Pitcairn, tome 4 : Sauver nos âmes
Le ou la Bounty, selon les traducteurs, est un nom qui évoque l’aventure, celui d’un navire britannique qui fut le théâtre d’une mutinerie. Si cet événement seul n’est pas unique dans l’histoire, la suite des péripéties des révoltés est plus originale. Cette histoire fut maintes fois racontée, le court roman de Jules Verne en 1879, ou le film de Roger Donaldson, en 1984, en étant les plus célèbres adaptations. Quelques bandes dessinées historiques avaient déjà abordé cette histoire, mais la série Pitcairn, éditée par Glénat, se démarque par son ambition d’un « grand spectacle » dont la conclusion vient de paraître.

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier
Le 24 avril 1789, au large des îles Tonga, le Capitaine Bligh, et quelques marins qui lui sont fidèles, sont chassés de leur navire, le Bounty. Menés par Fletcher Christian, les révoltés n’ont d’autre choix que trouver une île discrète afin de fuir l’inévitable chasse que la Navy britannique ne manquera pas de leur lancer. Ils tentent de s’installer sur Tubuai mais la cohabitation avec les autochtones vire au drame. La majorité des mutins retourne alors à Tahiti mais Christian et une poignée d’hommes y embarquent hommes et femmes polynésiens à la recherche d’une île déserte, qu’ils finiront par trouver : Pitcairn. Plein de rêves de paix et d’égalité, le désir de créer une communauté harmonieuse tourne court alors que les tensions se font de plus en plus fréquentes, ainsi que les morts.

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier
Shakespeare dans l’Océan Indien
Quatre ans après l’installation des mutins et Polynésiens sur l’île de Pitcairn, ce quatrième tome s’ouvre dans la tristesse et la manigance. Des hommes de Tahiti venus avec les Anglais, plus aucun n’est encore en vie. Fletcher et la majorité de ses marins sont également morts. Sur Pitcairn, il ne reste que quatre hommes Britanniques paranoïaques, alcoolisés ou malades, dix femmes polynésiennes en colère et une poignée de jeunes enfants nés sur l’île. Si l’intensité du récit montait en puissance au fil des trois premiers tomes, cette conclusion en est l’apothéose. La violence est à son paroxysme au point que certaines pages ont le gaufrier envahi par le sang. Une autre planche montre l’évolution du visage de plus en plus tuméfié d’une femme battue jusqu’à une dernière ligne de trois cases à la fois triste et poétique.

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier
Toute la mise en scène du Hongrois Gyula Németh, dont Pitcairn est la première publication en France, allie un découpage des plus classique avec des cadrages d’une grande force, des plans larges d’ambiance poignante et des gros plans mettant en valeur les diverses émotions des personnages. Le travail sur les protagonistes est une des grandes forces de Gyula Németh. Les personnages rivalisent ainsi en charisme, à commencer par Young, Maimiti et l’impressionnante Teraura, à la beauté aussi intense que l’agressivité de son regard. On peut toutefois regretter parfois une certaine difficulté à reconnaître les personnages secondaires, malgré leur nombre réduit.

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier
Grand spectacle et réalité historique
Cette difficulté à différencier les protagonistes qui restent parfois en retrait, peut parfois sortir le lecteur de la narration, les enjeux du récit reposant principalement sur leurs relations, hiérarchiques ou amoureuses. L’amour étant généralement synonyme, dans Pitcairn, de désir et de possessivité, des tensions, rancœurs et jalousies naissent fréquemment au sein de la communauté au gré des trahisons et décès. Ne pas être sûr de l’identité d’un ou plusieurs protagonistes d’un drame ou d’un conflit fait alors perdre à la scène de son intensité et ainsi réduire l’empathie du lecteur. Heureusement, la réduction drastique du nombre de personnages dans ce quatrième tome simplifie les enjeux du scénario de Mark Eacersall, dont le talent à construire des personnages passionnants n’est plus à prouver depuis Tananarive (2021, Glénat), aidé par l’écrivain Sébastien Laurier, auteur notamment de La Bounty à Pitcairn (2017, Zéraq).

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier
Pitcairn conte en effet des événements réels, d’après les récits des survivants découverts en 1808 et dont les descendants peuplent encore aujourd’hui l’île. Ce désir de coller aux événements historiques, au risque de transformer parfois le récit en suite de péripéties importantes sans lien apparent, se révèle en fait captivant grâce à l’alchimie parfaite qui semble naître de la rigueur historique de Sébastien Laurier, du talent de conteur de Mark Eacersall, et de l’intensité du dessin de Gyula Németh. Cette crédibilité historique se ressent également dans les décors superbes du Hongrois, dont la mise en couleurs aux contrastes chaud/froid généralement assez doux tranche avec certains passages aux couleurs dont l’agressivité, amplifie encore la violence des scènes.

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier
Réalisme historique ne signifie pas ennui. Au contraire, le scénario de Pitcairn est riche en scènes fortes, violentes ou dramatiques. Les scénaristes se servent des événements réels comme une arme implacable pour surprendre le lecteur qui ne connaît pas les faits : avec le personnage principal disparaissant à la moitié de la série, puis son successeur à la fin du troisième tome, aucun personnage n’est à l’abri. Ce danger permanent crée une réelle empathie chez le lecteur et fait rapidement de Pitcairn une série captivante qu’il est impossible de lâcher jusqu’à son dénouement, et ce, malgré quelques petits handicaps comme un certain manque de fluidité dans son récit et des personnages parfois compliqués à différencier.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier
Informations sur l’album :
- Scénario : Mark Eacersall et Sébastien Laurier
- Dessin : Gyula Németh
- Couleurs : Gyula Németh
- Éditeur : Glénat
- Date de sortie : 16 octobre 2024
- Pagination : 56 pages

© Glénat, 2024 – Eacersall, Németh, Laurier

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