Irish Melody – T66 des Tuniques Bleues

Irish Melody, ou les aventures de Corny et Blutchy. Pour ce premier épisode de la période post-Cauvin des Tuniques Bleues, Kris livre un scénario dans la pure tradition de la série, où souffle un bon air de terres brûlées au vent des landes de pierre.

Couverture de l'album Irish Melody
Couverture du nouvel album.
© Les Tuniques bleues – Lambil et Kris – Dupuis

C’est, pour les vivants, un peu d’enfer… la Virginie pendant la guerre de sécession. Alors que Stark et le 22ème de cavalerie doivent embarquer sur un bateau en partance pour Fredericksburg où leur renfort est attendu, Chesterfield tombe, par un hasard fort opportun, sur un officier de l’armée de l’Union à la tenue peu conventionnelle : en cette Saint Patrick, le capitaine Dougherty (Paddy) arbore son plus beau costume de léprechaun. Mais le scalp rougeoyant de Chesterfield met rapidement la puce à l’oreille de l’irlandais : ne serait-il pas, au juste, lui-même originaire de la verte Erin ? Et ne serait-il pas le Cornelius Chesterfield, cousin éloigné que le farfadet devait retrouver, sur les conseils de son frère, afin de se placer sous sa protection ?

Planche 3 de l'album Irish Melody
Première planche d’Irish Melody.
© Les Tuniques bleues – Lambil et Kris – Dupuis

Comme l’exige les canons du genre, Kris (Les Brigades du Temps) s’inspire d’un fait réel méconnu, les brigades irlandaises de l’Union, pour tisser une intrigue au départ relativement simple, mais assez audacieuse : Chesterfield et Blutch se séparent ! Autant sensible à sa fibre familiale que fasciné par ces fantassins irlandais au folklore si attachant et au courage et la loyauté sans faille, Corny va petit à petit se laisser enrôler dans leurs rangs jusqu’au transfert officiel, pendant que Blutch, ruminant sa vexation comme sa nostalgie de son sergent adoré, continue sans entrain sa route avec Stark. Bien évidemment, et sans en dévoiler trop, les routes divergentes de notre duo vont se recroiser fatalement… dans tous les sens du terme.

Page 4 de l'album Irish Melody
© Les Tuniques bleues – Lambil et Kris – Dupuis

Indéniablement, Kris cherche ses marques : l’histoire ne décolle réellement qu’à la page 25, arrivant assez laborieusement au transfert de Chesterfield chez les fantassins. La première moitié souffre de quelques longueurs dont le but est tantôt pédagogique (la fête irlandaise), tantôt de justifier avec moult circonvolutions l’état de fait qui s’avère, avec un peu de retard, le départ réel de l’histoire. On pardonnera également un running gag qui tombe un peu à plat, puisque ne fonctionnant qu’en français – or la convention voudrait que l’on lise, en fait, de l’anglais traduit.

Page 5 de l'album Irish Melody
© Les Tuniques bleues – Lambil et Kris – Dupuis

La deuxième partie, en revanche, est très convaincante : Kris arrive assez adroitement à imposer sa patte tout en conservant une sorte de rythme et de ton cauvinesque qui avait peut-être manqué aux Béka dans leur tome 65 (L’Envoyé spécial, dessin de Munuera, 2020 – voir notre chronique). Les ingrédients attendus sont là, dans une recette relativement simple et bien rodée qui a fait le succès de la série et de ses auteurs.

Page 6 de l'album Irish Melody
© Les Tuniques bleues – Lambil et Kris – Dupuis

La plume de Lambil a l’âge de ses artères. Le tome 64 marquait déjà une nette rupture dans la qualité pourtant ininterrompue depuis la reprise de Willy Lambil au tome 5, en 1974. Même si l’on peut reconnaître, tout de même, un trait un peu revigoré par le dynamisme du scénario, qualité que l’on avait peine à reconnaître aux derniers Cauvin, on est malheureusement loin de la verve, de l’expressivité et de la souplesse des grandes heures. L’impression négative est toutefois compensée par sa science bien intacte du découpage, des plans cinématographiques et de la reconstitution d’époque.

Page 7 de l'album Irish Melody
© Les Tuniques bleues – Lambil et Kris – Dupuis

L’album, pris dans son ensemble, est très intéressant non seulement par son contexte historique, mais aussi par les questions sous-jacentes, à une heure où le thème de la guerre prend de plus en plus de place dans notre environnement médiatique. De l’implication politique d’une nation dans une guerre extérieure au thème du conflit fratricide, difficile de ne pas voir dans cet album le rappel du cycle de l’Histoire qui se répète, renvoyant à des épisodes de l’histoire contemporaine, y compris, en cours de route, à un certain 24 décembre 1914.

Chronique écrite par Philippe BARRE

Informations sur l’album

  • Scénario : Kris
  • Dessin : Lambil
  • Couleurs : Vittorio Leonardo
  • Éditeur : Dupuis « Tous publics »
  • Date de sortie : 30 septembre 2022
  • Pagination : 48 en couleurs
  • Format : 218 x 300

A lire aussi notre interview de Kris

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