En direct des histoires d’hier – 10e épisode – T1 de Docteur Gladstone
« Docteur Gladstone » est une histoire courte publiée dans Spirou entre juillet et septembre 1964, relatant les premières tribulations de Robert Gladstone, aventurier vivant avec son équipe de pisteurs dans une Afrique sauvage, propice à toutes sortes de péripéties dangereuses. Ce mini-récit est issu de l’imagination de Charles Jadoul, scénariste et secrétaire de rédaction de Spirou de l’époque ; le dessin étant assuré par un binôme composé de Herbert, spécialiste de l’Afrique, et du grand Jijé, pilier du 9ème art.
La trame de ce court épisode de 14 planches est ultra simple : Gladstone part à la recherche d’un des membres de son équipe venu en aide à deux occidentaux ayant été victimes d’un accident de Jeep dans une brousse africaine piégeuse. Las ! Ces deux occidentaux s’avèrent être des bandits venant de braquer la camionnette postale du coin. Dans son périple pour aller libérer son collègue et faire échouer la fuite des brigands, le docteur Gladstone devra se confronter aux 1001 dangers d’une faune et d’une flore qui ne pardonnent rien et dont seuls les aventuriers les plus valeureux casse-cou peuvent se sortir… Evidemment, Robert Gladstone est de ceux-là et, comme tout bon héros musculeux qui se respecte, pourra, après bien des embûches faites d’attaques de buffles, de crocodiles et de rivières pleines de rapides, provoquer une conclusion heureuse.
Cependant, si le personnage se présente comme étant un énième trompe-la-mort aux gros bras et au grand cœur, il débute ses aventures par une phrase bien malheureuse qui, si elle pouvait passer inaperçue en 1964, lui interdirait sans doute le statut de héros de BD au 21ème siècle. En effet, on découvre Gladstone dès la première planche de l’histoire, en train de chasser un lion blessé. Après avoir définitivement mis hors d’état de nuire le fauve, au prix d’une acrobatie dont les « héros façon boy-scout » ont le secret, il emploie négligemment le terme « descente de lit », pour parler de sa victime. Aïe, aïe, aïe, docteur Gladstone ! De l’eau a coulé depuis la sortie de cette BD ! En effet, 14 ans après sa publication dans Spirou, le 15 octobre 1978, a été proclamée solennellement à l’UNESCO, à Paris, la première « Déclaration universelle des droits de l’animal ». Celle-ci stipule notamment que « toute vie animale a droit au respect », que « l’animal sauvage a le droit de vivre libre dans son milieu naturel » et que « l’animal mort doit être traité avec décence » (et donc, pas comme une descente de lit !). Même si cette Déclaration n’a aucune portée juridique, elle est suivie par d’autres dispositions dans le cadre légal, comme par exemple le changement du statut de l’animal dans le Code Civil français en 2015, ou la création, toujours en France, du « Code Juridique de l’Animal » en 2018, montrant bien le changement de mentalité vis-à-vis des animaux, domestiques ou sauvages.
Voilà de quoi refroidir un peu les élans du docteur Gladstone, personnage n’ayant pourtant pas de mauvaises intentions, mais qui, dans l’euphorie du moment et le soulagement d’avoir survécu à un épisode dangereux, a dit la « phrase de trop » ! Cependant, même sans cette maladresse de langage, Gladstone n’était pas amené à vivre de longues aventures. En effet, la collaboration entre les deux dessinateurs n’a jamais été bonne et aucun d’eux n’a vraiment pris de plaisir à travailler sur ce projet. Jijé, bon vivant, affable et véritable artiste, ne s’est en effet jamais entendu avec Herbert, ancien officier colonial assez rigide, ne possédant pas sa fantaisie. L’auteur de Jerry Spring et Valhardi, qui assurait le dessin des personnages occidentaux et de certains décors, quittera l’aventure après un 2ème épisode, laissant Herbert seul aux pinceaux pour 4 autres histoires. La série s’arrête définitivement en 1971.
Le Docteur Gladstone n’a donc jamais passionné les foules, de 1964 à 1971. Sujet d’aventures assez convenues dans un climat bédéphile de plus en plus concurrentiel, la collection ne développait aucune originalité lui permettant de se démarquer à une époque de grand changement pour le 9ème art. Si les histoires de Robert Gladstone semblent très datées aujourd’hui, elles permettent, du moins pour les premières, de s’enthousiasmer encore et toujours pour le talent du grand Jijé qui, décidément, était un sacré « touche à tout » de génie !
Article écrit par Mathieu DEPIT
Vous pouvez discuter de Docteur Gladstone sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.