfermé, Spirou n’a plus qu’une solution : feindre qu’il est lui aussi atteint de folie et qu’il se prend pour… Tintin !

Page 3 de Spirou chez les fous
© Spirou chez les fous – Jul et Libon – Dupuis

Spirou au pays des fous… de bande dessinée

Malgré ses faux airs de « Vol au-dessus d’un nid de coucous », avec son psychiatre adepte de chirurgie intracrânienne et d’électro-chocs, c’est surtout au pays des fous… de bande dessinée que nous emmène le tandem Jul-Libon. On croise dans cet asile improbable des aliénés qui se prennent pour les Schtroumpfs, Obélix, Blake et Mortimer, ou encore les Dalton. Mais c’est avant tout à l’univers de Tintin que les références sont les plus nombreuses, avec des personnages pensant être la Castafiore ou le professeur Tournesol, un Fantasio qui invente de nouveaux jurons dignes du capitaine Haddock (« Phacochère ! Zoulou des Balkans ! Groom à gaufre ! ») ou un Spirou, un peu trop investi dans son rôle de Tintin, qui cauchemarde « Quel rêve affreux… Je portais des pantalons de golf et un polo bleu, je vivais avec un barbu alcoolique.. » (entre nous, pas sûrs que la tenue de groom et le reporter déjanté soient préférables) et se réveille en hurlant « TCHANG ! ». Les clins d’œil au grand rival de Spirou ne manquent pas, jusqu’au nom du directeur de la clinique, le professeur Herquin-Frangé.

Page 4 de Spirou chez les fous
© Spirou chez les fous – Jul et Libon – Dupuis

Car cet album est avant tout une véritable déclaration d’amour à la bande dessinée. Et si l’asile possède des pavillons distincts pour le manga, les comics, et même les bandes dessinées indépendantes, c’est bien la bande dessinée franco-belge qui est mise en avant ici. Les auteurs s’adressent à un public de bédéphiles, à même de comprendre les nombreuses allusions et clins d’œil plus ou moins évidents (lisez-bien partout : affiches de presse à scandales, menus de restaurant… tout est prétexte à des allusions amusées et amusantes). Les dialogues sont savoureux : « Je vais finir par perdre complètement la boule, Bill… euh… Spip… » ou encore « Vous allez me rendre immédiatement ses affaites avant que je ne vous refasse le portrait façon Bilal ! », sans compter un soupçon d’humour noir, quand le psychiatre évoque les toutes nouvelles techniques de chirurgie venues de Moscou : « Il semblerait que les résultats obtenus sur les enfants tchétchènes aient été très encourageants… »… gloups…

Page 5 de Spirou chez les fous
© Spirou chez les fous – Jul et Libon – Dupuis

Un duo d’auteurs décapant

Il faut dire que notre duo d’auteurs est habitué à la bande dessinée d’humour.  Est-il besoin de présenter Libon aux lecteurs du journal Spirou ? Le dessinateur est présent depuis 2004 dans le magazine, où il a publié successivement « Jacques le petit lézard géant », « Animal lecteur », et « Les Cavaliers de l’Apocadispe ». Habitué des personnages à l’air halluciné, il n’a pas dû être bien difficile pour lui de dessiner un album plein d’illuminés. Finalement, le seul personnage à ne pas avoir l’air complètement fêlé, c’est Spirou lui-même ! Quant à Jul, le scénariste, il excelle avec ses séries « Silex and the city » ou « Cinquante nuances de Grecs » et a déjà pu se frotter à un classique de la bande dessinée franco-belge avec sa reprise de « Lucky Luke ». Mais il est également normalien et agrégé d’histoire, et son scénario donne le vertige quand il flirte avec la métafiction.

Page 6 de Spirou chez les fous
© Spirou chez les fous – Jul et Libon – Dupuis

On appelle ainsi les œuvres de fiction dans lesquelles le genre fait des références explicites à lui-même et à ses propres codes, soulevant des questions sur le lien entre réalité et fiction. Très fréquente dans le nouveau roman, la métafiction est bien moins usitée dans la bande dessinée franco-belge, même si dans l’univers de Spirou, les liens entre l’univers fictionnel et la réalité sont fréquents : pensez à la rédaction de Spirou représentée dans les albums de « Gaston », ou aux nombreuses allusions au rôle de Spirou comme représentant des éditions Dupuis dans les derniers albums de la série mère. Mais dans cet album, plus que jamais, les personnages savent qu’ils sont des héros de bande dessinée. Ainsi, au moment de choisir un tarif réduit pour prendre son billet de train, Spirou hésite sur son âge : moins de 26 ans ou plus de 65 ans ? Quant à Fantasio, il est en proie à une crise existentielle, en quête de ses origines. Les derniers mots de l’album résonnent alors comme un dernier clin d’œil : « Je ne suis pas fâché d’en finir avec la bd ! » déclare Spirou ; pas anodin pour un personnage qui vient de tirer sa révérence dans la série mère…

Page 7
© Spirou chez les fous – Jul et Libon – Dupuis

Chronique écrite par Marie ENRIQUEZ

Informations sur l’album

  • Scénario : Jul
  • Dessin : Libon
  • Couleurs : Alex Doucet
  • Éditeur : Dupuis « Tous publics »
  • Date de sortie : 25 novembre 2022
  • Pagination : 56 en couleurs
  • Format : 218 x 300

Vous pouvez discuter de l’album « Spirou chez les fous » sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.