Intégrales 1 et 2 des Centaures (Aurore & Ulysse)

Alors que son magnum opus, les Petits Hommes, régulièrement sélectionnée par les lecteurs comme leur série préférée, a fait les belles heures du beau journal de Spirou, Pierre Seron est aussi à l’origine d’autres séries qui ont, à tort, sombré dans un oubli relatif. C’est le cas des Petites Femmes, spin off érotico-insolite de la « Bande à Renaud », de la famille Fohal (dans Pif) ou de Aurore & Ulysse, alias Les Centaures, aventures équestres dont les jeunes éditions Mandibulles ont eu la bonne idée de publier une intégrale.

Couverture du premier tome de l'intégrale des Centaures (Aurore & Ulysse)
Couverture du premier tome de l’intégrale des Centaures (Aurore & Ulysse) © Les Centaures – Pierre Seron – Mandibulles

En 1977, Seron est une star chez Dupuis et le journal de Spirou considère les Petits Hommes comme une de leurs valeurs sûres. Les aventures de cette petite société utopique vivant dans une grotte suite à la réduction de sa population à l’échelle 1/10 par une météorite, sont en effet régulièrement élues série préférée des lecteurs lors du sondage annuel. Seron est donc en position de force pour proposer un concept auquel il est très attaché et auquel il croit dur comme fer : inspirées de la mythologie grecque, les aventures d’Aurore et Ulysse, deux jeunes centaures condamnés à errer dans le monde des mortels, sont prêtes à décoller.

Couverture du deuxième tome de l'intégrale des Centaures (Aurore & Ulysse)
Couverture du deuxième tome de l’intégrale des Centaures (Aurore & Ulysse) © Les Centaures – Pierre Seron – Mandibulles

L’œuvre a un potentiel énorme : les héros sont deux adolescents tout mignons, Aurore et Ulysse, deux jeunes centaures aux crinières abondantes et aux visages poupons adorables. On apprend assez vite qu’ils ont été punis par Zeus pour désobéissance, et qu’à ce titre ils ont été forcés de franchir une porte vers notre bas monde. Des portes comme celle-là, il en existe des tas, mais une seule les ramènera au bercail olympique. Les autres les transporteront dans un autre lieu et un autre temps terrestres. Reste à tomber sur la bonne porte.

Planche des Centaures (Aurore & Ulysse)
© Les Centaures – Pierre Seron – Mandibulles

On perçoit donc immédiatement les possibilités infinies offertes par la mise en scène de demi-dieux dans des endroits et des périodes historiques « à la carte ». Aussi Aurore et Ulysse se retrouvent-ils dans l’époque moderne tout comme dans des histoires de cape et d’épée, d’Égypte antique, de seigneurs médiévaux, d’épopées homériques ou de guerre civile américaine. L’ensemble, composé d’histoires courtes comme de feuilletons en 48 planches de qualité – il faut le dire – inégale, tient malheureusement dans deux intégrales, ce qui laisse penser que le filon n’a pas pu être pleinement exploité, moins en tout cas que les Petits Hommes qui ont atteint largement la quarantaine d’albums. Les avatars éditoriaux de cette série sont relatés dans les rédactionnels très réussis de David Steenhuyse : de la création en solo à la succession de scénaristes (Mitteï, Stephen Desberg), de Dupuis à Mourad Boudjellal, du crossover avec les Petits Hommes à l’incursion dans l’univers du Scrameustache… S’ajoute à la dimension professionnelle un volet plus privé très révélateur qui dévoile, de façon pudique, comment les obstacles de la vie alimentent la création artistique.

Planche des Centaures (Aurore & Ulysse)
© Les Centaures – Pierre Seron – Mandibulles

Pourquoi Aurore et Ulysse ont ils été bannis de l’Olympe ? La questions restera largement sujette à interprétation, d’une part parce que Seron n’a pas cru nécessaire de produire un « épisode pilote », d’autre part parce que les nombreuses allusions à l’incident au fil des dialogues nous donne assez peu d’éléments. On comprend, tant bien que mal, que Zeus les a punis pour désobéissance car ils ont pénétré le monde des mortels sans autorisation et qu’en punition, ils sont condamnés à y rester… Mais tout ceci reste assez brumeux, tout comme les débuts d’Eslapion, du reste, qui nous sont relatés assez maladroitement dans un album Okay réédité dans le tome 19 de la série régulière, qui y figure plus comme un pêché de jeunesse mal fagoté qu’une véritable révélation sur les origines du mythe. ’Faut croire que Seron n’avait pas les scènes d’exposition franchement à cœur…

Planche des Centaures (Aurore & Ulysse)
© Les Centaures – Pierre Seron – Mandibulles

En tant qu’objets, ces intégrales sont plutôt haut-de-gamme. La qualité d’impression est au rendez-vous (malgré, selon l’avertissement en début de volume, la nécessité de scanner des pages de Spirou pour combler l’absence de certaines planches originales) sur du beau papier mat à la texture très agréable, le tout sous une reliure dans la droite lignée des belles intégrales Dupuis. Le contenu documentaire est impressionnant : des couvertures originales à la moindre carte de vœux ou dédicace de Seron, l’amateur est comblé par l’avalanche de raretés très fidèlement reproduites. En plus des articles historiques, les volumes incluent chacun un petit documentaire mythologique fort appréciable signé Joris de Smet, qui remet en contexte les centaures, Chiron, Ulysse, les amazones etc.

Planche des Centaures (Aurore & Ulysse)
© Les Centaures – Pierre Seron – Mandibulles

De manière assez inattendue, le fan de Seron sera agréablement surpris de la présence dans le tome 2 d’une page entière dédiée à la controverse, la pomme de discorde : la prétendue propension de Seron au plagiat. De fait, Seron était intégralement immergé dans l’Ecole de Marcinelle, celle initiée et sublimée par André Franquin, au point que la filiation avec le maître, dont Seron était un des plus grands admirateurs, est évidente. Cet article sur deux colonnes a le mérite de donner quelques arguments en réponse à ce que Franquin a pu dire de façon plus ou moins ironique à Numa Sadoul dans leurs entretiens pour Et Franquin créa la gaffe, ou aux propos de sa fille Isabelle dans le hors-série spécial « Idées Noires » de Fluide Glacial, entre autres.

« Et dans Spirou il y avait Les Petits Hommes de Seron qui ressemblait à mon père comme une pénible réplique de ses propres dessins, tel un miroir déformant. » Entretien avec Gérard Viry-Babel, Fluide Glacial série or : « Il était une fois Idées Noires »

Mandibulles, filiale BD du Chat qui Fume (maison d’édition patrimoniale de cinéma), entame son catalogue avec la réédition d’albums dont les éditions originales se font assez rares, sous la forme d’intégrales en tout point réussies et très complètes.

Planche des Centaures (Aurore & Ulysse)
© Les Centaures – Pierre Seron – Mandibulles

Chronique écrite par Philippe BARRE

Informations sur l’album

  • Scénario : Pierre Seron
  • Dessin : Pierre Seron
  • Couleurs : Vittorio Leonardo
  • Éditeur : Mandibulles
  • Date de sortie : 2 décembre 2022
  • Pagination : 192 en couleurs (tome 1) et 131 en couleurs (tome 2)

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