Où est donc Arabesque ? – T64 des Tuniques bleues
L’album posthume de Cauvin, décédé quelques mois auparavant, marque à plus d’un titre la fin d’une ère : il se dégage de cet album autant de fatigue que de mélancolie de la grande époque où la verve graphique autant que verbale de cette série classique faisait les belles heures du beau journal de Spirou.
Voilà donc le dernier album des Tuniques Bleues… enfin, pas tout-à-fait le dernier, puisque le 65 est sorti avant, alors que lui c’est le 64 qui est du coup sorti après, sauf qu’il était pas prêt à sortir avant le 65 alors que le 65 était prêt avant le 64 (faut dire que c’était pas les mêmes auteurs dans le 65 que dans le 64) qui est sorti après le dernier sorti avant…
Vous avez suivi ? Nous non plus.
Ce qu’il convient de retenir, en tous les cas, c’est que Raoul Cauvin nous livre-là son ultime scénario, publié, selon l’expression consacrée, à titre posthume. L’histoire met ici à l’honneur Arabesque, jument que le caporal Blutch considère comme sa fidèle amie et compagne d’anti-combat, l’ayant dressée à s’effondrer et faire la morte au son du « Chaaaaaargeeezz !! ». Et Arabesque, en l’occurrence, a fait malencontreusement partie des chevaux confisqués par le général Grant, chef de l’armée Yankee, au moment où la pénurie se fait ressentir sur un autre front (« là bas »…). Inconsolable et hors de lui, Blutch finit par convaincre le général Alexander et, évidemment, le sergent Chesterfield de la nécessité de la récupérer. S’ensuit un road-movie parsemé de rencontres et de rebondissements… ou pas.
L’album dans son ensemble paraît marquer une trêve : pas de grande scène de bataille, pas d’animosité (ou à peine) que ce soit entre Blutch et Chesterfield ou (plus étonnant) entre nordistes et confédérés, pas de coup de fusil tiré… L’album est rythmé par les seules rencontres de personnages des deux camps, dont certains sont de vieilles connaissances, qui ont chacun croisé Arabesque et orientent le duo vers leur prochaine étape. Une bienveillance généralisée se dégage donc des 44 planches de l’album dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elle relève plus de la fatigue qu’autre chose.
La fatigue d’un scénariste, en premier lieu, qui, parti d’un postulat pourtant relativement prometteur, semble vouloir amener ses héros d’un point A à un point B au prix du moindre effort, sans réelle surprise. Tout au plus utilise-t-il une structure en flashback aussi répétitive que les running gags, assez peu inspirés, comme seul artifice pour rompre la linéarité de l’action. La fatigue d’un dessinateur, ensuite, Willy Lambil, dont les personnages ne sont plus qu’esquissés au point qu’on n’arrive parfois plus à distinguer les deux protagonistes. La chute qualitative – moins de détails, proportions hasardeuses, expressions fades… – est flagrante entre le précédent volume et celui-ci. Par conséquent, comment éviter la lassitude des héros, ombres d’eux-mêmes, ayant perdu tout leur punch et toute leur verve en même temps que leur dynamisme graphique, et confirmant tristement qu’on arrive à la fin d’une ère ?
Le numéro 65, « L’Envoyé Spécial », par Béka et J-L. Munuera, chronologiquement après celui-là mais sorti av-… bref…, constitue une rupture d’autant plus forte, avec son dessin virtuose et son scénario approfondi. Cet essai en restera là, a priori, puisque Lambil ne compte pas lâcher l’affaire, désormais sur des scenarii de Kris (voir la chronique du 65 et l’interview de Kris sur la page des ADS). Il ne reste qu’à espérer que le renouvellement apporté par l’excellent scénariste des « Brigades du temps » (avec Bruno Duhamel, de 2012 à 2014 dans le beau journal de Spirou) donnera la dose de motivation nécessaire à Lambil pour retrouver le pep’s qui le caractérise toujours.
Chronique écrite par Philippe BARRE
Informations sur l’album
- Scénario : Raoul Cauvin
- Dessin : Lambil
- Couleurs : Vittorio Leonardo
- Éditeur : Dupuis « Tous publics »
- Date de sortie : 15 octobre 2021
- Pagination : 48 en couleurs
- Format : 218 x 300