Baby Blue

Ces dernières années en Suède, une nouvelle génération d’auteurs-dessinateurs suédois, au style graphique et minimaliste, s’attaque à la société scandinave à laquelle on peut parfois reprocher sa froideur et son individualisme. Bim Eriksson, née en 1991, fait partie de cette mouvance.

Baby Blue Cambourakis couverture — © Cambourakis – *Baby* *Blue*, Bim Eriksson

L’autrice suédoise, aussi illustratrice et artiste, a fait ses débuts avec un roman graphique au titre percutant en 2016 : Det kändes lugnt när mina känslor dog (que l’on peut traduire par Je me suis sentie paisible quand mes émotions se sont éteintes). Cependant, c’est son deuxième roman graphique, Baby Blue, qui la fit connaître internationalement, l’ouvrage ayant été traduit dans 8 langues. Les éditions Cambourakis nous offrent la version française sortie en octobre 2022, un an seulement après la sortie du livre dans sa langue originale.

Baby Blue Cambourakis planche — © Cambourakis – *Baby* *Blue*, Bim Eriksson

Baby Blue, plongée en dystopie

Roman graphique dystopique, Baby Blue plonge le lecteur dans une société individualiste et totalitaire où la tristesse, l’échec, les bizarreries et les troubles mentaux sont interdits. Une police de la bienséance et de la bien-pensance veille méticuleusement à ce que chaque citoyen se comporte idéalement, contribuant à la société comme il se le doit, sans dérapage. L’histoire explore un monde où le bonheur est imposé de manière autoritaire, et où les individus doivent se conformer à des normes strictes de positivité et effacer leurs propres aspérités. L’atmosphère est oppressante, contrôlée et les relations humaines sonnent faux et semblent calculées.

Baby Blue Cambourakis planches 110 et 111 — © Cambourakis – *Baby* *Blue*, Bim Eriksson

Une anti-héroïne ?

Le récit suit une protagoniste, Betty, qui lutte contre les attentes de cette société, se débattant avec ses propres émotions et sa santé mentale dans un environnement où toute forme de vulnérabilité est réprimée. Ressentant un mal-être qu’elle ne peut exprimer à personne d’autre, ses divagations et recherches sur internet mènent la police bien-pensante droit à elle.

La possibilité d’une résistance

À travers des métaphores visuelles et une narration poignante, Baby Blue critique les pressions sociales modernes, le culte de la positivité et les stigmates entourant les problèmes de santé mentale. Le livre est une réflexion sur les dangers d’une société qui refuse de reconnaître la complexité des émotions humaines et qui pousse les individus à nier leurs propres souffrances.

Baby Blue Cambourakis planches 192 et 193 — © Cambourakis – *Baby* *Blue*, Bim Eriksson

L’ère d’un nouveau style graphique ?

Si l’art de Bim Eriksson suit les codes de la bande dessinée classique, avec des lignes claires et une composition souvent simple, ses dessins ont une ambiance sombre et légèrement grotesque, qu’elle associe souvent à la représentation d’une société dystopique. Ses personnages, bien qu’expressifs, sont souvent représentés avec des corps ou des visages exagérés ou déformés, ce qui renforce l’effet de malaise et d’aliénation transmit par le scénario.

D’autres jeunes dessinatrices suédoises comme Iris Hautaniemi et Moa Romanova construisent leurs œuvres avec des éléments similaires : lignes claires, composition simple, styles très graphiques, personnes aux parties corporelles déformées/exagérées et portant parfois des masques. C’est une véritable tendance que l’on observe dans la bande dessinée suédoise, en résulte un grand confort visuel, des personnages minimalistes mais très expressifs.

Pour les amateurs d’Orwell

Ce roman graphique captivant mélange habilement critique sociale et esthétique surréaliste. À travers des illustrations audacieuses et des personnages de fort caractère, elle explore des thèmes contemporains comme l’anxiété, la pression sociétale et l’isolement, tout en offrant une réflexion profonde sur le mal-être de la jeunesse actuelle. Sa narration visuelle unique, à la fois percutante et émotive, rend ce roman graphique aussi puissant qu’inspirant.