Interview de Willy Lambil, le dessinateur des Tuniques bleues

De passage à Lausanne à l’occasion de BDFIL et de l’exposition consacrée aux Tuniques bleues dans le cadre des 100 ans de Dupuis, le mythique dessinateur Willy Lambil a accepté de nous recevoir et de répondre à nos et à vos questions.

Quitter de bon matin ses montagnes de l’arc jurassien, en Suisse pour se rendre dans la capitale Vaudoise est un périple d’une heure trente. C’est bien le temps nécessaire pour trouver un peu de sérénité et de quiétude avant de rencontrer un maître de la bande dessinée dans le bien-nommé Hôtel de la Paix.

En interview avec Willy Lambil ©Mathilde Rennes

Les amis de Spirou : Bonjour Willy Lambil, vous êtes à Lausanne à l’occasion de l’exposition sur les Tuniques bleues organisée dans le cadre des 100 ans de Dupuis. Avez-vous collaboré à sa réalisation ?

Willy Lambil : Non, c’est une exposition et des panneaux préparés ici en Suisse, le choix des visuels comme la rédaction des textes. Puis, ils ont été validés par mon éditrice Laurence Van Tricht, les éditions Dupuis et j’ai bien évidemment eu un aperçu de ce qui allait être exposé.

Les amis de Spirou : Que pensez-vous du résultat ?

Willy Lambil : Il doit être bon, mais je ne sais pas comment les visiteurs perçoivent ce genre de choses.

Les amis de Spirou : Blutch et Chesterfield sont deux héros ancrés dans l’histoire des éditions Dupuis. Qu’est-ce qu’on ressent lorsque ces personnages sont ainsi mis en évidence ?

Willy Lambil : Bien sûr, il y une émotion particulière. Ca m’est arrivé d’exposer également dans d’autres circonstances. Mais ici, en Suisse, je crois que c’est la seconde fois. Si je me souviens bien, la première exposition était en 2016. C’est donc assez rare pour le souligner.

Les amis de Spirou : Vous avez dessiné un premier album avec Kris au scénario, Irish Melody, comment s’est déroulée cette collaboration ? Comment l’avez-vous rencontré ?

Willy Lambil : À ce jour, nous ne nous sommes rencontrés qu’une seule fois dans une manifestation à Charleroi. Mais comme je l’avais déjà vu en photo, je l’avais reconnu. Mais la relation se déroule comme ça se déroulait avec Cauvin sauf que c’est évidemment un autre genre de scénario.

©Dupuis

Les amis de Spirou : En quoi la manière de fonctionner est différente ?

Willy Lambil : Il n’y a pas vraiment de différences. J’ai reçu un storyboard comme j’en recevais un avec Cauvin. C’est-à-dire des petits dessins avec des dialogues déjà bien en place. Je n’avais plus qu’à recopier tout ça, mais évidemment j’adapte ce que je reçois, c’est mon travail de dessinateur.

Les amis de Spirou : Est-ce qu’il y avait des instructions particulières sur les cadrages ou les plans ?

Willy Lambil : Non, de toute manière je ne respecte pas toujours les instructions que l’on me donne, je dessine par intuition. Je travaille mes plans et les attitudes de mes personnages selon l’inspiration du moment et le déroulement du scénario.

Les amis de Spirou : Comment s’effectuent les échanges pour montrer les planches ?

Willy Lambil : Cela s’organise par l’intermédiaire des éditions Dupuis. Ils transmettent des copies de mes planches par Internet. Alors moi, je ne m’occupe pas trop de cela. Je ne m’occupe pas d’informatique.

Les amis de Spirou : Avec des retours ou des commentaires ?

Willy Lambil : Il y en a eu, mais assez peu.

Les amis de Spirou : Quel est votre quotidien lorsque vous vous attaquez à un nouvel album ?

Willy Lambil : Cela n’a rien de sensationnel. Déjà, je me lève. La veille, j’ai déjà effectué le travail préparatoire avec les cases. Je respecte l’ordre et la taille des cases du scénariste. Il m’arrive parfois de changer un peu les choses. Je commence à crayonner, je place mes personnages, de manière assez vague et puis je me mets en route.

Les amis de Spirou : Est-ce que vous vous astreignez à un certain nombre d’heures de travail ?

Willy Lambil : J’ai fait ça jadis, mais plus maintenant. À mes débuts dans la BD, lorsque je travaillais sur Sandy, j’étais obligé de produire deux planches par semaine de manière à pouvoir en vivre. Avec les Tuniques bleues, j’ai pu souffler un peu. Mais en gros il me faut un an et demi pour réaliser un épisode. Toute dépend des difficultés que je vais rencontrer.

Les amis de Spirou : Est-ce qu’on rencontre encore des difficultés, après tant d’année ?

Willy Lambil : Eh, c’est seulement maintenant qu’on en rencontre. La nature par exemple, cela ne m’inquiète pas. C’est plus difficile de travailler le dessin des villes, des lignes droites et les perspectives. Il y a des pièges partout.

Les amis de Spirou : Malgré l’expérience ?

Willy Lambil : Oh l’expérience ne fait pas tout. Il ne faut surtout pas se fier à l’expérience. Il est important de remettre l’ouvrage sur le métier.

Représentation des Tuniques bleues, à la station Janson du métro léger de Charleroi (Belgique).

Les amis de Spirou : Et comment vous préparez-vous avant d’attaquer un album, quel est le déroulement de la phase de recherche ?

Willy Lambil : Je possède énormément de bouquins. Parfois, il m’est arrivé de manquer de documentation autour de thèmes spécifiques, mais je me débrouille. Pour Irish Melody, c’est une histoire qui ne se déroule pas en Irlande, je n’ai donc pas eu à me renseigner sur la forme des côtes irlandaises, même si j’aurais bien voulu en dessiner. A Cauvin, je lui avais demandé un scénario sur l’Irlande, mais il m’a fait plutôt un bâteau qui venait d’Irlande. J’ai effectué ce genre de recherches.

Les amis de Spirou : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Du feu sur la glace qui sort à la fin de l’année ?

Willy Lambil : Je ne peux pas en dire grand-chose car j’ai un peu oublié la trame. Mais, c’est vrai que j’ai du me battre sur chaque image. Quand on se trouve devant certaines séquences, certaines difficultés, il faut quand même repérer les planches suivantes pour ne pas perdre le fil. Par exemple, si un personnage a un révolver, il faut être attentif à ce que ce révolver soit toujours là quelques cases ou planches plus loin.

Les amis de Spirou : Vous vous êtes battus sur chaque case… Que cela signifie-t-il ?

Willy Lambil : Eh bien tout simplement parce qu’il faut la créer. Moi, je compare cela à du cinéma, il faut réfléchir sur chaque plan, réfléchir aux attitudes afin qu’elles correspondent aux textes. C’est ça la difficulté. Malgré mes 60 ans de métiers, il faut toujours se remettre en question. Ça fait partie de la profession, alors cette remise en question est vraiment une seconde nature. J’ai une page blanche : il faut la remplir.

Les amis de Spirou : De tous les albums que vous avez dessinés dans la série des Tuniques bleues, y en a-t-il un pour lequel vous avez une affection particulière ?

Willy Lambil : Oui, c’est Vertes années. Il retrace le destin de Blutch. On comprend mieux ses origines, on le voit enfant. C’est un album qui sort un peu des batailles. On en revient à dessiner des jeunes. J’ai bien aimé aussi l’album qui aborde le sujet de l’entrée de Blutch et Chesterfield dans l’armée. On les voit dans le civil. C’est Blue Retro.

©Dupuis

Les amis de Spirou : Entre Blutch et Chesterfield, avez-vous un favori ?

Willy Lambil : Non. Vous savez, c’est Cauvin qui a inventé ça. Moi je ne fais que les dessiner. Je n’ai pas tellement apporté de ma personnalité. Cauvin n’était pas le genre de personne à tolérer qu’on se mêle de son scénario. Mais bon, je ne respectais pas toujours ce qu’il me demandait à l’exception des textes. Pour certaines scènes, une bataille par exemple, il m’arrivait de changer des éléments.

Les amis de Spirou : Justement, est-ce compliqué de dessiner une scène de bataille ?

Willy Lambil : Ce n’est pas le plus difficile. Il faut simplement avoir la patience de les faire. Lorsque vous avez 50, 60 ou 100 personnes, il faut tous les dessiner avec des attitudes différentes…

Les amis de Spirou : Plus encore les animaux…

Willy Lambil : oh les animaux, c’est plutôt le côté récréatif (il rigole).

Les amis de Spirou : Lorsque vous rencontrez vos lecteurs en dédicace, que vous racontent-il ?

Willy Lambil : Pas grand-chose… Juste qu’ils lisaient ça quand ils étaient jeunes, ce qui veut dire que je suis vieux (il rigole encore). Mais, il faut dire que je viens rarement en dédicace.

Les amis de Spirou : Quand on a annoncé à notre communauté que nous allions vous rencontrer. On a demandé à nos lecteurs ce qu’ils aimeraient vous poser comme question…

Willy Lambil : Combien gagnez-vous, par exemple ? (il rigole toujours)

Les amis de Spirou : Ah ! Non personne n’a eu ce réflexe. Si, on m’a tout de même demandé de quand datait votre dernière augmentation. Autrement, Philippe Bousquet se demande si vous auriez plutôt aimé être un sudiste ou un nordiste durant la guerre de Sécession ?

Willy Lambil : Nordiste ! Car ce sont les bons et que les autres sont les mauvais. Mais, en réalité ce n’était pas si simple que ça, d’ailleurs. Dans toutes les guerres il y a des zones grises.

Les amis de Spirou : Est-ce que vous y pensez à ces zones grises lorsque vous dessinez ?

Willy Lambil : Non, je me contente de suivre le scénario. Je m’occupe plutôt de l’aspect “aventure”. La politique, je ne m’en mêle pas. Sur le plan historique, je prends aussi parfois quelques libertés. Parfois le scénariste aussi. Mais dans le fond, on part toujours d’un fait réel, d’un personnage qui a réellement existé.

Les amis de Spirou : Pour en revenir à nos lecteurs. Thierry Capezzone

Willy Lambil : Ah ! je le connais celui-là ! Je l’ai rencontré au Danemark.

Les amis de Spirou : Eh bien il demande, où est la planche que vous lui aviez promise ?

Willy Lambil : (il explose de rire). Je ne savais même pas que je lui avais promis une planche. Mais… vous savez Walthery m’en avait promis une aussi et il ne me l’a jamais donnée. Alors que moi, je lui en ai donné une…

Les amis de Spirou : Nous l’aurons bientôt en interview, alors on va lui rappeler !

Willy Lambil : Oui, oui, rappelez-le lui !

Willy Lambil ©Mathilde Rennes

Les amis de Spirou : Pascal Delsaute, lui, souhaite connaître votre réaction lorsque quelqu’un vous dit « Chargez ! ».

Willy Lambil : C’est tout de même assez rare des gens qui me disent ça… À part peut être un camionneur avec des colis ! (l’ambiance est à la bonne humeur).

Les amis de Spirou : Maintenant, j’ai un florilège de compliments vous concernant… Titi Batcat note de vous transmettre que vous êtes un type génial qui fait des dessins géniaux.

Willy Lambil : Ah ! Une fois, j’ai lu sur internet que j’étais le plus mauvais dessinateur.

Les amis de Spirou : Et pourtant, voici d’autres compliments venant d’internet : Eric Du-Rich écrit que Vous êtes Sacré ! ; Lavie Enretraite prend énormément de plaisir à vous lire. Et surtout, Marie Noelle souhaite connaître votre secret pour toujours avoir envie et la force de faire ce pour quoi vous êtes si doué ?

Willy Lambil : Pourquoi je suis doué ? Ca, c’est vous qui le dites. Je ne sais pas si je suis doué, mais je crois plutôt que je suis démodé. J’ai suivi les conseils des grands de la BD, ils m’ont inspiré. La nouvelle BD est certainement excellente, mais je ne la suis plus.

Les amis de Spirou : Vous n’êtes pas forcément démodé car vos lecteurs vous suivent toujours avec passion…

Willy Lambil : Oui.., mais j’ai remarqué hier qu’ils avaient un certain âge, maintenant.

Les amis de Spirou : On a grandi avec vous. Il y a beaucoup de nos lecteurs qui s’intéressent à votre santé. Notamment, Philippe Philou Hainaut qui écrit « Comment va la p’tite santé ? Une allusion au “Pôvre Lampil“, évidemment ! »

Willy Lambil : Ah ! je ne sais pas s’il faut encore en parler de ça. Ca c’est vraiment démodé.

©Dupuis – 1995

Les amis de Spirou : Ah mais non, on a beaucoup rigolé avec cette série dans le Journal de Spirou.

Willy Lambil : Bon, comme Dupuis nous disait à l’époque que ça ne se vendait pas. On a donc arrêté.

Les amis de Spirou : En tout cas, merci beaucoup pour cet agréable entretien. La suite du programme est chargée. Vous avez une autre interview à venir.

Willy Lambil : Oui. C’est l’erreur de venir avec son éditrice. Je ne peux pas partir me promener. J’ai connu des festivals en Corse, où les auteurs filaient vite dans la nature se cacher (il rigole).

Les amis de Spirou : Bonne prochaine interview alors !

Willy Lambil : Si dieu me prête vie, même si je ne suis pas croyant. Bon, elle est dans une demi-heure. J’espère que ça ira.

 

Propos recueillis par Bruce RENNES

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