Les Indomptés – T6 de Lucky Luke vu par...

En bande dessinée comme en vin, on compte des Grands Crus, à savoir des appellations que tout le monde connait, sans forcément les avoir appréciés un jour. Et la cuvée « Automne 2023 » a été particulièrement riche en grandes séries, pour le paysage bédéphile. Après la sortie d’un Largo Winch, d’un Astérix, d’un Blake et Mortimer revisité et même d’un Gaston Lagaffe, c’est au tour de Lucky Luke d’enrichir les têtes de rayons des libraires, avec « Les indomptés », par Blutch.

Couverture de l'album Les Indomptés — Couverture de l’album Les Indomptés © Lucky Luke – Blutch – Lucky Comics

Au début de cette histoire au titre très western, on retrouve le cow-boy le plus célèbre de la BD dans son exercice favori : il vient livrer Rufus Kinker, un petit malfrat, au shérif d’une petite ville de l’ouest qui n’aime pas les étrangers. Mission accomplie et chanson mélancolique au crépuscule pour Lucky Luke ? Pas vraiment, car la capture de l’aîné des Kinker sonne le début d’une aventure étonnante pour le héros solitaire. Il ne peut en effet le rester bien longtemps (solitaire), car il se retrouve très vite affublé du frère et de la sœur de Rufus, gamins turbulents qui vont l’exaspérer au plus haut point. Mais Lucky Luke va rapidement s’apercevoir que les 2 enfants Kinker ne sont pas forcément les éléments les plus dangereux d’une famille de hors-la-loi à qui le cynisme ne fait pas peur…

Page 3 de l'album Les Indomptés — © Lucky Luke – Blutch – Lucky Comics

Quand Lucky Luke montre son vrai visage

Si on savait que Blutch était amateur de l’œuvre d’Hergé, cet « hommage à Lucky Luke » montre qu’il est aussi un fidèle de Morris. « Les indomptés » développent en effet une grande partie des ingrédients qui ont fait la légende de la série, à savoir une aventure faite de course poursuite, de brigands, de saloon, de prison, de trésor, de l’importance des chevaux ou bien encore de la formidable dextérité et détermination d’un héros au service de la justice. Cependant, s’il est toujours là pour remettre les choses en bon ordre dans un Far West où le mal est omniprésent, Lucky Luke montre dans cet album plus que jamais qu’il n’est pas naïf et que les codes de la société ne sont pas non plus le nec le plus ultra, surtout pour l’homme libre qu’il aspire à rester. C’est bien dur pour lui dans cet album, et chaque page le souligne, sans ménagement. On le voit taiseux, plein d’une colère renfermée, proche de l’énervement, d’autant plus qu’il doit supporter des gamins bien difficiles, le poussant à avouer qu’il n’aime pas les enfants ! Il faut dire que Rose et Casper Kinker sont de vrais phénomènes ; c’est à se demander si notre cow-boy ne leur préférerait pas 4 bandits bien connus, grands absents de cette aventure.

Page 4 de l'album Les Indomptés — © Lucky Luke – Blutch – Lucky Comics

Un hommage bien personnel par un amoureux de la série

Pour cet hommage, Blutch conserve son style propre, sans chercher à s’inscrire dans les traces de Morris et à tenter une imitation impossible. Le Grand Prix de la ville d’Angoulême 2009 connaît cependant par cœur les codes de Lucky Luke et les réinterprète pour signer un album personnel – « celui qui lui manquait, en tant que lecteur , dans sa collection » – où on reconnaît sa patte, sans pour autant choquer les fans les plus assidus de « l’homme qui a troué la palissade », comme il est écrit avec malice en 4ème de couverture. Les couleurs de Daniel Blancou accompagnent le dessin d’une façon assez extraordinaire tant, à tourner les pages des « indomptés », on a vraiment l’impression de feuilleter un « vrai » Lucky Luke. Le coloriste, grand amateur de Morris lui aussi, sait retranscrire l’aventure et apporter un climat rassurant, par l’ambiance simple mais pleine de fraîcheur qu’offre son travail.

Page 5 de l'album Les Indomptés — © Lucky Luke – Blutch – Lucky Comics

« Les indomptés » sont donc, à l’image des albums de la grande époque Morris / Goscinny, une histoire à double lecture. Si certains, et sans doute les plus nombreux, y verront une autre aventure du cow-boy solitaire, d’autres ne manqueront pas l’hommage plein de reconnaissance d’un auteur à une légende de la BD qui n’en finit pas d’inspirer et de nourrir les imaginations. « Bang Bang Lucky Luke ! »