L’armée des ombres
« L’armée des ombres », c’est un livre de Joseph Kessel, paru en 1943, décrivant le quotidien des résistants dans la France occupée. En 1969, Jean-Pierre Melville en fera un chef d’œuvre du cinéma. Ce sera désormais aussi une bande dessinée de Morvan, Moynot et Lacou.
© Editions Philéas, 2024 – L’armée des ombres – Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lacou
France, 1942. Philippe Gerbier est un résistant. Il s’évade du camp de prisonnier où il était retenu et se rend à Marseille pour exécuter le traître qui l’a dénoncé. Il doit ensuite organiser l’évacuation de plusieurs personnes, dont son chef Luc Jardie, vers l’Angleterre.
© Editions Philéas, 2024 – L’armée des ombres – Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lacou
Adapter un roman sans intrigue
La difficulté d’adapter le roman de Kessel est qu’il s’agit d’un livre sans intrigue principale. En fait, chaque chapitre du livre contient son propre enjeu. Par contre, ce qui est omniprésent, c’est la peur d’être arrêté avec toutes les conséquences désastreuses que cela entraîne.
Globalement, Jean-David Morvan s’en sort plutôt bien. Il a supprimé certains passages (tout le début du livre décrivant Gerbier arrivant à la prison et mettant au point son plan d’évasion est passé à la trappe) et changé les protagonistes d’autres séquences mais il garde l’essentiel : décrire cette armée faite de soldats parfois improbables mais tout autant déterminés.
L’autre aspect important du livre est que cette armée des ombres est constituée de gens ordinaires qui se retrouvent dans des situations extraordinaires. Des événements qui souvent impliquent des dilemmes moraux. Ce sont des héros, oui mais des héros humains avec leurs faiblesses. Comme Gerbier lorsqu’il doit tuer son délateur en l’étranglant : le résistant promet à sa victime qu’elle n’aura pas mal.
De nouveau, le scénariste ne rate pas le coche et garde bien cet aspect psychologique des personnages, ce qui les rend plus proches de nous.
© Editions Philéas, 2024 – L’armée des ombres – Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lacou
Semi-réalisme et bichromie
Emmanuel Moynot et Benoît Lacou ont dû relever le défi de mettre en images cette « armée du malheur » (un des titres envisagés par l’auteur). Une tâche pas évidente tant depuis la sortie du film les personnages du roman sont associés aux acteurs qui les ont interprétés.
Pour éviter cet écueil, les dessinateurs ont fait un choix radical : s’éloigner le plus possible de l’esthétique du film de Melville pour aller vers un trait semi-réaliste qui n’appartiendra qu’à la bande dessinée. L’idée se révélera payante bien que déconcertante durant les premières pages.
Plusieurs personnes sont à créditer pour les couleurs : Hiroyuki Oshima, Adèle Martin et Alizée Bertheloot. Comme pour le dessin, il a été décidé de prendre des partis-pris radicaux : des couleurs sombres, même pour des paysages ensoleillés, afin de créer cette atmosphère dramatique à l’image de ce que vivent les personnages et pour certaines planches, une bichromie composé de noir et d’une autre couleur. Comme si pour les personnages, il n’y avait plus qu’un choix : la couleur ou le noir, la vie (sombre et difficile puisqu’il faut sans cesse se cacher et changer d’identité) ou la mort.
© Editions Philéas, 2024 – L’armée des ombres – Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lacou
Une vision de l’armée des ombres
Le lecteur n’avait peut-être pas imaginé une adaptation en bande dessinée du livre de Kessel comme cela mais au final les choix des différents artistes sont fidèles à l’œuvre originale et transmettent bien l’esprit des résistants dans une France occupée où chaque personne que vous croisez peut être un agent de l’ennemi. Sans parler du fait que ce sont parfois les résistants eux-mêmes qui font des erreurs qui peuvent s’avérer fatales pour eux et leurs amis. Tout cela démontre bien que les auteurs avaient une vision personnelle et pertinente du livre.
Dans tous les cas, cette adaptation a le mérite de remettre sur le devant de la scène le roman de Kessel et ses personnages : des héros tragiques qui auront chassé les corbeaux noirs des plaines.
© Editions Philéas, 2024 – L’armée des ombres – Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lacou
Une chronique écrite par : Frédéric P.
Informations sur l’album :
- Scénario : Jean-David Morvan d’après le roman de Joseph Kessel
- Dessins : Emmanuel Moynot et Benoît Lacou
- Couleurs : Hiroyuki Oshima, Adèle Martin et Alizée Bertheloot
- Éditeur : Philéas
- Date de sortie : 17 octobre 2024
- Pagination : 127 pages en couleurs
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