Arthur de Pins, interview de l’auteur de Zombillénium à l’occasion de la sortie du tome 6

Pour Les Amis de Spirou, Arthur de Pins révèle les dessous de sa série à succès,  Zombillénium. Il revient sur l’histoire du parc et sur ses futurs projets.

Photo de Arthur de Pins
© Chloé Vollmer Lo

Les Amis de Spirou : Arthur, peux-tu nous raconter la genèse de la série Zombillénium

Arthur de Pins : Au départ, c’était simplement la couverture d’un spécial Halloween du journal de Spirou. Elle représentait un enterrement en contre-plongée, la vue que l’on peut avoir depuis le trou d’une tombe : sorcière, démon, loup et squelette s’y côtoient déjà.

Les Amis de Spirou : Pensais-tu en faire une série ?

Arthur de Pins : Non. À la suite de cette couverture, mon éditeur Frédéric Niffle m’a proposé de démarrer une histoire en prenant ces monstres pour point de départ. C’était une véritable bénédiction car j’ai pu y mettre tous mes ingrédients et toutes mes obsessions dans cette BD.

Couverture de Spirou par Arthur de Pins
© Zombillénium – Arthur De Pins – Dupuis

Les Amis de Spirou : Ensuite, la série est lancée ?

Arthur de Pins : Pas tout à fait. Même après le tome 1, je ne savais pas que cela allait en devenir une. C’est devenu plus clair à partir du tome 2, puis du 3.  J’ai écrit une histoire sous forme de feuilleton avec des personnages qui arrivent et d’autres qui partent ou reviennent.

Les Amis de Spirou : Comment t’es venue cette idée de parc ?

Arthur de Pins : Dès le tome 1, je voulais aborder le thème de l’entreprise en utilisant des monstres. Partant de ce constat, ces derniers devaient avoir un job. Comme le dit Francis, le directeur du parc: “la meilleure manière de se cacher est de se montrer”. Ainsi, les visiteurs du parc croient avoir affaire à des humains déguisés. Personne ne se doute de la réalité. Ensuite d’une trame industrielle, j’ai pu glisser vers une trame macro-économique.

Image de Zombillénium par Arthur De Pins
© Zombillénium – Arthur De Pins – Dupuis

 

Les Amis de Spirou : En toile de fond de Zombillénium, on y retrouve la lutte des classes, non ?

Arthur de Pins : Oui. C’est une histoire sociale dans un parc d’attraction. Chaque type de monstre correspond à une classe sociale : les zombies sont les travailleurs, la classe ouvrière ; les loups représentent les cadres ; les vampires sont les dirigeants ; enfin, les démons représentent les puissants du CAC 40.

Les Amis de Spirou : On y retrouve également les ingrédients d’une série comme Largo Winch…

Arthur de Pins : La première réunion du board apparaît dans le tome 4. Chaque démon y est représenté avec un domaine qui lui est propre : le lobby pharmaceutique ou la vente d’armes, par exemple. On y retrouve tout un champ lexical propre à l’entreprise et à l’économie : on y parle de vampire, de loup. Les employés échouent aussi dans une tentative d’OPA.

Les Amis de Spirou : Connaissais-tu le domaine de l’entreprise ? Quelle a été ta source d’inspiration ?

Arthur de Pins : Non, je n’ai pas d’expérience particulière. En revanche, j’étais fasciné par le discours d’amis qui travaillaient en entreprise. Ils avaient des costumes cravates, un salaire fixe et donc les moyens d’investir dans une voiture. Ca donnait l’impression que c’était génial de travailler dans une entreprise

Image de Zombillénium par Arthur De Pins
© Zombillénium – Arthur De Pins – Dupuis

Les Amis de Spirou : Ce qui n’est pas toujours le cas…

Arthur de Pins : Effectivement… les années passent. Et les gens prennent du recul sur leur activité, cherchent autre chose, font des reconversions ou tombent en burn out. Pour moi, ce domaine mystérieux est un mélange de fascination-répulsion. Je raconte des histoires que j’ai entendues. Puis, sur Internet, aux infos, on parle souvent de plan de licenciement ou de crise économique, la matière est là.

Les Amis de Spirou : Tu as choisi de placer Zombillénium dans le Nord de la France. Ce n’est pas un hasard ? C’est une région avec une histoire sociale importante.

Arthur de Pins : Oui, effectivement, c’est bien de le relever. Le Nord est souvent montré de manière péjorative. On retient le côté littéraire notamment à cause de Germinal. C’est une région de France où la fracture sociale est importante mais avec une riche histoire industrielle. Les grandes familles industrielles côtoient la plus grande misère. D’un côté de la rue, il y a les belles villas aux façades magnifiques, de l’autre, des maisons qui tiennent à peine debout.

Les Amis de Spirou : Cet album reprend également quelques thèmes sociaux de notre époque…

Arthur de Pins : Au-delà de la compétition, il y a effectivement les paris sportifs – je n’aime pas cela – et également toutes les dérives liées à la téléréalité.

Les Amis de Spirou : La série s’achève par une compétition sportive de haut vol !

Arthur de Pins : Je pensais m’arrêter à cinq albums. J’avais déjà trouvé la fin. Puis, l’idée du sixième album s’est imposée petit à petit. Je voulais une compétition sportive comme dans d’autres séries. Je suis fan de BD qui possèdent des scènes sportives tel que Gunnm et le motorball. Le tout était de savoir à quel moment caser cela. Dans le tome 5, je commençais à résoudre des arcs narratifs sur les personnages. J’aimais l’idée de jouer le sort du parc sur une compétition entre sorcières sponsorisées par des démons.

Les Amis de Spirou : Ta série a été déclinée en film, quelle est l’histoire de ce projet ?

Arthur de Pins : Le producteur est un ami de longue date. Je savais qu’il était producteur, il savait que je faisais de la BD. En plus, il aimait Zombillénium. Je viens de l’animation, donc transformer ma série en film d’animation était un rêve ultime. Ensuite, nous avons monté un dossier et effectué le tour des festivals pour trouver des partenaires.

Affiche du film Zombillénium
© Zombillénium – Arthur De Pins

Les Amis de Spirou : As-tu dû faire quelques concessions sur ton univers ?

Arthur de Pins : Les concessions sont souvent budgétaires. Chaque scène est évaluée financièrement et à un coût. Par exemple : au départ, les zombies devaient avoir des chaînes au pied. En BD, c’est facile à faire. Mais en animation, il faut animer chaque pied et chaque maillon de la chaîne. Cela coûte cher. Il fallait absolument trouver une alternative. L’idée étant d’empêcher les zombies de remonter à la surface. Et, c’est là que le cerbère est entré en scène. Il est bien moins cher à animer.

Les Amis de Spirou : Cette réalisation devait être bien différente de la Révolution des crabes…

Arthur de Pins : Eh oui ! Pour La Révolution des Crabes j’étais vraiment tout seul et je n’avais pas de budget. Zombillénium était un travail d’équipe.

Les Amis de Spirou : Pour en revenir à la BD, quelle est ta méthode de travail entre le scénario et le dessin ?

Arthur de Pins : J’ai une trame globale pour la série, puis ensuite une trame par album. Dans mes cahiers, la première partie est consacrée au scénario, ensuite je le découpe en chapitre, puisque la série est publiée ainsi dans le journal de Spirou. Puis, je dégrossis chacun de ces blocs. J’ai fonctionné ainsi pour les 5 premiers albums. Le dernier a été écrit d’un bloc.

Couverture de Spirou 4149
© Zombillénium – Arthur De Pins – Dupuis

Les Amis de Spirou : En prépubliant l’album par chapitre dans le journal, peut-il y avoir des adaptations en cours de route ?

Arthur de Pins : Oui, il m’est arrivé d’avoir des idées pendant la prépublication. Par exemple, je travaillais sur le cinquième chapitre alors que le deuxième venait de paraître dans le journal. C’est une forme de liberté qui permet de promouvoir des personnages secondaires au rang de personnages principaux et vice-versa. Je travaille en flux tendu.

Les Amis de Spirou : Ce 6e album est-il vraiment le dernier ?

Arthur de Pins : J’ai en tête un one shot qui raconterait l’histoire de la création du parc. Mais ce n’est pas prévu pour tout de suite. C’est vrai que c’est aussi tentant de préparer de nouvelles aventures à Gretchen, mais sous un autre nom, dans un autre univers. Je pense que ces personnages n’ont pas dit leur dernier mot.

Couverture de Sabbath Grand Derby
© Zombillénium – Arthur De Pins – Dupuis

Les Amis de Spirou : Le parc Zombillénium a pris corps, sous la forme de brique lego, peux-tu nous en dire quelques mots ?

Arthur de Pins : Lorsque j’ai rencontré Stéphane Dely, j’étais sceptique devant son projet. Puis, il y a eu l’effet “wahou”. Le projet fait hyper plaisir. Je pensais qu’il mettrait des années à le réaliser. Mais, il a déjà fait plein d’éléments. Pour l’aider, je lui ai fourni tous les documents nécessaires issus de la BD et du film. Il y met un niveau de détail important… Il y a même les toilettes ! Le travail a été exposé au Parc Spirou de Provence et il le sera encore, avec encore plus d’éléments, lors du prochain Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême

Les Amis de Spirou : Quels sont tes autres projets personnels ? Des publications dans Spirou ?

Arthur de Pins : Pour l’instant, je n’ai pas de projet pour Spirou. Aujourd’hui, je peins en vue d’une exposition à la galerie Barbier. C’est une galerie que j’ai souvent visitée. C’est en discutant avec Jean-Baptiste Barbier qu’est venue l’idée d’organiser une exposition. Elle se déroulera en mars 2023. Je présenterai mes peintures… Toujours autour des monstres.

Les Amis de Spirou : Entre l’aquarelle et Illustrator, quelles sont les différences dans ton travail ?

Arthur de Pins : Le second demande davantage de concentration. Quand je peins, je peux écouter un podcast alors que lorsque j’utilise Illustrator, je ne peux mettre que des musiques de films, sans parole. Je dois travailler avec des calques que j’ajoute et que je soustrais, c’est donc assez lourd en termes de neurone.

Propos recueillis par Bruce RENNES

A lire aussi notre chronique de l’album Sabbath Grand Derby

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