Une jeune ingénieure en éco-design sans attache plaque tout et se reconvertit dans le plus beau métier du monde : se retirer en ermite sur un atoll paradisiaque dans le pacifique, pour faire des relevés météo. Ça fait envie, non ? Bah non…

Couverture de l'album La Brute et le divin
© La Brute et le divin – Léonard Chemineau – Rue de Sèvres

L’album commence sur un ton angoissant : Éva, notre Tom Hanks de circonstance, est seule avec sa chienne sur une île déserte à la végétation luxuriante. Mais l’ambiance de ces quelques pages d’introduction laisse une impression amère de « Qu’est-ce que je suis venu faire dans cette galère ? ».

Flashback : Éva est insatisfaite de son travail dans une entreprise quelconque dont on ne connaît pas grand-chose (ça tombe bien : on s’en fout). Elle répond à une annonce du gouvernement qui cherche un volontaire pour s’aventurer dans un lagon idyllique afin de réhabiliter une frêle station météo. Son profil de technicienne en fait la candidate idéale. Elle sera donc seule pendant des mois, avec Puce, sa chienne, à développer des trésors de survivalisme pour rénover, retaper, cultiver, chasser, pêcher… Sans oublier communiquer par satellite les informations météo – et une ou deux photos « instagrammables » en passant.

Page 7 de l'album La Brute et le divin
© La Brute et le divin – Léonard Chemineau – Rue de Sèvres

L’histoire était évidemment trop belle pour que ça ne parte pas en biberine assez rapidement. De problème technique en blessure à la main, intempéries, rupture de communication et autres contrariétés, l’expérience va de Charybde en Scylla en un rien de temps. Son radeau de fortune aurait eu raison d’elle sans l’intervention providentielle d’un paquebot d’ALPHAMET, entreprise apparemment commanditée par l’état afin de prospecter les fonds marins des environs, supposément riches en métaux rares. Une cohabitation qui va, forcément, s’avérer difficile…

Page 8 de l'album La Brute et le divin
© La Brute et le divin – Léonard Chemineau – Rue de Sèvres

Hypocrito-écologie

L’album semble au départ d’un classicisme rébarbatif : on ne va quand même pas nous refaire le coup du Robinson Crusoé volontaire qui va vite se rendre compte que la nature n’est pas aussi amicale qu’elle y parait ? Il faut néanmoins attendre la première moitié de l’album pour que le message s’éclaircisse : la concurrence entre Éva, écolo convaincue en pleine expérience Into the Wild, et la multinationale polluante prise en flagrant délit de greenwashing, se planquant derrière sa noble cause pour faire plus de dégâts qu’elle n’en répare, nous met la puce à l’oreille. L’auteur pointe en effet du doigt l’absurdité de la recherche effrénée de la virginité environnementale. Il expose le paradoxe inhérent à ce phénomène de société avec la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, et non sans un certain manichéisme, ce qui a néanmoins le mérite d’être percutant. Le moins qu’on puisse dire est que ce petit univers paumé au milieu du Pacifique est un concentré de toutes les dérives dans le domaine, démontrant sans ambiguïté à quel point une cause honorable peut rapidement devenir une vaste entreprise de communication et un bizness juteux et contre-productif, avec l’assentiment des gouvernements qui regardent pudiquement ailleurs. Cela donne donc une allégorie à gros sabots qui ne laisse que peu de place à l’interprétation. Si l’objectif de l’auteur était de secouer les consciences, le moins qu’on puisse dire est que c’est réussi.

Page 9 de l'album La Brute et le divin
© La Brute et le divin – Léonard Chemineau – Rue de Sèvres

Couleurs directes pour message direct 

Léonard Chemineau, ici auteur complet après avoir mis son beau graphisme et ses couleurs directes au service de Wilfrid Lupano (La Bibliomule de Cordoue) et Alexis Michalik (Edmond), accomplit un travail remarquable sur la reconstitution de cet environnement de carte postale : la maîtrise des aquarelles est totale, l’atoll est magnifique, le rendu des fonds sous-marins est superbe, et Éva évolue dans un environnement parfaitement cartographié et cohérent. La documentation sur le travail sordide d’ALPHAMET – et son bateau – ajoute de la crédibilité au propos, ce qui ne rend le récit que plus effrayant.

Page 15 de l'album de Léonard Chemineau
© La Brute et le divin – Léonard Chemineau – Rue de Sèvres

Lourde charge contre les pouvoirs occidentaux et leur duplicité environnementale, La Brute et le Divin est un album à mettre entre toutes les mains, et dont même les défauts le rendent intéressant. L’objectif est donc atteint à 100%.

Chronique écrite par Philippe BARRE

Informations sur l’album

  • Scénario : Léonard Chemineau
  • Dessin : Léonard Chemineau
  • Couleurs : Léonard Chemineau
  • Éditeur : Rue de Sèvres
  • Date de sortie : 22 novembre 2023
  • Pagination : 136 en couleurs

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