Marzi, une enfance polonaise – T2 de l’intégrale Marzi

La série Marzi retrace les souvenirs d’enfance de Marzena Sowa magnifiquement illustrés par Sylvain Savoia. La nouvelle intégrale, intitulée Marzi une enfance polonaise, dont le tome 2 vient de paraître, reprend l’ensemble des histoires publiées dès 2004 dans le Journal de Spirou. Ainsi, ce récit autobiographique mêle souvenirs personnels et récits liés à la grande histoire qui vit la dislocation du bloc soviétique (et la fin de la guerre froide), ainsi que l’émergence des mouvements sociaux en Pologne.
Couverture de Marzi, une enfance polonaise
Couverture de Marzi une enfance polonaise © Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis
Née en 1979, la scénariste de bande dessinée Marzena Sowa a vécu toute son enfance en Pologne. Dès lors, elle est l’un des témoins privilégiés d’un pays agité qui se débarrasse, au fil des pages, du régime communiste dictatorial alors en place, entre espoirs, inquiétudes et parfois regrets. Grâce au trait de Sylvain Savoia, ses souvenirs prennent vie et nous dévoilent les dessous de ce qui se déroulait de « l’autre côté », dans ce bloc de l’Est objet de tous les fantasmes pour ceux de l’Ouest. On y découvre la vie d’une famille ouvrière qui présente quelques similitudes avec les occidentaux de mêmes conditions : un quotidien qui oscille entre la vie citadine et les vacances à la campagne chez les grands-parents ou des anecdotes qui content les bêtises que l’on fait enfant. Mais, à travers le regard aiguisé de Marzena « Marzi », ce sont surtout les difficultés du pays qui sont mises en exergue à travers les comportements des membres de sa famille ou du voisinage. On y retrouve notamment les problèmes pour s’approvisionner ou pour conquérir un brin de liberté.
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© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis
« Est-ce que l’âge change la taille des yeux ? La taille de la curiosité ? », s’interroge Marzi. Cet appétit de la jeune fille pour comprendre un monde en mouvement est parfaitement illustré par Sylvain Savoia qui nous présente une héroïne avec de magnifiques yeux bleus, très souvent grands ouverts, à la conquête des secrets bien gardés par les adultes qui, eux, à contrario, sont représentés avec des yeux plissés et inquiets. Par ailleurs, Marzi se distingue graphiquement des autres enfants dont les yeux ne sont que des « points noirs ». En outre, la série se singularise par la composition de ses planches qui, invariablement, récits après récits, se composent de 6 cases carrées. La rupture graphique débarquant, sans prévenir, avec les dernières images des planches intitulées « Révolution » et qui se terminent par la phrase « J’ai besoin d’aller plus loin ». Lors du récit suivant, « La nouvelle vague », Marzi entre dans une nouvelle ère graphique : fini les histoires courtes. Les cases ont définitivement quitté la rigueur utilisée jusqu’alors pour retrouver un découpage plus conforme aux BD traditionnelles (il s’affranchit de la standardisation restrictives des 6 cases, symbolisant ainsi une certaine liberté que découvre notre jeune polonaise). On assiste ainsi au début d’un nouveau cycle en Pologne qui élimine les uniformes à l’école et remplace les exercices physiques du matin par des cours de religion. Marzi, elle-même change et entre dans l’adolescence.
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© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis
Entre souvenirs personnels et histoire avec un grand « H », la vie de Marzi est marquée par les difficultés liées aux conditions de la classe ouvrière, par la naissance des mouvements sociaux polonais avec l’émergence de Solidarność, le célèbre syndicat qui porta Lech Wałęsa au pouvoir, la chute de régime communiste et avec lui l’effondrement de l’URSS, ou encore l’entrée à marche forcée dans une économie de marché qui entraîna de nombreux laissés pour compte. Une des tantes de la jeune fille se demandera même si ce n’était pas mieux avant. Un refrain souvent entendu lors de l’entrée en force du capitalisme dans les pays de l’ancien bloc de l’Est.
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© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis
Avec tendresse, malice et regard interrogateur sur l’évolution de son pays, Marzi aborde des thèmes importants comme l’homosexualité, le racisme, la liberté ou l’importance de la place de l’église dans la société polonaise. Cerise sur le gâteau, l’héroïne assume de plus en plus sa francophilie et son envie de découvrir le pays de ses rêves. Une chance pour nous et un très beau cadeau pour la langue de Molière qui aboutit à la publication des 7 albums de Marzi. Réédités en deux volumes dans la collection Air Libre, cette belle édition, au papier très agréable au touché, nous laisse un petit regret : il ne comporte aucune coulisse sur la série, ni d’interviews des auteurs. Le lecteur se consolera avec l’ajout de trois histoires courtes inédites (dont un très joli conte) proposées dans le second volume ainsi que par l’histoire publiée dans le numéro 4000 du Journal de Spirou (qui, il faut bien l’avouer, brise, avec un brin d’humour et d’ironie, quelque peu le charme et la poésie de la série).
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© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis
Chronique écrite par Bruce Rennes

Informations sur l’album

  • Scénario : Marzena Sowa
  • Dessin : Sylvain Savoia
  • Couleurs : Sylvain Savoia
  • Éditeur : Dupuis « Aire Libre »
  • Date de sortie : 29 avril 2022
  • Pagination : 200 en couleurs
  • Format : 237 x 310

A lire aussi notre interview de Sylvain Savoia

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