Interview de Denis Lapière à l’occasion de la sortie du tome 2 du Roi Louve
Auteur prolifique, Denis Lapière signe un nouvel épisode du Roi Louve, une série qu’il co-scénarise avec Émilie Alibert. Pour les Amis de Spirou, il revient sur l’intrigue de cette histoire d’heroic fantasy, un genre dans lequel le mythique scénariste du Bar du vieux français ou de Charly réalise ses premières gammes.
Les Amis de Spirou : Pouvez-vous nous résumer en quelques mots l’intrigue du Roi Louve ?
Denis Lapière : C’est l’histoire romanesque de Petigré qui refuse la société patriarcale dans laquelle elle évolue, au sein du peuple des Loups. Elle souhaite en devenir le “roi” mais cette fonction n’est réservée qu’aux mâles. Ainsi, elle cherche à s’affranchir des règles pour parvenir à ses fins. Dans sa quête, elle croise de nombreux personnages qui sont également en porte-à-faux avec leur propre culture.
Les Amis de Spirou : Les loups vivent dans une société patriarcale et les humains dans une société matriarcale…
Denis Lapière : Oui, on oppose les styles et ça nous intéressait d’écrire un scénario où la quête de chacun, une envie commune à tous, rime avec la liberté, malgré leurs différences et quelle que soit leur culture initiale.
Les Amis de Spirou : Quelle est la genèse de ce projet ?
Denis Lapière : Au départ, j’avais envie d’écrire une histoire d’heroic fantasy mais en cassant les codes traditionnels, en utilisant une nouvelle imagerie. Avec Émilie Alibert, nous nous sommes installés durant trois jours pour travailler et inventer ces différents univers.
Les Amis de Spirou : Vous connaissiez déjà Émilie Alibert ?
Denis Lapière : Cela remonte à une dizaine d’années. J’étais occupé à terminer Alter Ego. Émilie travaillait pour la télévision et trouvait que cette série pourrait être une très bonne histoire audiovisuelle. Je l’ai rencontrée et nous nous sommes trouvés des points communs dans nos envies d’écrire.
Les Amis de Spirou : Comment a débuté cette collaboration ?
Denis Lapière : Tout d’abord par un projet de téléfilm qui n’a pas abouti. Mais, nous avons eu beaucoup de plaisir à collaborer ensemble. Puis, nous avons travaillé sur Rose (éd. Dupuis) et depuis nous continuons à régulièrement bosser conjointement.
Les Amis de Spirou : Comment se déroule l’écriture à deux ?
Denis Lapière : En plusieurs temps. Tout d’abord, on se retrouve pour discuter de la création des personnages et des univers. À deux, c’est pratique. On peut délirer, mais aussi se mettre des freins. L’un peut facilement recadrer l’autre pour revenir sur le sujet. Ensuite, on travaille le synopsys. C’est une étape qui s’effectue en visioconférence.
Les Amis de Spirou : Y a-t-il une répartition des tâches ?
Denis Lapière : Oui, on travaille en commun sur chaque séquence et l’équilibre global du bouquin. Émilie qui est dialoguiste écrit… les dialogues. Ensuite, je m’occupe du découpage de la bande dessinée en replaçant les cases de dialogues et celles d’action.
Les Amis de Spirou : À quel moment intervient Adrián, le dessinateur du Roi Louve ?
Denis Lapière : Adrián reçoit d’abord le synopsys. Cela lui permet de savoir ce qu’il va se passer. Ensuite, il nous transmet un storyboard. Lors de cette étape, nous améliorons encore des éléments comme le diaogue, et parfois nous nous ajustons à son dessin car il amène des idées pertinentes sur le découpage. Dès que nous sommes d’accord, Adrián met le dessin au propre.
Les Amis de Spirou : Le titre de la série interpelle, Le Roi Louve, il évoque presque une erreur de grammaire. La série est-elle centrée sur la question du genre ?
Denis Lapière : Au-delà de la question du genre, des thèmes du patriarcat et du matriarcat qui sont dans les thèmes du temps, la série évoque plutôt la recherche du sens et de soi. C’est une quête. Que cela soit Petigré, la femme qui veut devenir roi, Rum l’humain élevé par des loups ou encore Angus le Sansame qui n’est plus sensé vivre, tous ces personnages sont en quête de leur identité. Ca passe par le genre, mais également par la culture.
Les Amis de Spirou : Avec au bout, une question essentielle…
Denis Lapière : Oui, avec toutes ces contraintes et cette manière d’être en porte-à-faux avec sa culture, comment croire suffisamment en soi pour arriver au bout de sa quête existentielle ?
Les Amis de Spirou : Comment avez-vous convaincu votre éditeur de publier cette histoire ?
Denis Lapière : Ce qui était compliqué, c’était de “pitcher” très simplement l’histoire. Comme on raconte l’histoire de quatre personnages assez différents mais qui vivent les mêmes interrogations, il fallait à chaque fois décrire leur histoire respective, mais également les caractéristiques des univers dont ils sont issus. Notre éditeur a été convaincu par la complexité de l’ensemble des éléments.
Les Amis de Spirou : Comment s’est déroulé le choix du dessinateur ?
Denis Lapière : Émilie et moi avons mis du temps pour mettre en place les univers et les personnages. Le projet avait démarré avec un autre dessinateur, mais ce n’était pas assez convainquant. Finalement, lorsque le projet a été présenté à Adrián, l’histoire était bien plus aboutie.
Les Amis de Spirou : Est-ce un récit destiné à sensibiliser les jeunes aux thématiques évoquées plus haut ?
Denis Lapière : Dernièrement, un journaliste a expliqué que le Roi Louve était destiné à tous les lecteurs de 8 à 88 ans, avec plusieurs niveaux de lecture. On peut s’arrêter très simplement à l’aventure ou alors se laisser porter par toute la réflexion sur la place de l’homme et de la femme dans les diverses sociétés.
Les Amis de Spirou : Oui, et des sociétés contre lesquelles les héros se battent…
Denis Lapière : Petigré part en guerre contre le patriarcat existant au sein du peuple des loups. Chez les humains, il y a des femmes puissantes. Ce ne sont pas les sujets de l’histoire, mais ils sont liés à nos personnages dans la mesure où ils mènent une quête sur eux-même. Ils vivent des aventures qui les enrichissent intérieurement.
Les Amis de Spirou : Quelle est place du Roi Louve dans votre longue production scénaristique ?
Denis Lapière : Mon cheminement personnel est littéraire. Moi, j’ai accroché par hasard aux écrits de Philip Pullman et notamment à sa trilogie À la croisée des mondes. Il s’agissait déjà d’heroic fantasy revisité. Il y avait de vraies inventions.
Les Amis de Spirou : C’est-à-dire ?
Denis Lapière : L’idée était de créer une histoire d’heroic fantasy autrement qu’avec des guerriers en jupes, des sorciers et des farfadets. Cela ne sert à rien d’imiter Tolkien. J’avais envie de réinventer le truc et Émilie est entrée dans ce principe. On a réinventé un univers graphique et conceptuel, tout en gardant une certaine logique.
Les Amis de Spirou : Existe-t-il une filiation avec vos autres séries ?
Denis Lapière : Quelque part, Le Roi Louve se situe dans la lignée de ce que je faisais avec Charly. C’était de la science-fiction ancrée dans le quotidien de l’époque contemporaine. Avec l’histoire de Petigré, j’avais envie de faire la même chose, mais ancrée dans un monde que j’invente.
Les Amis de Spirou : Est-ce plus difficile d’inventer complètement un monde que de repartir d’une époque connue, comme dans Charly ?
Denis Lapière : C’est complètement différent. Le problème avec un monde qui est créé de toute pièce, c’est qu’il est difficile de savoir où s’arrêter dans la création de ce monde, de cet univers. C’est sans limite. Plus on invente, plus on fouille et on en imagine les détails.
Les Amis de Spirou : Alors qu’un univers plus contemporain peut limiter la création…
Denis Lapière : Quand on s’attaque à un univers connnu, il y a des règles. Il y a des éléments qu’on ne peut pas inventer.
Les Amis de Spirou : Denis Lapière… Avez-vous conscience de la lourde responsabilité que vous portez sur mes traumatismes d’adolescent, de jeune lecteur de BD ?
Denis Lapière : Oui je devine. Vous allez me parler de la mort du papa de Charly, non ?
Les Amis de Spirou : On vous en parle souvent ?
Denis Lapière : Vous n’êtes pas le seul. Ce dont on me parle le plus souvent, c’est du Bar du vieux français ou de la mort du papa de Charly.
Les Amis de Spirou : Il est tué par un crabe géant !
Denis Lapière : Bon. C’est vrai que c’était un peu tabou à l’époque de sacrifier des personnages principaux. C’est plus courant maintenant. Mais ce qui est vraiment étonnant, c’est que le décès du frère de Michel Vaillant, dans le tome 6, Rébellion, de la saison 2, a fait moins de vague que la mort du père de Charly.
Les Amis de Spirou : Quelles sont vos prochaines actualités ?
Denis Lapière : Deux Michel Vaillant sont au programme dont l’un sortira à l’occasion du centenaire de la course des 24 heures du Mans (NDLR qui se déroulera le 10 juin 2023). Comme j’ai déjà scénarisé la course avant même qu’elle n’ait lieu, je me réjouis de découvrir ce qu’il se passera lors de cette course mythique. Le prochain Michel Vaillant Légendes sortira en septembre. Il précédera de quelques semaines le troisième et vraissemblablement dernier tome du Roi Louve, prévu pour la fin de l’année.
Les Amis de Spirou : Justement, des infos sur ce tome 3 ?
Denis Lapière : Tous les personnages auront été au bout de leur quête. On va comprendre davantage de choses sur l’importance du monde des Tometeu. Notre monde actuel est bien plus complexe que l’apparante binarité qu’on aperçoit. Ainsi, on voulait que l’univers dans lequel évolue nos personnages soit aussi plein de contradictions, avec de nombreuses forces opposées. Et, c’est grâce à ces oppositions, ce mélange des genres, que finalement tout le monde avance et progresse.
Propos recueillis par Bruce RENNES
