L’Envoyé spécial – T65 des Tuniques Bleues

L’événement fera date : un album des Tuniques Bleues par un nouveau duo d’auteurs ! laissant de côté les inévitables considérations sur la santé des titulaires, penchons-nous avec L’Envoyé spécial, sur la performance de Béka et Jose-Luis Munuera dans les pantoufles de monstres sacrés de Marcinelle : lesdites pantoufles sont-elles trop grandes ? Ou trop petites ?…

Couverture de l'album L'Envoyé spécial
© Les Tuniques bleues – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

La reprise d’un grand (très grand) classique de la BD franco-belge est toujours susceptible de susciter la controverse. La reprise des Tuniques Bleues (fleuron du journal de Spirou) par BéKa et Munuera promet de ne pas déroger à cette règle, mais de manière très inhabituelle : « L’Envoyé Spécial » est, disons-le, beaucoup trop bon pour être un « Tuniques Bleues ».

Page 9 de l'album L'Envoyé spécial
© Les Tuniques bleues – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

William Russel, journaliste du Times en disgrâce dans son propre journal pour cause de déontologie et d’honnêteté inacceptables, est envoyé au front, littéralement, en pleine guerre civile américaine, pour en faire un reportage dont, avec un peu de chance, il ne ressortira pas vivant. Il y sera escorté par des soldats répondant aux noms de Blutch et Chesterfield.

Page 10 de l'album L'Envoyé spécial
© Les Tuniques bleues – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

Pour commencer par le plus évident : le graphisme classieux et léché de Munuera, à grand renfort d’Apple et Adobe, son caractère cinématographique remarquablement dynamique, les dessins somptueux en pleine page (ou double page) et les scènes de batailles spectaculaires enrichies d’effets spéciaux hollywoodiens, changent radicalement du style artisanal ronronnant d’un Lambil en pilotage automatique.

L’histoire, ensuite, à plusieurs niveaux de lecture, hautement philosophique, alternant moments introspectifs et scènes de guerre, multipliant les intrigues parallèles, ménageant de longs moments émouvants empreints de bons sentiments et de violons grandiloquents, tranche également de manière drastique avec les comédies légères et anecdotiques d’un Cauvin n’ayant plus rien à prouver.

Page 11 de l'album L'Envoyé spécial
© Les Tuniques bleues – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

Cependant, n’est-ce pas ce qu’on recherche en achetant un nouveau tome de cette série mémorable autant que mémorielle ? Un dessin sans effets de manche qui va droit à l’essentiel, une histoire simple qui observe l’Histoire par le petit bout de la lorgnette, un timing comique et des saillies humoristiques qui ne prennent pas de risque ? Car malgré ses indéniables qualités à tous les niveaux, « L’Envoyé Spécial » peine à proposer un mode de vie alternatif crédible aux personnages qui ont eu pas moins de 63 albums (Salvérius compris) pour prendre leurs habitudes, et leurs lecteurs avec. Le duo comique potache autant que patachon s’intellectualise peut-être de façon bienvenue, mais y perd sa verve. Le graphisme y est travaillé et spectaculaire, mais y perd son charme désuet hérité de la grande époque de Marcinelle.

À la fois respectueux de la tradition de la série, et moderne dans sa forme autant que dans son fond, « L’Envoyé Spécial » fourmille de qualités que l’on n’attend peut-être pas d’un bon vieil album des Tuniques Bleues.

Page 12 de l'album L'Envoyé spécial
© Les Tuniques bleues – BeKa et José Luis Munuera – Dupuis

Chronique écrite par Philippe BARRE

Informations sur l’album

  • Scénario : BeKa et José Luis Munuera
  • Dessin : José Luis Munuera
  • Couleurs : Sedyas
  • Éditeur : Dupuis « Tous publics »
  • Date de sortie : 30 octobre 2020
  • Pagination : 56 en couleurs
  • Format : 218 x 300

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