Interview d’Elric, Michaël Baril et Clément Lemoine, les auteurs du Spirou Classique T1 – La Baie des Cochons
Lors du festival Spirou qui a eu lieu au parc Spirou Provence, nous avons rencontré divers bédéistes, dont Michaël Baril, Elric et Clément Lemoine, auteurs du nouveau Spirou et Fantasio Classique : Tome 1- La Baie des Cochons.

Les Amis de la Bande Dessinée : Bonjour, pour commencer, pourriez-vous, nous préciser les études que vous avez faites et nous partager votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?
Michaël Baril : Je suis Michaël Baril un des co-scénaristes. C’est le premier album d’envergure que je co-signe, bien que je sois présent dans le monde de la BD depuis longtemps. D’ailleurs, avec Clément et Elric, nous avons beaucoup travaillé ensemble dans le collectif Onapratut. Concernant mes études, elles n’ont rien à voir avec la bande dessinée. J’ai étudié dans l’informatique, je suis développeur. Cependant, j’ai toujours eu en tête ma passion pour la BD, lorsque j’étais enfant mon rêve était d’en dessiner et d’en écrire.
Clément Lemoine : Clément Lemoine, deuxième co-scénariste avec Elric. C’est vrai, comme le dit Michaël, lui et moi sommes complètement invisibles et en même temps j’ai l’impression que nous ne sommes pas inexpérimentés, car nous avons écrit dans un certain nombre de collectifs de l’association Onapratut que nous animons encore aujourd’hui. Nous avons donc écrit un certain nombre d’histoires à plusieurs ou séparément. Personnellement, j’écris aussi sur l’histoire de la bande dessinée, j’ai publié des petits livres sur Goscinny et un récemment sur la naissance du journal Pilote, en co-écriture avec d’autres auteurs. En plus de cela, je suis professeur documentaliste en collège.
Elric : J’ai toujours voulu faire de la BD. J’ai donc fait des études d’art à Perpignan là où je suis né. C’était un cycle de 5 ans. Après, je suis allé vivre à Angoulême où je suis rentré dans un atelier dans lequel j’ai pu faire des rencontres qui m’ont permis de me perfectionner, en mise en scène par exemple. Je faisais une bande dessinée pour les éditions Dargaud. Par la suite, j’ai fait plusieurs BD, aux éditions Paquet. Dernièrement j’ai fait la série Witchazel, dont l’intégrale est sortie en 2021. Ensuite, j’ai repris Iznogoud (Imav), j’ai dessiné Romance (Delcourt) et à présent Spirou. C’est Michaël qui en 2005 ou 2006 m’a trouvé sur le forum de BD Paradisio et m’a proposé de participer à leurs fanzines. C’est comme ça que l’on s’est rencontrés. Il a scénarisé ma première histoire dans le fanzine.

Les Amis de la Bande Dessinée : Et à quel moment vous vous êtes dit, c’est le moment, on se lance ?
Elric : Alors, Michaël et Clément habitent à Paris et moi Angoulême. Lorsque je me rendais sur Paris, il m’arrivait de dormir chez des amis, de la famille ou chez Clément. C’était très souvent chez Clément. Durant nos entrevues, on commençait en rigolant à inventer des histoires de reprises comme Lucky Luke, Les Tuniques Bleues… A un moment on s’est demandé ce que Spirou pourrait vivre, Michaël avait vu un documentaire sur Castro et a eu l’idée de ce Spirou dans les années 60 en pleine guerre froide. On a perfectionné le récit, en se prenant au jeu et c’est lorsque l’on a été confiné que je leur ai dit « on a beaucoup de notes, on pourrait les remettre en ordre et faire le dossier ». J’ai fait deux planches pour l’accompagner. C’est à ce moment-là que Stéphane Beaujean m’a écrit. A l’époque, il venait de démissionner de la direction artistique du festival d’Angoulême et avait été embauché par les éditions Imav pour trouver un repreneur d’Iznogoud. Sachant qu’il allait prochainement devenir directeur éditorial chez Dupuis, je lui ai dit qu’on avait écrit un scénario de Spirou, je le lui ai proposé et il m’a dit qu’il avait apprécié mais qu’il préférait d’abord prendre ses marques chez Dupuis et que je fasse Iznogoud. Un peu moins d’un an après il a donné son feu vert.

Les Amis de la Bande Dessinée : En tous cas, c’est une chance que vous soyez tombé sur ce documentaire. C’est une période de la guerre froide peu médiatisée au niveau des tensions qu’il y a pu avoir à Cuba. Continuons, donc cet album est dans la lignée graphique de Franquin. On aimerait savoir de quelle manière vous avez travaillé pour que votre style de dessin soit aussi proche du sien.
Elric : Initialement, nous étions tous les trois d’accord pour que la BD ait une identité des années 60 dont les dessins de Franquin étaient les plus représentatifs. On s’est donc dit qu’il fallait que cela y ressemble un peu. Cependant, je ne me suis pas dit « on va copier au millimètre ». Il y a des tics à la fois graphiques et de mise en scène que je me suis un peu appliqué à reproduire, par exemple les personnages qui ont les pieds posés sur le bord de la case, très courants dans les BD de Franquin. J’ai fait également très attention aux expressions pour que le jeu d’acteur des personnages soit fidèle à ces années-là. Cela étant, j’ai un peu changé les proportions notamment pour Seccotine qui n’avait jamais été dessinée à cette époque-là par Franquin, et comme les proportions des personnages ont changé avec le temps, il fallait que les tailles s’accordent entre les trois personnages. Après, Michaël m’a aidé pour les caricatures de Kennedy et du Che, car il maîtrise bien cet art contrairement à moi.
Clément Lemoine : C’est vrai qu’il y a une part de nostalgie, une envie de retrouver ce que l’on pouvait lire. Moi c’était reprendre le Marsupilami qui me réjouissait particulièrement.
Elric : On a commencé à écrire le scénario sans le Marsupilami, c’est en discutant avec l’éditeur que nous avons appris qu’il était possible de l’inclure dans le récit. On a donc réécrit le début pour l’intégrer.
Clément Lemoine : Je disais qu’il y avait cette nostalgie, cette envie que l’on avait de retrouver quelque chose d’ancien, mais que cela n’a jamais été du Franquin, et qu’il n’a jamais été question de l’imiter. Même dans la forme, on essaie d’être dans une présentation qui soit plus linéaire et qui soit plus moderne dans la narration. C’est un équilibre que l’on s’évertue à trouver.
Elric : Il y a une telle attente des fans par rapport à Franquin que l’on ne peut pas se placer au même niveau. De plus, il y a un temps qui est passé et qui a créé un fantasme autour de Franquin. Tout le monde a sa propre version de ce qu’était le Spirou de Franquin. Et nous, on arrive dans cette aventure avec notre personnalité.

Les Amis de la Bande Dessinée : Oui exactement vous avez votre propre singularité. Les amis de la BD vous donnent raison sur le fait qu’il est très agréable de revoir ce qui se faisait auparavant. Cela nous replonge dans l’enfance. Avez-vous eu certaines difficultés au niveau de la retranscription historique ? Par exemple, dans la manière de mettre en scène une situation critique avec humour et dérision ?
Michaël Baril : Tout d’abord, on s’est beaucoup documentés, à la fois sur Fidel Castro, sur la baie des Cochons en elle-même, sur la révolution cubaine et sur les agissements de la CIA à cette époque-là. Ensuite, il a fallu raconter tout cela d’une manière qui colle à Spirou, c’est-à-dire qui soit humoristique et qui n’aille pas forcément au bout de toutes les réalités. Ce qui nous a aidé, c’est peut-être le fait que l’histoire réelle de la baie des Cochons est quasiment un gag tragique tellement il y a eu de loupés de la part de la CIA. Beaucoup de choses pouvaient se prêter à la caricature. De plus, caricaturer les personnages s’est fait assez naturellement : Fidel Castro en dictateur colérique et le Che en séducteur avec un comportement peu admirable.

Les Amis de la Bande Dessinée : D’accord, merci. En vous rapprochant du style de Franquin, vous n’avez pas craint des réactions négatives comme cela a pu être le cas pour Delaf avec la reprise de Gaston Lagaffe ?
Clément Lemoine : Il n’y a pas de question de légitimité sur la reprise de Spirou et Fantasio. La série a toujours été reprise, très souvent dans la continuité de Franquin. Ici, ce n’est pas fondamentalement nouveau. L’actualité fait que nous sortons après le Gaston donc il y a forcément un prisme qui peut être vu à un moment ou à un autre. J’ai tout de même l’impression que les projets sont très différents. Pour moi, la reprise est intrinsèque à l’histoire de la bande dessinée. Les plus grands moments du 9ème art sont souvent liés à cette idée d’équilibre entre ce qui a été fait avant et ce que l’on va essayer de changer. Il y a beaucoup d’autres façons de reprendre une série que de simplement la reprendre purement à l’identique et ce n’est pas ce que l’on a essayé de faire.
Elric : Personnellement, j’ai beaucoup recopié pour avoir des attitudes, mais il y a beaucoup de postures que j’ai dû inventer. Parmi les gens qui ont mal réagi, beaucoup sont ceux qui n’aiment pas les reprises. Ils avaient déjà un avis avant même de l’avoir lu.

Les Amis de la Bande Dessinée : Oui malheureusement, avec ce genre de personnes c’est ce qui arrive (rire). Actuellement, avez-vous des projets ensemble ou individuellement ?
Elric : Moi je ne peux pas dire (rire).

Les Amis de la Bande Dessinée : Alors ne dites pas (rire).
Clément Lemoine : Alors, ce qui est officiel c’est que nous travaillons sur un autre Spirou dans cette collection Classique qui s’appelle Zorgrad.
Michaël Baril : Oui à part cela, nous avons toujours des projets à trois ou à deux qui ne sont pas suffisamment concrétisés pour en parler. Néanmoins nos cerveaux bouillonnent avec plein de choses.

Les Amis de la Bande Dessinée : Un petit dernier mot pour nos lecteurs ?
Elric : Aux prémices de ce projet, j’avais posté sur votre groupe Facebook les premières planches, donc merci à tous les gens qui ont liké depuis le début. Ce sont les premiers qui ont vu l’évolution du projet vers 2021.
Les Amis de la Bande Dessinée : Merci beaucoup pour cet échange !
Propos recueillis par Manonn’ des sources.
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