Interview de Salva, scénariste des Chroniques d’Ona

Salva, le scénariste des Chroniques d’Ona, paru chez Dargaud, nous a gentiment accordé une interview dans laquelle nous parlons de son parcours d’auteur BD et son dernier album.

Photo de Salva
Photo de Salva © Rita Scaglia / Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Bonjour Salva ! Peux-tu, pour les lecteurs des Amis de la Bande Dessinée qui ne te connaîtraient pas, faire un résumé de ton parcours ?

Salva : Moi c’est Salva, alias Salvatore Di Bennardo. J’ai fait des études en information et communication à l’Université de Mons puis en écriture et analyse cinématographique à l’Université Libre de Bruxelles avec l’idée de faire du cinéma. Mais je me suis rendu compte que c’était trop lourd… Trop de personnes à mobiliser donc j’ai décidé de faire de la bande dessinée en me disant que ça prendrait moins de temps… Ce qui n’est absolument pas le cas !

J’ai appris la bande dessinée avec les cours de Philippe Wurm (Les Rochester) à l’académie d’Etterbeek. Carine de Brab (Sac à puces) enseignait aussi là-bas. Elle est devenue une amie proche et une de mes mentors en BD. J’ai embrayé en suivant des cours en graphisme et illustration à Saint-Luc en horaire décalé où j’ai rencontré Manuel Tenret qui a travaillé pour le studio Leonardo sur les albums de la série Rantanplan.

J’ai débuté la bande dessinée pour le fanzine Atelier 24, c’est là que j’ai créé Firmin Champion qui a été adapté en bande dessinée par la maison d’édition Monsieur Popcorn en 2015. Après cela, j’ai fait Smoking Out en 2018 et quelques publications dans Spirou et d’autres revues. Et aujourd’hui : les Chroniques d’Ona avec Yohan Sacré publié chez Dargaud. 

En plus de ça, je suis chroniqueur humoristique à la radio, chroniqueur culturel sur une télévision locale via mon travail au musée de la bande dessinée et je fais du stand-up musical. J’écris actuellement un nouveau spectacle.

Couverture de Smoking Out
© Salva

Les Amis de la Bande Dessinée : En 2015, parait ton premier album en tant que scénariste et dessinateur : les aventures de Firmin Champion, publié par Monsieur Popcorn.

Salva : Firmin Champion vient de l’Atelier 24. J’avais dessiné quelques strips sur ce personnage quelconque qui n’a aucune envie d’aventure mais à qui il arrive des trucs très cons. Je suis repéré par l’éditeur Monsieur Popcorn qui me propose de développer. 

C’était mon premier album et j’étais très stressé. Je me mettais la pression, je voulais que tout soit parfait… Je faisais les cases sur Photoshop parce que j’avais peur de mal les tracer. Ça en arrivait à un point où la couverture, je n’y arrivais pas. J’essayais mais l’éditeur n’était jamais satisfait. Jusqu’au moment où il m’a suggéré de reprendre le cercle des « Looney Tunes » et d’y mettre la tête de Firmin Champion.

Quand je relis l’album aujourd’hui, je n’en suis pas spécialement fier mais il y a des fulgurances que j’aime bien.

Couverture de Firmin Champion
© Salva

Les Amis de la Bande Dessinée : En 2018, toujours chez Monsieur Popcorn, tu publies Smoking out. Un adolescent avoue à ses parents qu’il fume de la marijuana de temps en temps. C’est autobiographique ?

Salva : Complètement. Ce sont des choses que j’ai vécues. C’était à l’époque où j’étais à l’Université de Mons. C’est grâce à Smoking out que je me suis un peu plus lâché. J’étais moins crispé. J’ai pu utiliser la couleur comme je le voulais (le gris et le vert qui rappellent la marijuana et les cendres), la division en chapitre ce qui me permettait de passer d’une histoire à l’autre et parfois de faire des ellipses.

J’ai beaucoup aimé faire cet album même si avec le recul il y a des choses qui ne vont pas mais globalement, pour moi, c’est un tournant. C’est le moment où je suis moins humoristique, je ne fais pas que des blagues, il y a un ton plus sincère qui commence à poindre.  

Couverture du tome 1 des Chroniques d'Ona
© Les Chroniques d’Ona – Salva – Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Entre 2018, la publication de Smoking out et 2024, publication des Chroniques d’Ona, il n’y a plus d’album paru. Qu’as-tu fait pendant ce temps ?

Salva : J’avais un projet d’album : Pigeon mort. Je me suis beaucoup investi dedans, je voulais faire évoluer mes cadrages, mon trait, etc… J’étais assez content de mes planches mais je n’ai pas trouvé d’éditeur. Ça m’a dégoûté de la BD. Je ne sais si j’ai fait une dépression mais je n’ai pas été bien pendant un moment.

À part ça, j’ai fait beaucoup de radio, un duo musical qui s’appelait « Hich et Salva » et publié des histoires dans des revues, notamment avec Carine de Brab.

Ce dont je suis le plus fier, outre la parution dans Spirou, c’est ma participation au fanzine « Rasoir ». C’était un fanzine sur le malaise adolescent qui a été créé par une amie : Camille Van Hoof. J’ai réalisé un numéro de 5-6 pages avec un poster dépliable au milieu.    

Planche 1 du tome 1 des Chroniques d'Ona par Sacré et Salva
© Les Chroniques d’Ona – Salva – Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Donc, on y arrive, en 2024, le premier livre des Chroniques d’Ona est publié par Dargaud. Comment est né ce projet ?

Salva : Je suis modérateur de rencontre à la foire du livre à Bruxelles. Pendant l’une d’elle, j’ai eu l’occasion de rencontrer Yohan Sacré. On a sympathisé assez vite. À ce moment-là, j’étais dans une phase : « écrire des histoires courtes pour le Journal de Spirou ». J’en ai proposé une à Yohan qui l’a refusée parce qu’il est très exigeant. Je lui en ai proposé une deuxième, il l’a refusée. Je lui en ai proposé une troisième et là il m’a dit « peut-être ». Je l’ai retravaillée, j’ai envoyé le découpage et c’est devenu la première version d’Ona.

On l’a proposée  à Spirou et elle avait été acceptée… Sauf que le COVID est passé par là et donc notre histoire courte d’Ona a été mise au frigo pendant un long moment. À la fin du COVID, elle est parue. On s’est alors dit qu’on allait proposer d’autres histoires courtes dans lesquelles Ona arriverait dans un endroit, elle réglerait un problème et repartirait. Un peu comme « Samouraï Jack » ou le « Mandalorian ». Mais, Spirou n’en a pas voulu donc nous sommes allés voir ailleurs. Yohan étant assez courtisé, on a choisi l’éditeur qui nous plaisait le plus et ce fut Dargaud.

Planche 2 du tome 1 des Chroniques d'Ona par Sacré et Salva
© Les Chroniques d’Ona – Salva – Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Tu n’es que scénariste sur ce projet, pourquoi ne pas avoir réalisé les dessins ?

Salva : Je connais les faiblesses de mes dessins. Mon trait peut rebuter parce qu’il n’est pas « mainstream ». Je savais qu’avec mon type de dessin, je n’aurais pas pu proposer une histoire aussi épique que Yohan. Ça aurait été très différent et je ne suis pas sûr que cela aurait intéressé un éditeur.

Et puis, il faut savoir que du dessin j’en ai fait beaucoup pendant des années et que j’aime dessiner mais par moment, ça a été douloureux pour moi. Surtout au début parce que je me comparais beaucoup aux autres. Et contrairement à certains dessinateurs ou dessinatrices, je n’ai pas tout le temps un carnet de croquis avec moi. Ça n’a jamais été organique ou serein pour moi de faire du dessin. En fait, dès que j’imagine quelque chose d’un peu ambitieux, j’aime voir quelqu’un le mettre en image pour moi… Maintenant, peut-être qu’un jour je m’y remettrais.   

Planche 3 du tome 1 des Chroniques d'Ona par Sacré et Salva
© Les Chroniques d’Ona – Salva – Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Comment s’est passée la collaboration avec Yohan Sacré ?

Salva : Comme je le disais, Yohan est quelqu’un d’exigeant. Dès que j’écrivais quelque chose, il avait besoin que tout soit cohérent, que tout tienne la route et donc il me demandait : « mais pourquoi il se passe ça, à ce moment ? » Par exemple : dans une histoire, Ona perdait son bâton. Mais elle l’avait de nouveau dans la suivante. Yohan me demandait comment ça se faisait et donc j’ai écrit une histoire dans laquelle Ona fabrique un nouveau bâton. Le scénario a pris forme ainsi grâce à notre jeux de « ping pong ». C’était passionnant parce qu’ainsi tout devenait cohérent, tout était recentré.

Planche 4 du tome 1 des Chroniques d'Ona par Sacré et Salva
© Les Chroniques d’Ona – Salva – Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Dargaud a fait des remarques sur l’album ? Il a demandé des changements ?

Salva : Dargaud nous a laissé une grande liberté, ils nous ont vraiment fait confiance. Mais pour autant, on ne se sentait pas laissés-pour-compte. Lorsqu’il y avait quelque chose qui ne leur semblait pas très clair, ils nous posaient la question, ils voulaient s’assurer que le projet suivait le bon chemin. Et comme nous avions toutes les réponses aux questions, ils étaient rassurés et nous ont laissé travailler. Même sur des détails comme la couverture ou la pagination. Ça a été une agréable collaboration.

Planche 5 du tome 1 des Chroniques d'Ona
© Les Chroniques d’Ona – Salva – Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Tes albums précédents étaient plutôt humoristiques. C’est moins le cas dans les Chroniques d’Ona.

Salva : Il y a des petites touches d’humour mais ce que je voulais développer c’était le côté « high fantasy », c’étaient des trucs fantastiques, rendre hommage à Jim Henson (NDLR : le créateur du « Muppets Show »), au « Labyrinthe » (film de 1986 avec David Bowie), « Dark Crystal » (film de 1982 réalisé par Jim Henson), l’ « Histoire sans fin », tout ces trucs qui m’ont marqué.

Il y a beaucoup de films ou de BD humoristiques qui m’ont marqués aussi mais toute personne est complexe, multiple avec des influences qui viennent de partout. J’aime beaucoup l’humour et j’aime bien en faire mais sur ce projet j’avais envie d’autre chose.

Si tu regardes bien, il y a peu d’auteurs ou d’autrices qui se limitent à un seul genre ou style. Par exemple : Manu Larcenet. Il joue avec l’humour et le dramatique. Fabien Vehlmann, qui fait partie de mes grosses références, il fait des trucs plus drôles ou plus sombres.   

Les Amis de la Bande Dessinée : Il y a une expression qui revient sans cesse dans l’album : « Quand, plus rien ne vit… Quand plus rien ne pousse… Ne t’inquiète surtout pas… Garde toujours espoir ». C’est la morale du conte ?

Salva : Oui, complètement. Le Sombre pourrait rappeler la pollution mais ça pourrait aussi être vu, c’est Yohan qui me l’a fait remarquer, comme une métaphore de la dépression. Même lorsqu’on a l’impression de toucher le fond, il faut garder espoir. D’une certaine façon, c’est une histoire de résilience.

On avait envie de créer une mythologie autours des Lueurs. On ne voulait pas les appeler « sorcières »  ou « magiciennes » parce que ce sont des termes très connotés de nos jours. Il faut savoir qu’au début cette phrase était introduite par une voix off. Yohan trouvait que ça faisait cliché et donc on a cherché à l’intégrer dans l’histoire. On a imaginé qu’Ona pouvait dire cette phrase parce que sa mère la disait toujours et Ona la prononce parce qu’elle se parle à elle-même. Cela créait un « lore » qu’on a rattaché aux Lueurs, un peu comme les Jedis qui sont vus comme étant sages et nobles.

Photo de Salva
Photo de Salva © Rita Scaglia / Dargaud

Les Amis de la Bande Dessinée : Vu la fin de l’album, on suppose qu’il y aura une suite.

Salva : On l’espère. Ça va dépendre de comment l’album est perçu. Si on fait une suite, elle sera probablement centrée sur un personnage secondaire du premier volume. Ona sera toujours présente mais on a envie de piocher dans ce vaste univers pour varier les points de vue.

Propos recueillis par Frédéric P.

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