Les métiers de la BD – épisode 15 : BenBK, profession coloriste

BenBK, ou Benoit Bekaert est notamment connu pour être le coloriste de la série Game Over, mais aussi du dernier tome de Gaston Lagaffe par Delaf. Toujours partant pour animer des ateliers sur le métier de coloriste, voire une chaîne YouTube, il s’est tout naturellement prêté au jeu de l’interview pour notre feuilleton de l’été consacré aux métiers de la BD.

©Dupuis

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Les Amis de la BD : Comment êtes-vous devenu coloriste ? Étiez-vous dessinateur d’abord ou vous êtes-vous formé directement en tant que coloriste ?

BenBK : J’ai d’abord voulu être dessinateur BD en entamant des études supérieures à l’école Saint-Luc de Bruxelles. Pendant mon adolescence, je fréquentais beaucoup les festivals BD et les librairies où j’ai pu sympathiser avec des auteurs que j’ai continué de côtoyer durant mes études. D’être au contact avec eux m’a été plus formateur, j’ai pu apprendre les bases de la mise en couleur par ordinateur qui n’était pas enseignée à cette époque, en faisant des aplats et j’ai pu devenir assistant. C’était vers 1999-2000, les outils numériques étaient récents et il n’y avait pas énormément de ressources, pas du tuto en ligne.
 
Les Amis de la BD : Vous travaillez principalement numériquement, est-ce bien cela ? Utilisez-vous un programme et des outils spécifiques ?

BenBK : Oui je travaille en numérique. J’utilise majoritairement Photoshop mais je suis toujours avide de découvrir les autres logiciels ou des nouvelles tablettes graphiques. Pour certains projets ou certaines étapes de la mise en couleur, je préfère Clip Studio Paint. J’utilise occasionnellement Fresco et Procreate mais je n’ai pas poussé mon apprentissage dessus. Ça viendra très certainement. Je n’ai pas encore l’occasion ni le temps de faire tout en traditionnel. 

©Aurélie Dorchy

BenBK à l’exposition « La fabrique de héros », au Musée des Beaux-Arts de Charleroi, 2023 ©Aurélie Dorchy

Les Amis de la BD : Comment se passe le travail en équipe avec le scénariste et le dessinateur ? A quel moment de l’étape de la réalisation de la BD intervenez vous ? Vous donne-t-on des directives précises ?

BenBK : Il y a plein de cas de figures. Parfois je suis intégré dès le montage du dossier avec toute l’équipe, parfois c’est un-e dessinateur-ice qui me propose de collaborer, parfois c’est l’éditeur qui nous met en relation à différentes étapes de conception d’un projet. On discute toujours de nos envies et attentes l’un et l’autre. Généralement je propose mon approche, je peux m’adapter à une manière de faire ou aux contraintes mais globalement, je suis plutôt libre de faire et proposer ma propre vision des couleurs. Et généralement, le reste de l’équipe est curieuse et réceptive de ce que je peux amener. 

Les Amis de la BD : Y a-t-il des codes couleurs qui changent en fonction des genres de bandes dessinées, des spécificités en fonction des titres ou des publics que vous pouvez partager avec nous ?

BenBK : Oui c’est une gymnastique d’adaptation. Je n’aurai pas forcément la même gamme de couleurs entre un projet jeunesse, ado ou adulte. Pour la jeunesse, je peux me permettre pour certains titres de faire des tons acidulés et flashy, ça ne choquera pas les lecteurs. Sur l’ado/adulte, Il faut un peu plus de retenue et penser narratif. Après, rien n’est figé et une gamme de couleur radicale peut aussi avoir son importance dans la manière de raconter l’histoire.

Les Amis de la BD : Selon vous, quelle est la partie la plus agréable et la moins agréable de votre métier pour vous en particulier ?

BenBK : La plus agréable c’est de construire une ambiance et une atmosphère sur plusieurs pages. Ou bien retrouver un personnage et le reconnaître en un coup d’œil rien qu’à ses couleurs. Personnellement, j’aime bien faire le feu et les éclairs, ça donne des lumières tranchées sur les personnages, faire du modelé bien net c’est aussi très chouette à faire. Le moins agréable, c’est la gestion du temps et les plannings bousculés. 

Les Amis de la BD : Comment fait-on pour avoir sa marque de fabrique en matière de couleurs ? Comment se distinguer ?

BenBK : L’idéal serait d’avoir un forme de continuité dans les projets, mais bien souvent ils se suivent et ne se ressemblent pas. Avoir une « patte » prend toute une carrière à développer, l’évolution se fait progressivement. Je pense avoir une certaine approche qui m’est propre mais je m’adapte toujours un peu selon mes envies ou les attentes du dessinateur. 

Gaston tome 22 Delaf ©Dupuis

©Dupuis – Gaston tome 22 : Le retour de Lagaffe – Delaf d’après Franquin – Mise en couleurs de BenBK

Les Amis de la BD : Vous paraissez aimer partager votre métier avec les autres, est-ce quelque chose qui vous vient naturellement ? Avez-vous eu vous-même des mentors ?

BenBK : Oui, j’adore communiquer autour du métier de coloriste lors de tables rondes, d’interventions en public ou en ligne sur Twitch ou YouTube. Je me suis rendu compte que ça restait un métier méconnu du public mais aussi des professionnels et des journalistes. S’il y a moyen d’en parler, je saisi l’opportunité. Je pense que l’édition aura toujours besoin de coloristes, il faut se dire qu’une nouvelle génération doit être formée. Je ne manque pas de donner des astuces et d’expliquer la réalité du métier.
 
 Les Amis de la BD : Admirez-vous particulièrement le travail d’autres coloristes, et si oui qu’est-ce qui vous plaît chez eux ?

BenBK : Je suis toujours impressionné par le travail des coloristes américains comme Matt Wilson, Lee Loughridge ou Dave Stewart. Ils ont une quantité de travail à faire en très peu de temps, ils sont courageux. En Europe, j’aime beaucoup le travail de Brigitte Findakly, Lorien Aureyre, Bérengère Marquebreucq ou Gaëtan Georges. 
 
Les Amis de la BD : Essayez-vous de vous former à d’autres techniques, voire envisagez-vous soit de travailler à la main (si vous ne le faites pas déjà) voire à l’inverse, de recourir à l’IA ?

BenBK : J’aimerai beaucoup me remettre au traditionnel mais je manque cruellement de temps ! J’essaye d’aménager mon emploi du temps pour avoir d’autres activités artistiques manuelles. Pour l’instant seules les séances de dédicaces me permettent de m’amuser avec des outils traditionnels. L’IA est une menace réelle, le vol d’œuvres est prouvé et cette technologie est peut être juste une bulle. Il est évident que certaines personnes vont s’emparer de la technologie et qu’elle servira pour des projets sans âme. J’ose espérer que les éditeurs vont privilégier la qualité et la forme d’artisanat des artistes plutôt qu’un « produit » vite fait pour rapporter de l’argent. 

Une grande aventure des P'tits Diables - Vacances diaboliques ©Soleil

©Soleil – Une grande aventure des P’tits Diables : Vacances diaboliques – Olivier Dutto au scénario et au dessin, Benoit Bekaet pour la mise en couleurs.

Les Amis de la BD : Pensez-vous qu’on pourrait en faire plus pour valoriser le métier de coloriste ?

BenBK : Certainement! Avec plusieurs collègues, nous avons fait une semaine de séminaire pour échanger sur le métier, nos expériences et nos méthodes de travail. C’est toujours intéressant et enrichissant de voir les autres à l’œuvre et de partager nos manières de faire et astuces d’outils. On compte bien en faire un rendez-vous annuel pour faire le point sur notre statut. Un regroupement est en projet, on aura l’occasion d’en reparler lorsqu’on se sera organisé. 
 
 Les Amis de la BD : Avez-vous des projets en cours dont vous pouvez nous parler ?

BenBK : Je travaille actuellement sur « le pire guide du Japon » dessiné par le youtubeur Cyprien, j’ai terminé le premier album d’un diptyque appelé « Zebraska » adapté du roman du même nom à paraître chez Dupuis. Et je continue mes séries de longue date comme les P’tits Diables, les Omniscients, les Amis de Spirou et un nouveau Gaston avec Delaf

Les Amis de la BD : Un tout grand merci pour votre participation à notre série d’interviews sur les métiers de la bande dessinée et bon courage pour vos différents projets en cours

Propos recueillis par : Aurélie Dorchy

Vous pouvez discuter de l’interview de BenBK sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.

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