Le Partage des mondes
Les bombardements de Londres par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale ont fortement impacté et traumatisé les Londoniens jusqu’aux derniers jours du conflit. Avec Le Partage des mondes, Olivier Grenson nous plonge au cœur de cette époque tragique pour nous narrer une histoire à la fois touchante et pleine de poésie.
L’ensemble de l’histoire est raconté du point de vue d’Isaac Green, jardinier à la retraite et veuf. En plus de son regard sur les dégâts causés par les bombardements, la voix off du principal protagoniste permet de comprendre mais aussi de ressentir ses questionnements et ses affects, étant profondément marqué par la mort de sa femme.
La poésie et l’imaginaire face à la guerre
La vie du vieil homme bascule lorsqu’il rencontre une petite fille qui se fait appeler Mary et qui s’est perdue lors d’une alerte à la bombe. Isaac décide de la prendre en charge et de l’aider à retrouver sa maison et sa famille, tâche difficile au cœur du chaos provoqué par les bombardements. Afin de l’apaiser et de lui faire oublier les horreurs de la guerre, Isaac raconte et élabore selon les demandes de Mary une histoire inspirée des contes de fée et de la botanique.
Cette histoire de prince (puis de princesse) devant sauver un arbre millénaire est le cœur du récit et c’est à travers elle qu’une profonde et tendre amitié va se développer entre Isaac et Mary. Cette relation marquée par l’imagination et la tendresse est le centre du récit d’Olivier Grenson et le lecteur ne peut que s’attacher à ses personnages. Elle est d’autant plus impactante qu’elle est mise en contraste avec le chaos et l’horreur des bombardements, même si ceux-ci se font un peu oublier. L’aspect traumatisant de ces évènements en est légèrement amoindri, même s’il est difficile de totalement l’atténuer, au risque que l’œuvre elle-même ne perde de sa charge émotionnelle.
Des nuances de gris et de couleurs
Ce contraste entre la dure et triste réalité et la beauté de l’histoire racontée par Isaac se ressent et s’incarne aussi dans le choix des couleurs et du matériel utilisé.Dès la première page, la prédominance du gris tracé au crayon met bien en avant la noirceur et la grisaille d’une capitale britannique vivant dans les décombres et les alertes aux bombardements. Même si la couleur est présente au début, elle est très pâle, à la limite du désaturé mais va devenir de plus en plus vive, contrastant avec la dominance du gris.
Elle sera prédominante lorsqu’Isaac raconte son histoire à la jeune Mary, d’autant plus que ce n’est plus le crayon mais la peinture qui est utilisée. Le recours à cette technique permet de rendre les couleurs plus douces au regard et l’ensemble du récit commence à colorer progressivement les moments de la vie réelle jusqu’à ce que tout rayonne de douces couleurs. Cette progression de la couleur sert à merveille le récit car elle retrace le retour du goût à la vie et l’aspiration au bonheur malgré les bombardements qui rythment le quotidien des personnages.
En plus des couleurs, Olivier Grenson utilise de très grandes cases (souvent trois par planches), permettant de mieux nous immerger dans le lieu et l’époque. Chacune d’elle est presque un véritable tableau riche avec ses nombreux détails que le lecteur prendra plaisir à admirer, notamment les décors de la ville de Londres.
Ce grand format est d’autant plus pertinent et impactant quand l’auteur recourt à des plans plus rapprochés sur les personnages. Ce procédé permet de mieux saisir les expressions et le regard de ceux-ci et ainsi de bien ressentir leurs émotions et donc d’encore davantage rendre les personnages attachants.
À travers cette relation entre un jardinier veuf et une petite fille perdue, Olivier Grenson nous propose non pas un récit sur le vécu des civils pendant la guerre mais comment survivre psychologiquement à celle-ci. L’histoire d’Isaac et de Mary constitue une jolie ôde à l’imagination et à l’entraide, source de bonheur et de joie de vivre pour faire face à la brutalité de la guerre, le tout sublimé par un usage bien dosé des couleurs.
Chronique écrite par Stéphane TRIQUOIT
Informations sur l’album
- Scénario : Olivier Grenson
- Dessin : Olivier Grenson
- Couleurs : Olivier Grenson
- Éditeur : Le Lombard
- Date de sortie : 5 avril 2024
- Pagination : 238 en couleurs
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