Le chœur des sardinières
Outre la référence aux chants des ouvrières au travail ou en grève, Le Chœur des Sardinières, de Léah Touitou et Max Lewko, est une BD qui décrit ce qu’était la vie d’une «penn sardin» au début du XXe siècle et elle raconte ce que fût leur soulèvement social qui eût un retentissement national.

À Douarnenez, en 1924, toute la population vit au rythme des sardines. Les notables possèdent les conserveries du côté des ouvriers, les hommes sont pêcheurs, les femmes sont sardinières et leurs enfants ont un destin tout tracé : ce sera le bateau ou le travail du poisson à l’usine, mariés à un marin ou à une «penn sardin» (surnom signifiant tête de sardine en breton et donné aux ouvrières car leur travail commençait par couper la tête du poisson).
La besogne est difficile, les journées sont longues et les contremaîtres mènent la vie dure aux ouvrières qui triment pour un salaire de misère. Les marins boivent au bistrot le fruit de leur pêche pour fêter leur retour au port et oublier leur condition, pendant que les femmes tiennent le foyer à bout de bras, avec l’incertitude et la peur du lendemain.
La colère gronde parmi les ouvrières, mais les conséquences des révoltes passées freinent les ardeurs des plus anciennes, d’autres redoutent de ne pas faire le poids face aux riches et puissants patrons et les maris s’inquiètent de ne pas pouvoir tenir plus de quelques jours sans paie et donc sans pouvoir nourrir la famille. Mais quand il n’y a plus rien à perdre, que ou qui peut-on craindre ? Même pas le bon dieu !

Un récit d’Histoire sociale
De la cloche qui sonne à l’arrivée des bateaux pour alerter les femmes de la tâche qui les attend à l’usine, jusqu’à la paie de fin de labeur, toutes les étapes des journées de travail des ouvrières sont décrites précisément et sont judicieusement intégrées dans le récit pour raconter une histoire dans l’Histoire.
Le lecteur assiste également aux prémices de 1936 avec, par exemple, le maire communiste qui soutenant la grève, est démis de ses fonctions par le préfet, qui, par cette décision, dévoile son soutient au patronat.
La quasi inexistence du droit du travail est mise en évidence. Ces femmes sont contraintes d’usiner parfois dès l’age de 8 ans, 12 heures par jour pour moins d’un franc de l’heure et dont le salaire est parfois amputé par simple abus d’autorité de la contremaître. Pour autant, ce récit n’a pas une vocation féministe, car la seule chose qu’elles réclamaient était de gagner de quoi vivre dignement et non un statut égalitaire avec les hommes.
Enfin, l’accent est mis sur la solidarité des sardinières, aussi bien professionnelle que dans la vie privée, formant ainsi une véritable communauté. Ce lien est symbolisé par ces chants qu’elles entonnent d’une seule voix pour mettre du cœur à l’ouvrage comme pour clamer leurs revendications dans la grève. En les unissant dans un chœur, ces refrains leurs donnent la force d’entraîner toute la société derrière elles, des conserveries aux filatures, de Douarnenez à Béziers et de leurs maris jusqu’au ministre du travail.

Une illustration immersive et réaliste
Le dessin et les couleurs de Max Lewko sont réalisés sur papier. Il commence par un crayonné, puis réalise une mise au propre au pinceau jetable et à l’encre de chine sur une nouvelle feuille placée sur la table lumineuse. Enfin, il aquarelle sur une troisième feuille. Un travail qui a du être intense pour parvenir à réaliser 134 planches en 9 mois et sur lesquelles la couleur bleue azurée et les reflets argentés de la sardine sont évidemment omniprésents.
Le lecteur appréciera certainement la précision du travail de reconstitution qui rend le scénario crédible et réaliste même si il est évident que le graphisme des personnages consistait davantage à valoriser les expressions et les sentiments que les ressemblances avec les acteurs historiques. Ainsi les scènes de vies, outils et gestes des sardinières sont restitués tels qu’ils l’étaient à l’époque comme par exemple «le bec d’oiseau», couteau courbé qui permet d’étêter et d’éviscérer d’un coup sec la sardine. Cependant certains détails pourront cependant échapper aux non initiés comme par exemple les petites pyramides posées sur les tables qui sont des cages métalliques et dans lesquelles les ouvrières déposaient les sardines éviscérées pour les sécher avant qu’elles ne soient frites (p.11).

Avec Le chœur des Sardinières Léah Touitou et Max Lewko nous renvoie au début du XXe siècle dans une société pas très différente de la fresque romanesque historique et sociale des Rougon-Macquart écrite par Emile Zola au XIXe. Une société des «petites gens», miséreuse et prisonnière de sa classe sociale, exploitée par les plus riches, mais des gens fiers, courageux et solidaires prêts à tout pour survivre dans la dignité. C’est une page de l’histoire de France, annonciatrice des mouvements sociaux de 1936 et féministes que nous raconte cette bande dessinée.

Une chronique réalisée par : Xavier
Informations sur l’album :
- Scénariste : Léah Touitou
- Dessinateur : Max Lewko
- Coloriste : Max Lewko
- Editeur Steinkis Editions
- Pages : 144 pages en couleurs
- Date de sortie : Le 16 janvier 2025


