Interview de Sylvain Savoia, dessinateur de Marzi et du Fil de l’histoire

Par la force des choses, l’auteur de “Marzi” et du “Fil de l’Histoire raconté par Ariane et Nino” s’est spécialisé dans la mise en image de faits historiques. À l’occasion de Delémont’BD, nous avons rencontré Sylvain Savoia qui nous parle de ses deux séries phares. Petit scoop : Marzi aura une suite !

Les Amis de Spirou : Quelle est la genèse du Fil de l’Histoire raconté par Ariane et Nino ?

Sylvain Savoia : Un jour, Frédéric Niffle, directeur de collection et ex-rédacteur en chef du journal de Spirou, est venu me trouver pour me proposer l’idée de créer une série pour les enfants, avec pour objectif de leur donner le goût de la lecture et de l’histoire. Après quelques essais infructueux, on s’est repenché sur ce projet, il y a 4 ans. Lewis Trondheim est venu nous donner un coup de main afin de nous aider à contextualiser le projet.

Les Amis de Spirou : Ensuite, vous avez été rejoint par Fabrice Erre ?

Sylvain Savoia : Le choix du scénariste s’est vite imposé. Avec ses multiples qualités, auteur de bande dessinée, professeur d’histoire-géo et docteur en histoire, Fabrice Erre était la personne idéale. C’est quelqu’un de sérieux et très compétent. On voulait s’adresser aux enfants de la manière la plus juste et la plus pédagogique possible. On voulait d’un outil qui les accompagne tout au long de leur parcours scolaire.

Page de Le fil de l'Histoire par Fabrice Erre et Sylvain Savoia
© Le fil de l’Histoire raconté par Ariane & Nino – Fabrice Erre et Sylvain Savoia – Dupuis

Les Amis de Spirou : Le rythme de publication de la série est plutôt soutenu, non ?

Sylvain Savoia : Oui, en 4 ans et demi, nous avons sorti 28 albums. Actuellement, je travaille sur le 29e, l’objectif est de publier un album par trimestre.

Les Amis de Spirou : Combien de temps vous faut-il pour dessiner un album ?

Sylvain Savoia : En général, j’essaie de le boucler en un mois, un mois et demi.  Je réalise une à deux pages par jour. Luc Perdriset, qui fait partie de l’Atelier 510 TTC à Reims – que j’ai fondé dans les années 90 – me donne un coup coup de main sur la préparation des couleurs.

Page de Le fil de l'Histoire par Fabrice Erre et Sylvain Savoia
© Le fil de l’Histoire raconté par Ariane & Nino – Fabrice Erre et Sylvain Savoia – Dupuis

Les Amis de Spirou : N’est-ce pas difficile de dessiner à ce rythme, n’y a-t-il pas une forme de lassitude ?

Sylvain Savoia : Je ne me lasse pas car tous les deux mois je change d’univers. Je prends du plaisir à mieux connaître les différentes périodes que nous traitons.

Les Amis de Spirou : Justement, qui décide des sujets qui seront traités ?

Sylvain Savoia : C’est une discussion entre nous quatre. Fabrice étudie et connaît le programme scolaire. Donc, on essaie de trouver une cohérence avec ce que les enfants apprennent à l’école. On prend également en compte les sujets que nous aimerions aborder. Ce n’est pas toujours très simple.

Couverture d'un album de Le fil de l'Histoire par Fabrice Erre et Sylvain Savoia
© Le fil de l’Histoire raconté par Ariane & Nino – Fabrice Erre et Sylvain Savoia – Dupuis

Les Amis de Spirou : Comment se déroule le travail entre l’écriture et le dessin ?

Sylvain Savoia : Mon travail débute lorsque le scénario est totalement écrit et validé. Je le découvre à ce moment-là. Les étapes préliminaires se déroulent entre Frédéric et Fabrice. L’avantage avec Fabrice, c’est qu’il est dessinateur. Il me livre le scénario sous forme de story-board et cherche déjà une grande partie de la documentation nécessaire.

Les Amis de Spirou : Il y a-t-il des sujets plus simples que d’autres à dessiner ?

Sylvain Savoia : Lorsqu’on raconte le premier pas sur la lune, c’est facile car la documentation est abondante. En revanche, lorsqu’on travaille sur les hommes préhistoriques, je dessine des personnages à partir d’un bout de phalange, c’est beaucoup plus abstrait. Là, je viens de dessiner une histoire consacrée à la révolution française. Il y a beaucoup de choses à raconter en 40 pages, beaucoup de costumes et de personnages différents. C’est exigeant.

Couverture d'un album de Le fil de l'Histoire par Fabrice Erre et Sylvain Savoia
© Le fil de l’Histoire raconté par Ariane & Nino – Fabrice Erre et Sylvain Savoia – Dupuis

Les Amis de Spirou : Comment sont validées vos planches ?

Sylvain Savoia : Tout au long du projet, je reste en contact avec Frédéric qui prend régulièrement de mes nouvelles. C’est agréable de le sentir derrière moi. Fabrice, quant à lui, découvre les planches lorsqu’elles sont terminées. Il les valide. Tout se déroule de manière très fluide entre nous.

Les Amis de Spirou : Avez-vous un retour des écoles ?

Sylvain Savoia : Oui de plus en plus. C’est vraiment bien car c’est notre objectif principal. Comme il est compliqué de communiquer avec les responsables de l’Education Nationale, on s’adresse à la base. Nous échangeons beaucoup avec les enfants et les enseignants. Nous réalisons des expositions ou des rencontres scolaires. Les enseignants qui découvrent la série sont ravis car c’est un outil supplémentaire pour accrocher les enfants à l’histoire, de manière ludique.

Les Amis de Spirou : Vous reste-il de la place pour d’autres projets ?

Sylvain Savoia : Par manque de temps, je n’accepte plus trop les projets ponctuels. Toutefois, je travaille actuellement sur un album au long court. Il s’agit d’une adaptation du roman Petit Pays de Gaël Faye. L’histoire raconte le génocide rwandais de 1994 – un événement extrêmement dur-  à travers les yeux d’enfants exilés au Burundi.

Couverture de Mazi par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis

Les Amis de Spirou : Vous êtes un auteur spécialisé de faits historiques, finalement… Cela rappelle Marzi.

Sylvain Savoia : Ça s’est imposé petit à petit. D’ailleurs, c’est Marzena Sowa qui se charge de l’adaptation de Petit Pays. Quand je l’ai rencontrée à l’époque Marzi, elle m’avait raconté son enfance polonaise. J’avais trouvé ça intéressant et profond de mettre en image cette histoire. Avec le temps, je me rends compte que j’aime travailler sur l’Histoire.

Les Amis de Spirou : En parlant de Marzi, était-ce compliqué de faire passer cette série dans Spirou ?

Sylvain Savoia : Non pas du tout. Avec Marzena, nous avions constitué un dossier. C’était la première BD pour enfant que je proposais. Ça m’intéressait de parler d’une autre enfance, dans un autre pays d’Europe. Le dossier a été envoyé à Dupuis. Puis, une semaine plus tard, nous avons reçu une réponse positive d’un éditeur.

Page de Mazi par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis

Les Amis de Spirou : Ce fut une surprise ?

Sylvain Savoia : Oui, surtout pour Marzena qui découvrait la BD en même temps qu’elle s’y consacrait. Être publiés dans Spirou, c’est génial. Ça nous permettait de faire entrer le quotidien de Marzi dans les familles. Tout le monde lit le journal, et c’est une série qu’on peut lire à tous les âges.

Les Amis de Spirou : C’est l’histoire de la Pologne ou d’une petite fille ?

Sylvain Savoia : Initialement, on ne voulait pas raconter l’histoire de la Pologne, mais plutôt l’histoire d’une petite fille qui se construit dans cet univers, sous ce régime politique et durant la phase de transition. Au fur et à mesure, nous nous sommes rendus compte que l’histoire de cette famille ouvrière du sud-est de la Pologne entrait complètement dans la grande Histoire.

Page de Mazi par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis

Les Amis de Spirou : Marzi a été publié en plusieurs langues dont le polonais. Quelle a été l’accueil par ce public ?

Sylvain Savoia : Effectivement, la première traduction a été en polonais. C’était une grosse angoisse pour Marzena car tout le monde pouvait lire son récit et éventuellement critiquer ce qui était raconté sur sa famille ou la Pologne. Finalement, les albums ont bien marché notamment parce qu’ils sortaient du cadre de la BD polonaise classique qui s’oriente plutôt sur le fantastique et les histoires de garçon. Beaucoup d’émissions télé ont parlé de Marzi. De nombreuses jeunes femmes se sont identifiées à ce personnage. C’est pour dire que le pays entier vivait de la manière manière, avec une mainmise de la politique sur la vie presque intime des gens.

Les Amis de Spirou : Mais on y retrouve de la solidarité…

Sylvain Savoia : Oui, quand les temps sont durs, il y a une vraie solidarité entre les humains, c’est très réconfortant.

Page de Mazi par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis

Les Amis de Spirou : Dans la série, Marzi a souvent des mots très durs envers sa mère… Les parents de Marzena ont-ils lu la BD ?

Sylvain Savoia : La papa de Marzena est décédé avant la publication des albums. Sa maman en revanche à lu les albums. On angoissait de sa réaction. Finalement, cela s’est bien passé car elle savait qu’elle avait ce type de rapport avec sa fille. Elle l’a lu, elle en était fière. Finalement, avec le temps, les relations entre la mère et la fille se sont apaisées.

Les Amis de Spirou : Avez-vous déjà dédicacé en Pologne ?

Sylvain Savoia : Oui plusieurs fois, à chaque sortie d’album. À Łódź, il y a un grand festival de bande dessinée. C’est très sympa, mais le plus compliqué pour moi lors des dédicaces est d’orthographier correctement le prénom des fans (rire), je ne parle pas polonais.

Page de Mazi par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis

Les Amis de Spirou : On a quitté Marzi à l’adolescence, avec un album différent au niveau du découpage… 

Sylvain Savoia : Le septième album a un côté plus actuel, Marzi est plus grande. Dans les six premiers volumes, c’est un personnage plutôt réservé, qui vit dans son univers intérieur. La narration et le découpage convenaient parfaitement à l’écriture de Marzena. On avait cette disposition en gaufrier comme une sorte d’instantané et la voix-off qui agissait comme un journal intime.

Pour le dernier album, on voulait que Marzi ait davantage d’interaction avec les autres personnages, qu’il y ait plus de dialogue. Cela passait donc par un découpage qui se rapproche des codes de la bande dessinée franco-belge classique.

Les Amis de Spirou : Dans ce dernier album, Marzi s’ouvre au monde et quitte son univers…

Sylvain Savoia : Effectivement, elle sort de son quartier ouvrier, s’éloigne de sa famille et émet ses premières envies de liberté et d’exil. Un univers que nous aborderons bientôt.

Couverture de Mazi par Sylvain Savoia et Marzena Sowa
© Marzi – Sylvain Savoia et Marzena Sowa – Dupuis

Les Amis de Spirou : Ah ? Une suite est-elle en préparation ?

Sylvain Savoia : Oui, il y aura une suite. D’ailleurs, c’est prévu depuis le départ. Au tout début, nous avions prévu trois albums : un sur la petite enfance, un autre sur l’adolescence et le dernier consacré à son arrivée en France à 21 ans, pour y finir ses études. Finalement, nous avons publié sept albums et nous sommes encore dans la jonction entre l’enfance et l’adolescence.

Les Amis de Spirou : Sachant que deux intégrales ont récemment été publiées, quelle forme prendra ce prochain album ?

Sylvain Savoia : Effectivement, nous avons publié deux intégrales dans la collection Air Libre dont nous sommes très contents. Alors, nous allons créer une histoire inédite qui prendra la forme des intégrales, ça sera un gros album. Il se consacrera à l’arrivée de Marzi en France, avec tout ce que l’on peut imaginer de surprises, de joies ou même de déconvenues lorsqu’on concrétise un rêve.

Propos recueillis par Bruce RENNES

A lire aussi notre chronique du tome de l’intégrale Marzi

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