Missions suicides – T16 de Lady S

Lorsqu’on est une héroïne mystérieuse, tiraillée entre plusieurs identités, de multiples nationalités et un passé des plus brumeux, il n’est pas étonnant de repartir de zéro pour ouvrir un nouveau chapitre de vie et commencer une nouvelle histoire, pour le meilleur et pour le pire. C’est le thème du T16 de Lady S, narré par un nouveau scénariste, L-F. Bollée.

Une jeune femme au crâne rasé et au regard dur s’apprête à réaliser une mission terroriste de faible envergure dans la nuit inquiétante du Turkménistan avant d’être rattrapée par des malfrats et menée à une probable mort violente. Cette femme, c’est Shania, « Lady S », méconnaissable et vieillie. Il faut remonter huit années en arrière pour trouver l’origine de cette métamorphose. Dévastée par la mort de sa tante et sans véritable repère dans sa vie compliquée, Shania décide de partir effectuer une mission humanitaire au Mawali, pays d’Afrique gouverné par son ami Ndiama, homme ayant perdu de vue son fils Simon. Tandis qu’en parallèle, Conrad, agent de la CIA et ancien complice de Lady S, enquête en Egypte sur un mystérieux crash d’avion, la jeune femme va vite découvrir qu’on ne quitte pas une vie tourmentée d’un coup de tête. Où qu’elle soit, d’anciennes connaissances sont là pour lui rappeler cette sordide vérité avec tout le lot de menaces qui vont avec. Comment la vie de Shania a basculé vers l’enfer et quel est le lien avec l’enquête de Conrad ? Les temps sont durs pour Lady S…

Un début de cycle prometteur

De l’aveu même de Jean Van Hamme, créateur de la série et auteur des 9 premiers tomes, raconter les aventures d’une héroïne telle que Lady S n’est pas aisé et s’y identifier, en tant que scénariste, très difficile. Après avoir lui-même assuré la création des histoires, le dessinateur Aymond a recruté L-F. Bollée, son compère d’« Apocalypse mania » et « Les nouvelles aventures de Bruno Brazil » pour débuter un nouveau cycle. Bollée reprend la série en repartant sur les bases laissées par ses prédécesseurs : une héroïne en quête de sens, rattrapée par un destin s’acharnant sur elle avec en toile de fond l’impossibilité pour Shania de vivre une existence sereine loin des peurs et des angoisses. Ce nouveau tome, prélude à une suite, pose les fondements d’un nouveau pan de la vie de Lady S et se suit de façon très agréable. En utilisant d’une façon efficace les ressors traditionnels de la BD d’aventures (action, maîtres-chanteurs, kidnapping, soubresauts imprévus, etc.), le scénariste booste la série en lui ajoutant une part de mystère permettant de s’attacher à l’héroïne. La mise en page et le découpage ajoutent du dynamisme à l’ensemble qui est bien exécuté et haletant, même si les clefs de la destinée de Shania ne nous sont pas encore, loin s’en faut, toutes données.

Le changement dans la continuité

Le travail d’Aymond est comme toujours parfait. Le classicisme du dessinateur reste, comme depuis le commencement de la collection, rassurant et attractif. Il permet ainsi de se plonger dans les méandres d’une série portée par un personnage principal insaisissable. Précis et très réaliste sans être figé, ce dessin participe à la fluidité de l’album, mais apporte aussi une certaine dramaturgie. On y voit ainsi Shania parfois croquée durement et, à la lecture de la BD, on est témoin du changement progressif de Lady S, comme si le personnage préparait déjà sa transition montrée en incipit de l’album, elle qui n’a finalement plus rien à perdre. La couverture, inquiétante et faisant ressentir tout le danger montré dans l’histoire, est réussie même si elle prend un peu d’avance sur son déroulé en nous montrant la Shania rasée au regard terrifiant qu’on ne voit finalement que peu dans « Misions suicides ». Cette couverture, comme ce tome lui-même, permet d’apprécier les couleurs de M. Versaevel, réalistes, lumineuses sans être criardes, parfaitement dans la lignée de l’ensemble.

« Missions suicides » est donc un coup d’essai réussi par L-F. Bollée qui pose avec panache les éléments d’une intrigue qui va se résoudre dans les prochains épisodes. La curiosité est éveillée et, à la lecture de cette nouvelle aventure de la belle Lady S, on s’aperçoit avec plaisir que la bande dessinée classique réaliste n’a pas fini de nous étonner !