Interview de Bertrand Pissavy-Yvernault

L’hiver est là et avec lui la promesse de longues soirées à l’intérieur, rythmées par le bruit ronronnant des poêles à bois et autres cheminées. Et comment mieux occuper ces veillées par la lecture réjouissante de BD aux héros rassurants qui peuplèrent notre enfance et continuent de nous émerveiller, des années plus tard. La magie de nos personnages préférés opère encore et, en ce soir de fin novembre, nous en parlons avec Bertrand Pissavy-Yvernault qui signe les dossiers de 2 intégrales publiées cet automne, Lucky Luke et Tif & Tondu. Une conversation passionnante qui montre que, décidément, la BD n’en finit pas de nous faire rêver !

Photo de Bertrand Pissavy-Yvernault
© RCF

Les Amis de la BD : Bertrand, merci de nous accorder cet entretien pour parler de ces BD qui nous accompagnent depuis toujours ! Peux-tu nous raconter comment l’intérêt pour le 9ème art t’est venu ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Je suis tombé dedans quand j’étais petit ! On avait pas mal de BD dans la famille, notamment les grands classiques comme Buck Danny, Tintin ou Blueberry, mais aussi les Astérix, achetés depuis le commencement de la série. Avec Lucky Luke, ce sont d’ailleurs les albums que j’ai le plus lus et relus ! On recevait aussi le journal Pilote à la maison, mais j’étais un peu trop jeune pour apprécier ce type de lecture à sa juste valeur. L’intérêt pour d’autres séries, comme Spirou et Fantasio par exemple, est venu un peu plus tard. Je rêvais sur les catalogues qu’on trouvait en fin d’albums ou je découvrais l’existence de titres de séries ou de tomes de séries que je n’avais pas. Je pouvais aussi m’émerveiller devant une couverture d’un album que je ne connaissais pas. Tout cela m’a amené, petit à petit, à compléter mes collections et à enrichir ma bédéthèque.

Les Amis de la BD : Es-tu collectionneur de BD ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Je ne collectionne pas les éditions originales ou les éditions parallèles de tel ou tel titre. Ce qui m’intéresse, c’est la série en soi. Je cherche à compléter mes collections et à faire des découvertes, mais uniquement dans le but de pouvoir lire la BD, pas pour avoir un tirage de tête ou une édition limitée, par exemple.

Couverture de l'intégrale 5
© Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : J’imagine que tu collectionnes aussi les archives que tu obtiens depuis que tu as commencé à écrire sur la BD ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : C’est vrai que depuis environ 30 ans, j’accumule une quantité incroyable de documents, d’articles, d’interviews, quel que soit le support. J’ai par exemple des archives numériques très fournies, faites de photos, de documentation, mais aussi de tous les magazines de BD, comme Tintin, Spirou, Pilote, Pif ou autres. C’est très important car cela permet de faire la connexion entre les différentes sources d’information et permet de constater le bouillonnement créatif d’une époque. Je classe toute cette documentation en différents dossiers car ce qui m’intéresse réellement, ce sont les scénaristes et dessinateurs. Bien sûr, j’aime lire les BD et les personnages de séries, mais le travail des auteurs de BD m’a intrigué dès mon plus jeune âge. J’ai toujours eu envie de voir ce qui se passait de l’autre côté du rideau, en coulisses.

Les Amis de la BD : As-tu voulu rencontrer des auteurs très rapidement ? 

Bertrand Pissavy-Yvernault : J’étais un adolescent bien trop timide pour tenter de rencontrer des auteurs au culot. Je me souviens cependant être allé à une convention de la BD à Paris quand j’avais 13 ou 14 ans. J’avais pu parler un peu avec Will lors de cet évènement. Plus tard, vers mes 20 ans, j’ai sillonné les salons de BD, mais je ne suis pas fan de ces endroits où on fait la queue des heures, mais ça m’a permis de pouvoir rencontrer des auteurs, leur parler et tisser des liens. Je suis ainsi rentré dans ce milieu sans forcément l’avoir prémédité ou imaginé un jour.

Photo de Morris
Photo de Morris dans l’intégrale n° 5 © Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : Comment as-tu commencé à écrire sur la BD ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Christelle était libraire et on a travaillé ensemble sur un article de la « Lettre de Dargaud ». Un article en appelant un autre, on nous a proposé ensuite d’écrire un livre sur « La quête de l’oiseau du temps ». C’était inouï d’obtenir la confiance de Dargaud, Loisel et Le Tendre ! Cela nous a mis le pied à l’étrier et cela a éveillé notre intérêt pour les entretiens dits polyphoniques, où différents témoins parlent d’un même sujet. Nous avons ensuite écrit un livre sur Delporte, le mythique rédacteur en chef de Spirou, ce qui nous a fait entrer dans le merveilleux univers de Marcinelle !

Les Amis de la BD : Et donc, tu as travaillé sur un des héros incontournables de Spirou : Lucky Luke.

Bertrand Pissavy-Yvernault : Cela ne s’est pas totalement passé comme ça. Comme je l’ai dit, Lucky Luke est un des héros que j’ai le plus lu, donc, au lancement du projet d’intégrales, j’avais vraiment le trac de me lancer sur ce sujet énorme, touffu et mythique. J’ai cherché des rédacteurs pour travailler sur les dossiers, mais pour des raisons diverses, je n’ai trouvé personne, donc, j’ai pris en charge ce chantier. Je me suis mis l’objectif d’apporter quelque chose de nouveau dans ces intégrales et de ne pas uniquement développer les informations de façon académique ou encyclopédique. C’est un exercice difficile car il faut exploiter de nombreuses sources, ce qui n’est pas toujours évident. Par exemple, dans cette intégrale, je parle des films ayant inspiré Morris. C’est un gros sujet et je prends conseil auprès de spécialistes des westerns pour être sûr de donner la bonne information au lecteur.

Texte de Bertrand Pissavy-Yvernault
© Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : Effectivement, on apprend dans l’intégrale que Morris était un vrai connaisseur de l’ouest américain et un grand amateur de westerns.

Bertrand Pissavy-Yvernault : C’était vraiment un passionné de westerns et on oublie un peu aujourd’hui que Lucky Luke était à la base une parodie de western. Les albums pullulent de références ou de citations à ce type de films, ce qui n’est plus le cas dans les Lucky Luke modernes post Morris. Il faut dire aussi que jusqu’aux années 70, le western était un genre cinématographique très représenté, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Morris a intégré dans ses albums tous les archétypes du western, que ce soit la danseuse de saloon, le mexicain, les duels, les joueurs de poker… Il a aussi caricaturé des acteurs de ce type de films dans beaucoup de séquences. On reconnait facilement Lee Van Cleef dans « Chasseur de primes » ou Jack Palance dans « Phil Defer », mais il a placé dans ses pages de nombreuses autres références que seul un grand cinéphile peut trouver. On peut aussi retrouver des références dans les scénarios des albums qui reprennent certains éléments de tel ou tel film de l’époque, aujourd’hui complètement oublié.

Les Amis de la BD : En plus de cette culture du western, Morris était aussi un grand spécialiste de l’histoire de l’ouest. Cette intégrale y fait particulièrement référence avec les albums « Le juge » et « Ruée sur l’Oklahoma ».

Bertrand Pissavy-Yvernault : Tout à fait ! Morris était très friand de la « vraie » histoire, tout comme Goscinny, qui a repris le scénario de la série à la fin des années 50. Mais cela se recoupe avec les westerns qui, en enjolivant un peu, voire beaucoup, reprennent les évènements historiques pour créer la « légende » de l’ouest. Morris a même écrit des textes sur l’histoire américaine ou des articles explicatifs de telle ou telle habitude des cow-boys et du Far West pour Spirou. On pourrait penser qu’il est fantaisiste, mais au contraire, Morris était ultra documenté. Lorsqu’il habitait à Bruxelles, il travaillait à la maison et envoyait sa femme Francine en repérage dans une grande librairie de langue anglaise, pour prospecter tous les nouveaux ouvrages sur l’Ouest américain. Il avait une bibliothèque incroyable sur cette histoire et cela lui servait pour créer le cadre et le décor de Lucky Luke.

Texte de Bertrand Pissavy-Yvernault
© Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : Malgré les qualités de ce travail, la série Lucky Luke n’a pourtant jamais eu les faveurs de son éditeur, Dupuis. Comment peut-on expliquer cela ? 

Bertrand Pissavy-Yvernault : Effectivement, Charles Dupuis s’est toujours désintéressé de Morris. Il faut savoir qu’à l’époque de la création de Lucky Luke, à la fin des années 40, Dupuis s’intéressait surtout à ce qu’il appelait le dessin « sérieux », c’est-à-dire réaliste. Jijé, l’auteur de Valhardi, puis plus tard de Jerry Spring, avait ses faveurs. Morris était surtout là, avec d’autres, pour remplir les pages de Spirou, qui était la véritable finalité de l’éditeur, le facteur « albums » n’ayant pas à l’époque l’importance qu’il a aujourd’hui.

Les Amis de la BD : Pourtant, Lucky Luke a assez rapidement obtenu du succès, surtout après la prise en main du scénario par Goscinny. 

Bertrand Pissavy-Yvernault : Effectivement, le succès arrive avec Goscinny, mais il n’est pas immédiat. D’abord, Goscinny n’est pas crédité pour les premiers Lucky Luke qu’il scénarise, et lui-même a des difficultés avec Charles Dupuis. La grande popularité de Lucky Luke arrive dans le sillage de celle d’Astérix publié dans Pilote et scénarisé par ce même Goscinny. Le petit gaulois entraîne le cow-boy dans son triomphe au milieu des années 60, j’en parlerai d’ailleurs dans les intégrales suivantes.

Couverture du journal Tintin
© Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : Morris, lui-même, est toujours resté indépendant et ne s’est pas investi dans Spirou autant que Franquin, Peyo et Roba, les autres membres du fameux « Fab 4 » de Dupuis. Comment peut-on expliquer cela ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Morris s’est en effet moins investi dans Spirou que les autres, mais il avait tout de même une belle chronique sur l’histoire de la BD américaine, qui s’appelait « 9ème art », écrite avec Pierre Vankeer. C’est d’ailleurs cette rubrique qui a permis de populariser l’expression « 9ème art » quand on parle de BD. Mais c’est vrai que Morris n’avait pas l’esprit de bande d’un Franquin, par exemple. On peut l’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord, Morris a vécu aux USA de 1949 à 1955, éloigné des autres qui montaient la grande équipe Spirou à peu près à cette époque. Ensuite, Morris est flamand, de Courtrai, alors que les autres sont wallons et on peut penser qu’il y a une différence culturelle entre eux, même s’il est, bien sûr, en bons termes avec les autres qu’il connaît depuis longtemps.

Les Amis de la BD : On a effectivement en tête l’image d’un Morris sûr de lui et de son travail. Était-ce réellement le cas ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Oui, on peut dire cela. Mais ce qu’il faut rappeler, c’est que Morris avait une véritable passion pour son personnage, Lucky Luke, et surtout, une foi inébranlable en son succès. Dès le début, il a une sorte de préscience de ce qui va se passer ensuite et, alors qu’il vient juste de créer sa série, il pense déjà à la suite, avec la série d’albums, et même les dessins animés qui arriveront des décennies plus tard !

Page de garde de l'intégrale 5 avec dossier de Bertrand Pissavy-Yvernault
© Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : Un des vecteurs de ce succès est donc Goscinny, qui, à partir de la fin des années 50, va écrire les histoires de Lucky Luke, ce qui est une révolution pour la série.

Bertrand Pissavy-Yvernault : Effectivement. Comme on l’a dit, Goscinny va apporter le succès à Lucky Luke, mais quand Morris le choisit en tant que scénariste, il n’est pas encore reconnu, ni même très connu ! Morris a senti tout ce que Goscinny pouvait apporter, ce qui est une superbe intuition. Ayant trouvé son scénariste, Morris va se consacrer uniquement au dessin à 100% et trouver tous les codes et la ligne très reconnaissable que l’on connaît.

Les Amis de la BD : Goscinny apporte une nouvelle façon de raconter une histoire : il y a en effet plusieurs niveaux de lecture dans un Lucky Luke. Un enfant lira une série d’aventures comiques et un adulte, s’il voit cela aussi, pourra trouver des références, des sous-entendus, un ton nouveau.

Bertrand Pissavy-Yvernault : Tout à fait. Morris et Goscinny avaient l’intention d’élever l’âge du lectorat et ont inventé ce qu’on peut appeler la BD tout public. D’ailleurs, les courriers reçus par les auteurs venaient plus d’adultes que d’enfants, et ils aimaient cela. Charles Dupuis n’était pas forcément sensible à cette évolution, même s’il a constaté assez vite, en voyant les demandes de rééditions des albums, qu’il se passait quelque chose pour Lucky Luke.

Photo de Bertrand Pissavy-Yvernault
Photo prise durant l’entretien en visio. © Les Amis de la bande dessinée

Les Amis de la BD : On peut dire que c’est à partir de ce moment que Goscinny prend réellement le pouvoir sur la série. Morris n’a-t-il pas eu l’impression de ne plus être possesseur de sa création ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Effectivement, si le premier album de l’intégrale, « Le juge », est encore sujet à des allers/retours entre Morris et Goscinny sur le scénario, ce ne sera plus le cas par la suite. Morris a pu se sentir dépossédé de sa série, car, dans l’inconscient collectif, les lecteurs pensaient à Goscinny lorsqu’on parlait de Lucky Luke. Dans le même temps, Goscinny a apporté beaucoup de choses à la série, l’a réellement fait décoller et a donc, d’une certaine manière, réalisé le rêve de Morris. Il y a cependant sans doute eu des querelles d’égo entre les deux, mais ce n’est pas propre à Lucky Luke, cela arrive dans beaucoup de séries entre les co-auteurs. On peut remarquer qu’après le décès prématuré de Goscinny, en 1977, Morris ne reprend pas un autre scénariste connu, mais travaillera avec Fauche et Léturgie, puis, à tour de rôle, des scénaristes qui changent presque à chaque album, selon sa volonté. Il redevient maître de sa série.

Les Amis de la BD : Cette intégrale aborde la prise de pouvoir de Goscinny, mais aussi un autre évènement fondamental pour la série : le retour, qui deviendra régulier, des frères Dalton.

Bertrand Pissavy-Yvernault : Oui ! C’est vrai que Lucky Luke va être, après cette période, confronté à eux tous les 2 ou 3 albums, tant ils ont plu au public. Ce n’est cependant par dérangeant pour Morris, car les Dalton étaient ses personnages préférés. Ils sont bêtes, méchants, marrants et viennent combler un manque dans cette série où le personnage principal, selon les codes de l’époque, lui semblait un peu trop lisse, trop parfait.

Couverture de l'album L'Evasion des Dalton
L’une des histoires présente dans l’intégrale n°5 © Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : C’est vrai que c’est une époque différente de la nôtre : alors qu’on est dans un western, on n’avait pas le droit de montrer un règlement de comptes meurtrier, mais on pouvait en revanche montrer le héros avec une cigarette aux lèvres.

Bertrand Pissavy-Yvernault : La censure était là, et bien là ! Elle a d’ailleurs frappé Lucky Luke, mais un peu plus tard, à l’occasion de l’album « Billy the Kid » où on voit ce personnage sucer un revolver dans son berceau à la place d’une tétine… Il fallait effectivement éviter les tueries, et cela a été fait avec talent par Goscinny qui trouve toujours une parade pour éviter qu’il y ait des morts. Quant à la cigarette, elle disparaîtra bien plus tard, à l’occasion de l’album « Fingers », en 1983. Cela vient des États-Unis, où Lucky Luke était le héros de dessins animés, et on ne voulait pas le montrer en train de fumer.

Les Amis de la BD : Morris est décédé en 2001. As-tu eu l’occasion de le rencontrer ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Je ne l’ai rencontré qu’à l’occasion d’une séance de signatures et il avait été peu prolixe. J’avais essayé de discuter un peu avec lui, mais ce n’était pas vraiment l’endroit pour cela. En revanche, j’ai pu avoir une correspondance écrite avec sa femme Francine, ce qui est un grand honneur. Elle a pu me donner beaucoup de détails et d’anecdotes sur le père de Lucky Luke.

Couverture de l'album Le Juge
L’une des histoires présente dans l’intégrale n°5 © Lucky Luke – Morris et René Goscinny – Dupuis

Les Amis de la BD : Morris est un auteur très connu du grand public. Ce n’est pas le cas de Will, le dessinateur de Tif & Tondu, dont tu signes le dossier introductif à l’intégrale 6 parue cet automne. Comment expliquer cela ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : Will, contrairement à Morris, n’était pas un vrai passionné de BD. C’était un artiste, au talent complet, capable de faire de la sculpture ou de la peinture, un peu comme Jijé. Il était extrêmement doué mais parfois, on sent que son investissement dans la BD n’est pas complet, qu’il a passé moins de temps sur certaines planches, lorsqu’il ne se mettait pas complètement dedans. C’est le cas sur certains épisodes de Tif & Tondu, série qu’il a repris. Sur certains épisodes, on sent que c’est vraiment poussif. Il fait exploser son vrai talent dans sa série Isabelle, graphiquement superbe. Will est un instinctif, qui adore imaginer les choses, les inventer.

Les Amis de la BD : Cette 6ème intégrale voit l’arrivée au scénario de Tillieux, qui remplace Rosy. Cela a-t-il changé beaucoup de choses pour la série et pour Will ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : L’arrivée de Tillieux au scénario rend la série plus réaliste, plus policière, plus sérieuse. Avec Rosy, on était plus dans la fantaisie ou la pure imagination, voire la poésie. Tillieux ne reprend pas le fameux antagoniste des 2 héros, M. Choc, qui devenait un peu trop encombrant pour Will, alors que Rosy aimait le placer dans ses histoires. Il a d’ailleurs conservé les droits de ce personnage. Je crois qu’à la fin de leur collaboration, Will et Rosy ne se comprenaient plus comme avant. Leurs dernières collaborations, comme « Tif rebondit » sont vraiment dispensables, on sent bien qu’un ressort est cassé. L’arrivée de Tillieux a permis à Will de se remobiliser sur la série et de produire des pages superbes, même si elles lui demandaient un travail de documentation.

Couverture de l'intégrale Tif et Tondu
© Tif et Tondu – Maurice Tillieux et Will – Dupuis

Les Amis de la BD : Tillieux ne va pas rester longtemps au scénario et, après une dizaine d’épisodes, va passer le relai à Stephen Desberg. Animer Tif & Tondu est-il si difficile ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : C’est le problème des reprises. Tif & Tondu a été créé dès les débuts de Spirou et a été ensuite repris par plusieurs auteurs. Les personnages sont, comme tous les héros de l’époque, finalement assez fades et on comprend que quelqu’un comme Tillieux n’ait pas voulu continuer. Will, lui-même, lorsqu’il revient dans Spirou après avoir été brièvement directeur artistique de Tintin, va reprendre Tif & Tondu, mais va sans cesse vouloir caser une création originale, sans succès.

Les Amis de la BD : Will va, dans les années 80, montrer une autre facette de son talent, notamment avec les one-shots écrits par Desberg : « La 27ème lettre » et « Le jardin des désirs ».

Bertrand Pissavy-Yvernault : Oui, avec ces albums, il va vraiment être lui-même et réaliser les expérimentations dont il a réellement envie, comme travailler en couleurs directes ou bien dessiner de jolies femmes. Et même dans Isabelle dont je parlais tout à l’heure, il arrive à quelque chose de personnel, qui est vraiment superbe.

Photo de Bertrand Pissavy-Yvernault
Photo prise durant l’entretien en visio. © Les Amis de la bande dessinée

Les Amis de la BD : Merci pour ce grand entretien, Bertrand. Peut-être peux-tu nous parler de tes projets, pour conclure ?

Bertrand Pissavy-Yvernault : J’ai récemment travaillé pour les Cahiers de la BD. J’ai rédigé une série d’articles sur Gaston Lagaffe. C’est un personnage fascinant, j’aimerais beaucoup travailler sur ce personnage et raconter des choses qui n’ont jamais été racontées. Avec Christelle, nous allons continuer « La véritable histoire de Spirou », et je vais aussi m’atteler à la suite des intégrales de Tif & Tondu et de Lucky Luke. Beaucoup de travail en perspective, mais c’est vraiment passionnant !

Il est déjà tard lorsque l’entretien se termine, mais nous continuons à discuter BD avec Bertrand et c’est un bonheur. S’échapper un peu du stress de la vie quotidienne en parlant avec un spécialiste est un privilège rare et nous en profitons ! Après avoir pris congé, le Will des 70s et la silhouette reconnaissable entre mille de celui qui « tire plus vite que son ombre » restent ancrés dans nos pensées jusqu’à la fin de la soirée. La BD, quelle douce façon de préparer les rêves !

Propos de Bertrand Pissavy-Yvernault recueillis par Mathieu DEPIT

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