Amelia Navarro, interview de la dessinatrice de Mandarine, une semaine sur deux

Très modeste sur la qualité de son français, tour à tour, dessinatrice ou coloriste, souvent les deux en même temps, la talentueuse illustratrice espagnole Amelia Navarro a accepté de répondre aux questions des Amis de la bande dessinée. On y aborde ses débuts professionnels et sa rencontre avec Sergio Salma.

Les Amis de la BD : Bonjour Amelia, en quelques mots, peux-tu nous résumer ton parcours professionnel ?

Amelia Navarro : J’ai étudié dans une école d’art afin de devenir illustratrice. Mais, j’ai toujours aimé la bande dessinée, une passion transmise par mon père. Ici, en Espagne, il n’y a pas autant de BD dans les maisons, comme en France. Ce n’était vraiment pas une habitude. Et pourtant, mon père en était un grand lecteur. En Espagne, la BD a été popularisée grâce à un journal qui s’appelait El Pequeño País.

Les Amis de la BD : Tu as donc commencé par l’illustration ?

Amelia Navarro : Oui, car cela me semblait plus simple. La BD, c’est compliqué, il faut davantage de temps pour dessiner une page. Cela me semblait difficile de commencer en gardant la même qualité que pour les illustrations. J’y suis venue petit à petit.

Photo d'Amelia Navarro
Amelia Navarro lors du festival d’Angoulême 2023.

Les Amis de la BD : Aujourd’hui, on te connaît notamment pour ta série Mandarine – Une semaine sur deux – réalisée avec Sergio Salma et publiée chez Bamboo. Comment as-tu rencontré l’auteur de Nathalie ?

Amelia Navarro : Je connaissais son travail, justement grâce au journal El Pequeño País qui publiait différentes séries francophones ou espagnoles. On y lisait notamment Le Petit Spirou, mais également Nathalie ou Animal Lecteur de Sergio. Alors, je le suivais sur Facebook, il postait de nombreux gags. Un jour, j’ai partagé un dessin qui m’avait beaucoup plu… Il m’a suivi en retour… Puis, il m’a contactée.

Les Amis de la BD : Quelle a été ta réaction ?

Amelia Navarro : Quand il m’a contactée, je ne parlais pas français, j’ai été très nerveuse mais il a été vraiment très aimable avec moi. Par la suite, je me suis débrouillée pour apprendre votre langue, toute seule.

Couverture de Mandarine
© Amelia Navarro

Les Amis de la BD : Vous avez donc commencé à travailler ensemble ?

Amelia Navarro : Sergio et moi avions commencé à travailler sur différentes petites histoires, notamment pour Spirou. Nous nous sommes rendu compte que nous étions très à l’aise ensemble et dans des univers communs. Sergio m’a donc proposée de réaliser un travail sur un plus long projet.

Les Amis de la BD : Comment Mandarine est-elle arrivée ?

Par le passé Sergio avait imaginé l’histoire d’un petit garçon dont les parents se séparaient. Il avait effectué des tests avec des dessinateurs, mais sans succès. Puis en imaginant collaborer avec moi sur du plus long terme, le petit garçon s’est transformé en petite fille.

Croquis de Mandarine
© Amelia Navarro

Les Amis de la BD : As-tu fait des essais ?

Amelia Navarro : J’avais dessiné une petite fille, moi-même en fait, dans le style de Schulz. Sergio s’est dit qu’elle devait être l’héroïne de notre histoire.

Les Amis de la BD : Comment collaborez-vous sur Mandarine ?

Amelia Navarro : Sergio prépare un chapitre, il le dessine un peu, en fait le découpage, mais lorsqu’il envoie sa composition, j’ai la liberté d’effectuer des changements. Je reçois le projet et ensuite, je dessine.

Peluche Mandarine
© Amelia Navarro

Les Amis de la BD : Discutez-vous du scénario ensemble ?

Amelia Navarro : Parfois, on discute du scénario, surtout s’il y a des éléments que je ne comprends pas ou si je sens que je peux apporter quelque chose, comme le blaireau, par exemple.

Les Amis de la BD : Justement, comment est née cette vision poétique de l’amitié avec un tel animal ?

Amelia Navarro : Sergio habite en Allemagne, près de la forêt. Un jour, il m’a envoyé la photo d’un animal étrange. Je lui avais dit que j’aimerais bien ajouter un animal pour accompagner Mandarine, mais je ne voulais pas d’un chat ou d’un chien. Le blaireau de la photo s’est imposé. C’était original.

Croquis de Mandarine
© Amelia Navarro

Les Amis de la BD : Comment avez-vous travaillé les traits physiques de Mandarine ?

Amelia Navarro : Au départ, c’était vraiment moi. Puis, elle a évolué petit à petit car je ne voulais pas qu’elle me ressemble trop. Ainsi, la coupe de cheveux est différente et quand j’étais petite je n’avais pas de lunettes. Mandarine est une fille assez commune.

Les Amis de la BD : Et pour ses parents ?

Amelia Navarro : Ce sont leurs caractéristiques psychiques qui m’ont inspirée. Le papa est plutôt touchant et axé sur la nature, alors que la maman est froide, concentrée sur son travail et c’est une vraie citadine.

Bureau d'Amelia Navarro
© Amelia Navarro

Les Amis de la BD : Avec quels outils dessinez-vous ?

Amelia Navarro : Tout d’abord très traditionnellement, avec un crayon, du papier. Je prépare la composition, j’imagine la position des personnages. Ensuite, au crayon bleu, je fais des lignes plus définies, plus concrètes. Je scanne les dessins et enfin, je travaille l’ancrage et les couleurs numériquement.

Les Amis de la BD : As-tu des instructions précises concernant les couleurs ?

Amelia Navarro : Non, Sergio me fait confiance, mais s’il trouve qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, il me le signale.

Les Amis de la BD : Concernant les couleurs, tu as également collaboré à l’album Pays Noir, avec Sergio Salma au dessin cette fois, comment as-tu travaillé ces ambiances ?

Amelia Navarro : Pays Noir, est un album beaucoup plus sombre avec davantage de gris et moins de couleurs saturées. Pour ce travail, Sergio était très attentif car il a vécu dans la région de Marcinelle. En bande dessinée historique, le respect des couleurs et des ambiances est très important. La visite de la région et du musée du Bois du Cazier a totalement bouleversé la vision de mon travail. J’ai mieux perçu ce que je devais faire.

Couverture de Pays noir par Sergio Salma et Amelia Navarro
© Pays noir – Amelia Navarro et Sergio Salma – Kennes

Les Amis de la BD : Quelle fut ta première réaction lorsque tu as reçu le premier album que tu as dessiné ?

Amelia Navarro : C’est impressionnant, car tu réalises le travail que tu as fait, mais tu trouves ça à la fois grand et petit. Aujourd’hui, je suis contente, le premier album de Mandarine a été publié en espagnol et le second va suivre dans quelques mois.

Les Amis de la BD : As-tu reçu quelques retours de lecteurs ?

Amelia Navarro : J’ai apprécié les chroniques que j’ai lues même si elles ne sont pas très nombreuses. Mandarine est une histoire plutôt pour la famille. Alors, j’ai des retours de parents avec leurs enfants, ils sont reconnaissants du temps que tu prends pour discuter avec eux. Ces échanges m’encouragent. En Espagne, j’étais plutôt connue par un public adulte, alors ça change.

Croquis de Mandarine
© Amelia Navarro

Les Amis de la BD : Te parlent-ils des sujets abordés ?

Amelia Navarro : La thématique du divorce est difficile. Certains sont un peu réfractaires à l’offrir à cause de cela. C’était un peu la même chose avec les personnes qui ont vécu l’accident du Bois du Cazier, le sujet de Pays Noir. Finalement, lorsqu’ils le découvrent, ils sont agréablement surpris.

Les Amis de la BD : Quels sont tes prochains projets ?

Amelia Navarro : Je suis en train de terminer un livre illustré, puis je prépare une BD avec un autre auteur mais qui n’est pas certain d’aboutir. En attendant, je suis très contente d’écouter les lectrices et les lecteurs me parler affectueusement de Mandarine.

Propos recueillis par Bruce RENNES

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