Thorgal Saga : Shaïgan

Troisième one shot dans la collection Saga de Thorgal, la série culte créée par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski il y a plus de 40 ans, le récit de Shaïgan s’intercale entre les tomes 21 et 22, au cœur du cycle Shaïgan Sans Merci (tomes 18 à 23). Un cycle très sombre qui voit l’enfant des étoiles, sous l’influence de la terrible Kriss de Valnor, perdre la mémoire et se transformer en pirate. Cette nouvelle incursion dans cette période, par Yann et Surzhenko, se propose de combler quelques vides de la saga mère.

Le terrible pirate Shaïgan perd peu à peu de sa splendeur en même temps que le respect de son équipage. Seule son impitoyable maîtresse Kriss de Valnor maintient la réputation de son seigneur et un semblant d’unité dans ses troupes. Mais, malgré toutes les manigances de celle-ci, Shaïgan se pose de plus en plus de questions quant à sa réelle identité et ses souvenirs perdus. Se tournant vers un vieux sage, il part en quête d’un artefact magique en échange des réponses à toutes ses interrogations…

Retour vers le Futur

Si ce Shaïgan est présenté comme un one shot, il s’inscrit surtout dans la chronologie de sa série mère et ne pas connaître cette période de Thorgal pourrait déstabiliser le lecteur, et même lui faire perdre l’intérêt pour les enjeux de son histoire. Au contraire, pour les fans de la série, cet album est un réel trésor et ce, même si sa conclusion est, évidemment, sans vraie surprise ou révélation. Le réel atout de ce récit inédit réside dans les événements amenant au tome Géants et suivants, et la construction de Shaïgan est à ce titre une réelle réussite.

En effet, en plus de retrouver avec bonheur cette allitération très appréciée et sombre de l’enfant des étoiles, le scénario de Yann, un habitué du monde de Thorgal, alterne judicieusement action suspense, fantastique mais également une approche psychologique au centre de son histoire. Shaïgan est le récit d’une dépression, d’une quête d’identité, d’une colère enfouie qui ne demande qu’à surgir en grand fracas. Thorgal apparaît ici à la fois fort et impitoyable mais aussi fragile et instable. Fragile, la terrible Kriss l’est également sous la plume de Yann. De plus en plus sur la brèche, la némésis de l’enfant des étoiles sème quelques graines bienvenues pour le futur que Van Hamme lui avait écrit, donnant encore plus de profondeur à ce personnage déjà très riche.

Gueules cassées et yeux de glace

Après les séries spin off Louve et Kriss de Valnor ainsi que le premier épisode de la Jeunesse de Thorgal, le Russe Roman Surzhenko retrouve Yann et l’enfant des étoiles avec son trait à la fois très classique et d’une grande richesse. En effet, le dessinateur, à l’instar de Robin Recht et Corentin Rouge dans les deux premiers tomes de Thorgal Saga, rend un vibrant hommage au dessin tranché de Rosinski, faisant la part belle aux expressions des personnages, à une tension permanente et au dynamisme des scènes d’action. Si la mise en scène est également assez classique, l’album possède de nombreuses cases somptueuses grâce à un cadrage très cinématographique et des décors superbes.

Les couleurs, également assurées par Roman Surzhenko, magnifient encore son dessin grâce à une utilisation parfaite des nuances, mais surtout une très grande justesse à faire coexister couleurs chaudes et froides dans des cases toujours lisibles et invitant à en explorer le moindre détail. Une récurrence de la série que le Russe perpétue avec talent est la profondeur du regard de son protagoniste, d’une intensité rare. Les yeux sont très présents dans l’album, ainsi que les « gueules », par l’amour que Surzhenko semble porter aux gros plans qu’il maîtrise à la perfection.

Même s’il n’est pas le meilleur album du projet Thorgal Saga, notamment parce qu’il s’attache à combler des zones d’ombres de la série mère, ce Shaïgan gagne en profondeur ce qu’il perd en originalité. Avec un scénario passionnant faisant la part belle à la psychologie de son duo de protagonistes, le dessin toujours impeccable de Surzhenko, cette cuvée 2024 est un plaisir de lecture indéniable.