L'Escamoteur - Les Amis de la BD

Avec l’Escamoteur, Philippe Colin et Sébastien Gœthals, pour leur troisième collaboration, nous téléportent au cœur de l’une des affaires les plus marquantes des années 70. Entre enquête, polar, implication personnelle et témoignages, les auteurs remontent le fil des évènements pour livrer leur vérité sur l’histoire de Gabriel Cachine, espion infiltré des Renseignements Généraux (RG), et du groupe terroriste d’ultra-gauche, Action Directe, qui défraya la chronique.

1974, la France vient d’élire Valéry Giscard d’Estaing à la présidence et connaît de gros changements politiques, économiques et sociaux. Gabriel Cachine, artiste libanais, se met au service des RG en tant qu’infiltré dans les mouvances d’extrême gauche contre la promesse d’obtenir la nationalité française. Il y rencontre Jean Marc Rouillan, futur fondateur d’Action Directe, avec lequel son destin sera lié à jamais. Pour piéger ses camarades révolutionnaires de circonstance qui ont besoin d’argent pour financer leurs actions, il manigance le vol et la revente d’un tableau de Jérôme Bosch : l’Escamoteur, mais personne ne sortira indemne de cette histoire.

Gabriel Cachine, personnage ambigu

Gabriel Cachine était un homme trouble, intriguant, avec des visages multiples et à la personnalité difficilement saisissable. Au fur et à mesure de leur enquête, les auteurs découvrent un autre que celui qu’ils pensent avoir démasqué car les apparences sont trompeuses. Gabriel escamote la vérité en permanence et donne à chaque personne une version un peu singulière de lui-même, faisant ainsi de lui l’autre Escamoteur de cette histoire. C’est ce qui rend ce récit complexe et passionnant.

Cette multiplicité est visible dans les traits de Sébastien Goethals avec le regard de Gabriel parfois doux, intense ou encore agressif. Ni beau, ni laid, ce qui ressort surtout, c’est son charme de par son attitude et son look des années 70 avec la moustache, les cheveux long et les rouflaquettes. On perçoit facilement qu’il a fallu tenir les délais pour dessiner les 300 pages avec des cases sans décors, des arrières plan ombrés ou peu de détails. Cependant, la technique offre suffisamment de précision, l’alternance des cases et pages monochromes de différentes teintes restituent très bien l’atmosphère des seventies et des polars cinématographiques de cette époque.

Une véritable enquête

L’idée de ce roman graphique provient d’un souvenir d’enfance de Sébastien Gœthals. Né dans un milieu marginal, il y avait toujours des va-et-vient dans la maison de ses parents dont celui d’une proche de la famille qui avait été emprisonné pour avoir hébergé des membres d’Action Directe. Sébastien a été marqué par cette affaire et c’est la raison qui a motivé la réalisation de cette bande dessinée. Afin de mettre en avant la complexité de leur travail de création, les auteurs ont eu la bonne idée de se mettre en scène dans leur récit, mettant ainsi en évidence leurs réflexions, leurs rencontres avec les témoins, le creusement des diverses pistes jusqu’à se rendre sur les lieux et reconstituer les évènements, leurs doutes, les révélations qui s’enchaînent et leurs interprétations. C’est de cette façon, en partant de faits avérés, qu’ils livrent une fiction documentaire et leur vérité, complétées par un cahier contextuel de 11 pages en fin d’ouvrage signé par Fabien Archambault, spécialiste de l’histoire politique au XXème siècle.

L’Escamoteur offre un voyage dans le temps tout en racontant un fait historique à la manière d’un polar, en faisant ainsi une BD un peu hybride tout comme l’était Gabriel Cachine. Après le Voyage de Marcel Grob (2018) et la Patrie des Frères Werner (2020) le duo transforme une nouvelle fois l’essai avec cette fois Sébastien Gœthals à l’initiative du scénario.

Une chronique écrite par : Xavier