L’Inspiration – T2 des Cœurs de Ferraille
« Un livre qui n’est pas publié ne peut pas être lu. Et un livre qui n’est pas lu est un livre qui n’existe pas. »
Eva est une vagabonde. Témoin toute jeune de l’assassinat sauvage de ses parents par des robots limiers, elle vit de rapines et menus larcins, accompagnée de son chien Jesper.
À l’occasion d’une “visite de courtoisie” dans une des riches demeures du Sud des États-Unis, elle tombe sur un livre dont la lecture va la maintenir éveillée une bonne partie de la nuit. Ce livre devient même le héros principal de l’histoire, pour la simple raison que c’est le dernier exemplaire en circulation, tous les autres ayant subi un autodafé méthodique. Ce livre est tout simplement inacceptable, impensable, sacrilège, et va mettre en danger quiconque se retrouve en sa possession : il a été écrit par un robot.
Ce tome 2 n’est pas la suite du tome 1 : les BeKa nous proposent, plutôt qu’un feuilleton, une anthologie d’histoires indépendantes dans un même monde fictif déjà exploré dans le tome 1 (voir notre chronique), où les états sudistes dans l’Amérique du 19ème siècle emploient des robots doués de conscience et de sensibilité, plutôt que des esclaves noirs. Ce coup de génie des scénaristes permet de mélanger les époques afin que le lecteur prenne le recul nécessaire sur des questions extrêmement contemporaines : jusqu’où doit aller l’humain dans la course à la technologie, l’hyperconnexion et l’intelligence artificielle ? Ces mêmes humains ont-ils raison de craindre pour leur survie à l’heure où les pires scénarios dystopiques de la littérature et du cinéma ressemblent de moins en moins à de la science-fiction ?
La question de la liberté d’expression et la réduction au silence d’une partie ségréguée de la population par une caste supérieure désireuse de conserver ses intérêts fait évidemment vibrer la corde humaniste du lecteur, gardant à l’esprit l’histoire pas si ancienne de l’Amérique. Cependant, et c’est là que les BeKa réalisent un tour de force, comment transposer ces principes à des robots, à l’heure où le monde moderne est transfiguré par l’avènement de ChatGPT ? Le lecteur est donc gêné aux entournures, et pas qu’un peu, de voir ses valeurs légèrement bousculées par une astuce de scénario pas du tout innocente.
Munuera au dessin fait également des prouesses : son dessin dynamique, ses bouilles expressives et son trait classieux reconnaissable entre mille font merveille pour créer cet univers uchronique qui brouille les pistes de l’Histoire. Les couleurs, magnifiques, sont savamment étudiées, empreintes de modernité tout en donnant l’impression d’ouvrir un vieux magazine illustré jauni par le temps, rehaussé des trames caractéristiques des publications vintage.
Coeurs de Ferraille est largement une des séries les plus inventives et intelligentes du journal de Spirou actuellement, œuvre de véritables artistes dont le talent transpire à chaque page.
Chronique écrite par Philippe BARRE
Informations sur l’album
- Scénario : BeKa et José Luis Munuera
- Dessin : José Luis Munuera
- Couleurs : Sedyas
- Éditeur : Dupuis « Tous publics »
- Date de sortie : 2 juin 2023
- Pagination : 72 en couleurs
