Sans penser à demain – T3 des Cœurs de Ferraille

T3 des Cœurs de Ferraille et troisième histoire pour la série rétrofuturiste des BeKa et Jose Luis Munuera. Après le rapport mère-fille dans le premier épisode et les luttes raciales dans le second, cette nouvelle histoire, dans des États-Unis de la fin du XIXe où les humains coexistent avec des robots qu’ils emploient ou exploitent, fait la part belle à l’amour.

Couverture du T3 des Cœurs de Ferraille
Couverture du T3 des Cœurs de Ferraille © Les Cœurs de Ferraille – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

Fille d’un riche industriel du Nord des États-Unis, la jeune Naiad est fascinée par les robots, au grand dam de son serviteur mécanique Marceau, le père de la jeune fille n’étant pas vraiment ce qu’on appelle un ami des robots. Lors d’une émeute dans l’usine de son père, Naiad, cachée dans un recoin, croise le « regard » d’un Limier, être mécanique impitoyable appelé pour mater les émeutiers. Pour elle c’est le coup de foudre, pour lui un « sentiment » inconnu. Même loin du Sud ségrégationniste, l’amour semble intolérable entre une humaine t un robot.

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© Les Cœurs de Ferraille – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

ROBEO ET JULIETTE

Un univers original et abouti aux personnages forts, aux enjeux importants et riche en scènes poignantes, voilà ce que proposaient les deux premiers tomes des Cœurs de Ferraille, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce troisième épisode leur tient la dragée haute. En effet,  loin de la mièvrerie qui aurait pu gâcher cette romance impossible, le trio Beka (Caroline Roque et Bertrand Escaich) et José Luis Munuera signe un récit puissant, parfois révoltant, souvent émouvant, et toujours juste dans ses intentions. Si le déroulé de l’histoire est parfois un peu rapide, contrainte d’un récit complet en un tome, les événements se suivent de façon logique, faisant monter la tension jusqu’à un final qui, bien qu’un peu prévisible, n’en reste pas moins efficace et poignant. Les thèmes abordés sont, globalement, les mêmes que dans les deux premiers tomes (racisme, suprémacisme, exclusion, lutte des classes…), mais le prisme de l’amour utilisé ici leur donne une saveur plus douce-amère des plus appréciables.

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© Les Cœurs de Ferraille – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

Si le récit de ce bien nommé Sans penser à demain est aussi efficace, il le doit en grande partie à la construction de ses protagonistes. Naiad symbolise la quête d’indépendance des jeunes filles de son époque. Forte, intelligente et décidée, elle n’en reste pas moins romantique et douce. Les Limiers, sans nom, sont des personnages récurrents de la série. Celui que nous présente ce troisième tome ne se démarque pas des précédents mais son évolution apporte encore plus de profondeurs à ces redoutables et impitoyables justiciers. Les personnages secondaires sont également très riches, de l’élément comique Marceau, qui parvient à dépasse cette fonction par sa tendresse récurrent, au père que les auteurs parviennent à ne jamais rendre caricatural en passant par la tante mystérieuse, captivant malgré son côté quelque peu prévisible.

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© Les Cœurs de Ferraille – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

DESSINE-MOI UN MOUTON MÉCANIQUE

Le dessinateur José Luis Munuera, dont l’œuvre est aussi riche que variée, de la jeunesse (P’tit Boule et Bill, la Route d’Eldorado…) à des histoires plus adultes (Bartleby le scribe, le Signe de la lune) ou humoristique (Merlin, les Campbell), semblait comme une évidence pour mettre en image l’univers des Cœurs de Ferraille, qui n’est pas rappeler celui de Fraternity. Ses personnages très expressifs collent parfaitement au récit : des protagonistes principaux aux simples figurants, chacun est charismatique avec un physique qui permet d’identifier facilement sa psychologie, permettant ainsi à la narration d’éviter des scènes d’exposition pour justifier leur comportement (le côté bagarreur de Pat, la détermination de Naiad, l’autorité non dénuée de tendresse du père traditionaliste…) Et, bien sûr, il y a les robots. Bien que leurs designs soient épurés et « simples » au possible, Munuera parvient à leur apporter une humanité indéniable, par leurs habits d’abord mais surtout par leur gestuelle qui donnent à leurs grands yeux inexpressifs une forme d’émotion qui les rend attachants.

Page 6 de l'album Sans penser à demain
© Les Cœurs de Ferraille – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

Aux couleurs, Munuera retrouve son collaborateur habituel Sedyas. Le travail du coloriste espagnol sied, comme toujours, parfaitement au dessin de son compatriote. En effet, le Basque parvient à sublimer les expressions déjà si particulières des personnages par des teintes à la fois douces et contrastées avec un travail minimaliste sur les ombres. Si les décors de Munuera sont toujours aussi beaux et riches d’album en albums, leurs couleurs sont totalement immersives et le jeu de lumières les sublime, donnant à l’album une ambiance presque palpable. Un talent pour la lumière que l’on retrouve dans le « regard » changeant du Limier. Avec un tel coloriste, le dessinateur sait qu’il peut se permettre des grandes cases contemplatives ou, au contraire, une multitude de petites cases riches aux cadrages audacieux, Sedyas parvenant à chaque fois à intensifier l’émotion des premières et à rendre lisibles les secondes.

Page 7 de l'album Sans penser à demain
© Les Cœurs de Ferraille – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

Série de one-shots mettant en scène des lieux et des personnages différents dans des récits aux thèmes similaires mais traités selon des points de vue variés, les Cœurs de Ferraille s’impose de plus en plus comme une œuvre rétrofuturiste de référence. Des scénarios captivants et poignants servi par des dessins riches aux couleurs somptueuses, le titre de Dupuis révèle de tome en tome la richesse de son univers avec un excellent goût de reviens-y. Après deux tomes concluants, ce troisième épisode vient confirmer tout le potentiel presque inépuisable d’une série à suivre de toute urgence.

Chronique écrite par Cédric SICARD.

Informations sur l’album

  • Scénario : BeKa
  • Dessin : José Luis Munuera
  • Couleurs : Sedyas
  • Éditeur : Dupuis
  • Date de sortie : 7 juin 2024
  • Pagination : 68 en couleurs

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