Don Bosco, ami des jeunes
A la fin des albums Dupuis publiés jusqu’au milieu des années 80 figurait encore la liste des titres du catalogue de l’éditeur. Dans celle-ci, entre Buck Danny et Benoit Brisefer, on pouvait trouver « Don Bosco ». Un peu énigmatique, la BD qui avait depuis longtemps déserté les bacs des libraires était annoncée par un beau dessin en noir et blanc. Ce dessin, si mystérieux qu’on ne pouvait deviner le type d’histoire qu’il illustrait, était signé de Jijé, un nom magique mais un peu oublié aussi à cette époque. Le jeune lecteur ne pouvait deviner que près d’un demi-siècle plus tôt, ce « Don Bosco » était un immense succès de librairie, le premier de Dupuis, et que son auteur était une légende de la bande dessinée et un des pères fondateurs de la firme de Marcinelle. A l’occasion de leur 100ème anniversaire, les éditions Dupuis ont la riche idée de rééditer cet album dans une version fac-similé de luxe.
L’histoire de Jean Bosco – sujet de l’ouvrage – a fortement inspiré le grand Jijé puisqu’après l’avoir adapté une première fois en 1941, version publiée aujourd’hui, il décide d’en faire lui-même un remake en 1949. Il faut dire que celui qu’on surnomma « L’ami des jeunes » a eu une vie tellement riche, remplie et extraordinaire à plus d’un titre qu’on peut largement comprendre une telle attention et une double biographie.
De sa naissance dans le Piémont au début du 19ème siècle à sa mort 72 ans plus tard, Bosco, enfant puis adulte doté d’un caractère agréable, ouvert, intelligent et affable a su utiliser son instinct, sa bonne humeur, son optimisme et sa capacité de persuasion pour faire le bien autour de lui malgré les embuches ou le scepticisme ambiant. Croyant à la bonté de tous et lui-même issu d’une famille pauvre, il a œuvré toute sa vie à l’éducation des jeunes des milieux défavorisés et des primo-délinquants.
Le destin étonnant de l’homme d’église qui donne son nom à la BD est restitué par Jijé de façon linéaire, sans fioriture superflue, tout en distillant ça et là ses points d’éclat amenés d’une façon si simple et fluide qu’ils nous semblent presque logiques. Ainsi, sous le trait gaillard et pittoresque du dessinateur qui nous invite dans l’histoire, on est presque témoin des miracles d’un Don Bosco multipliant les pains, guérissant les malades ou trouvant toujours une parade pour payer ses dettes. Le noir et blanc de l’auteur, dans un style certes daté mais tellement vivant, prend parfois des aspects cinématographiques lorsqu’il représente la rudesse de l’hiver, l’austérité d’une chambre, le bonheur d’un été, ou l’apparition prodigieuse d’un mystérieux chien protecteur dans une rue mal famée.
Avec Jijé comme guide bienveillant, on accompagne pendant une centaine de pages l’épopée d’un homme dont le nom a un peu quitté les esprits aujourd’hui, au gré de ses combats quotidiens ou de ses rencontres illustres comme celle, superbement amenée et mise en scène, avec Victor Hugo. Ce voyage littéraire est fait avec le bonheur de l’évasion, celle d’un lecteur qui mesure sa chance de parcourir l’un des ouvrages les plus importants de l’histoire de la bande dessinée.
Ce beau fac-similé est accompagné d’un dossier riche, documenté et complémentaire à la lecture de la BD. Jérôme Dupuis y restitue d’une façon agréable et passionnante les enjeux, façons de travailler et difficultés de l’époque sans cacher l’aspect un peu dépassé de « Don Bosco » pour l’œil d’aujourd’hui. En dépeignant le climat rude, amateur, et harassant de ce temps-là le dossier souligne le courage et la passion de Jijé, enthousiaste, optimiste malgré les soucis, ayant porté quasiment à lui seul la production du « Journal de Spirou » durant l’occupation. L’auteur entrainant dans sa fougue et son amour du travail une jeune génération, et posait avec eux, sur la voie de « Don Bosco » les bases de ce qu’on appelle « l’âge d’or de la bande dessinée ».
Bien entendu, et c’est normal, Dupuis comme toutes les maisons d’éditions, se doit de renouveler son catalogue et de promouvoir les jeunes auteurs et les nouvelles séries et chaque amateur de BD ne pourra qu’encourager cela. Cela n’empêche en rien de regarder, sans mauvaise nostalgie, un passé brillant et réconfortant en s’arrêtant sur les joyaux anciens qui brillent encore aujourd’hui, pour les faire (re)découvrir au public et montrer que les bonnes lectures restent insubmersibles aux ravages du temps.
Chronique écrite par Mathieu DEPIT
Informations sur l’album
- Scénario : Jijé
- Dessin : Jijé
- Couleurs : Noir et blanc
- Éditeur : Dupuis « Patrimoine »
- Date de sortie : 11 février 2022
- Pagination : 120 en noir et blanc
- Format : 268 x 238