Jaune tome 1
Avis aux amateurs des slashers* des années 80 et 90, le Label 619 se lance dans une nouvelle série hommage au genre. Sous la plume de RUN et les pinceaux de Prince Rours, l’hémoglobine va couler dans cette trilogie qui s’annonce épique et grandiloquente. Sortez votre plus beau ciré Jaune et votre plus tranchante machette et direction le Québec à la rencontre d’un tueur mystique en quête de vengeance.
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
Des post-ados à la libido aussi forte que leur orgueil sont réunis dans un camp de vacances dans la nature québécoise. Les monos racontent des histoires horrifiques un peu ringardes, les garçons roulent des mécaniques, à part le petit Clément, les filles séduisent, à part la fragile Lucie. Cette dernière est plutôt le souffre-douleur du reste de la petite bande, alors quand elle assiste à ce qu’elle n’aurait jamais dû voir, les autres lui mettent un coup de pression qui tournera à la tragédie. Pour le pire et l’encore pire.
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
Canadian Horror Story
Ce n’est pas la première fois, loin de là, que le Label 619 s’attaque au thème du slasher, notamment dans plusieurs récits courts des recueils Doggybags et LowReader ou avec des traductions de comics US, mais Jaune a ceci d’inédit d’être leur première création de série dans le genre. Entre deux tomes de Mutafukaz 2, le scénariste illustrateur RUN prend de toute évidence son pied à créer cette histoire de vengeance, d’ultra violence, psychologique comme physique, riche en scènes brutales et sans concessions. Cent pour cent crue et cruelle, la narration du boss du Label 619 offre des moments d’anthologie qui ne brillent certes pas par leur originalité mais qui sont d’une redoutable efficacité. En effet, de nombreux poncifs du slasher sont présents dans ce premier tome de Jaune, de la voiture percutée par un train, suite à une intervention du tueur, à la scène de douche, de la mort lente et improbable de la bimbo à l’imposant psychopathe qui surgit de nulle part, presque mystique…
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
Côté personnages, c’est le même constat. On a droit à tous les clichés du genre : la rousse (qui remplace l’habituelle blonde) sexualisée à outrance, le beau gosse brutal, l’intello allumeuse, le frimeur un peu con, la désabusée, le geek à grandes lunettes, la protagoniste plus sensible, plus maline, plus fragile aussi mais surtout plus résiliante que ces autres décérébrés, et bien sur le tueur à l’aspect improbable. Avec son ciré jaune et sa machette, il ressemble autant à un costume d’Halloween que ses prédécesseurs de Scream, Souviens-toi l’été dernier ou le plus récent Terrifier. Pourtant, grâce à l’intelligence dans la bêtise du scénario de RUN, tout ce petit monde fonctionne à merveille, chacun tenant son rôle à la perfection, faisant de Jaune un pur « page-turner ».
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
Souviens-toi l’été avant-avant-avant-(…)-dernier dans Jaune
Seule Lucie, héroïne malgré elle à qui les traumatismes ont forgé une colère enfouie qui ne demande qu’à exploser, va venir bousculer quelque peu les codes du slasher, notamment dans un final qui donne furieusement envie de lire la suite. Le récit de RUN nous offre également un joli moment de nostalgie quand, au détour d’un dialogue, le tueur vieillissant reconnaît être dépassé : « un artiste dont les œuvres ont été reléguées à l’obscurité », un hommage supplémentaire que RUN rend à ces films un peu oubliés ou injustement ringardisés. En fait, Jaune, c’est comme un vieux disque de W.A.S.P., ça a tout du kitsch et du ringard mais qu’est-ce que ça fait du bien !
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
Entre manga et comics, RUN et Prince Rours alternent planches en noir et blanc et planches en couleurs au gré de leur chronologie. Ce procédé, là encore très classique, apporte une touche rétro supplémentaire à Jaune. Le trait de Prince Rours, illustrateur touche-à-tout récemment arrivé au sein du Label 619 avec ses récits courts dans LowReader et Midnight Tales, joue également sur la dualité ancien/moderne. Aussi à l’aise dans le manga que dans un style plus « indie » américain, Rours possède un talent indéniable pour créer des ambiances pesantes ou pleines de danger, avec sa mise en scène vive et brutale, ses personnages à la caractérisation poussée à l’extrême : tout comme RUN, l’illustrateur joue sur les clichés. Les proportions ou perspectives à la justesse quelque peu aléatoire montrent l’urgence permanente dans laquelle se démènent ses protagonistes.
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
Au cinéma, Jaune serait ce qu’on appelle un plaisir coupable. Des personnages caricaturaux, un récit basique, des scènes rarement surprenantes, l’essence même de ce premier tome ne serait que peu enthousiasmant sans le savoir faire du Label 619 pour captiver ses lecteurs. RUN et Prince Rours nous offrent en effet ici une introduction jouissive sous forme d’hommage aux slashers de la fin du siècle dernier, un vrai cadeau à tout quarantenaire ou cinquantenaire ayant vibré devant les Vendredi 13, Freddy, ou Souviens-toi l’été dernier, qui pourra toutefois plaire aux plus jeunes, fans d’American Horror Story ou juste amateurs d’émotions fortes dans ce que l’être humain a de plus abject.
* le slasher est un sous-genre cinématographique du cinéma horrifique qui met en scène un tueur, généralement masqué, défiguré, grimé et/déguisé faisant un massacre sur des victimes, le plus souvent jeunes et pas bien malines.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
Informations sur l’album :
- Scénario : RUN
- Dessin : Prince Rours
- Couleurs : RUN & Prince Rours
- Éditeur : Rue de Sèvres
- Date de sortie : Le 23 octobre 2024
- Pagination : 168 pages en couleurs
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024
© Rue de Sèvres, Label 619 – RUN & Prince Rours – 2024