Les métiers de la BD – épisode 8 : Alain Henriet, profession dessinateur

Alain Henriet, dessinateur des mythiques séries Dent d’Ours ou Black Squaw, est un véritable Ami de la BD qui présente régulièrement ses travaux sur notre groupe. Ainsi, on est très heureux de le questionner sur les dessous de son travail.

Les Amis de la BD (LABD) : Quand as-tu su que tu voulais devenir dessinateur de BD ?

Alain Henriet (AH) : Depuis que je suis enfant, j’ai toujours voulu faire de la bande dessinée. À mon époque, il n’y avait pas beaucoup de médias hormis celui-là et je lisais énormément de bandes dessinées. J’ai commencé à dessiner mes premières planches et mon premier album à neuf ans, de la création de la planche à la confection finale de l’album.

©Alain Henriet
©Alain Henriet

Les années ont passé et j’ai toujours continué à faire de la bande dessinée, mais je n’étais pas sûr d’avoir le niveau pour le faire. À partir de 17 ans, j’ai commencé à me poser les bonnes questions. C’est venu d’un voisin. Je recopiais les pages d’autres dessinateurs comme une photocopieuse, et celui-ci m’a dit : « C’est bien, tu sais copier… et toi, tu fais quoi ? » Et c’est, je crois, le déclencheur, j’ai commencé à me poser les bonnes questions. J’ai énormément travaillé pour essayer de présenter un travail potable. Petit à petit, mon dessin a pris forme.

Un jour, j’ai gagné un concours lancé par Thierry Tinlot, alors rédacteur en chef de Spirou. C’était en 1996. C’est comme ça que j’ai commencé à faire mes premières planches payées. Ma première publication date d’août 1996. Avant ça, vers 1994, j’ai dessiné 3 histoires courtes pour le magazine « Brazil », créé entre autres par Philippe Foerster et Antonio Cossu.

©Cyrille Voirol - Tramlabulle 2024
©Cyrille Voirol – Tramlabulle 2024

LABD : Comment t’es-tu formé au dessin ?

AH : D’abord, comme tout le monde depuis que je suis enfant, je n’ai jamais arrêté. Ensuite, adolescent, j’ai cherché des livres d’anatomie de perspective pour essayer d’apprendre à dessiner. À l’époque, il n’y avait pas Internet. J’ai fait énormément de magasins pour trouver des ouvrages et pendant des années j’ai essayé d’étudier tout cela. Avec le temps, j’ai appris à observer les choses, voir comment fonctionne un corps humain, comment se déplace une personne d’un certain poids, comment se positionne une femme par rapport à un homme. En observant, on se rend compte que les choses sont souvent très différentes les unes des autres. Le tout est de les comprendre et de les assimiler… et toujours seul de mon côté. J’apprends encore en observant les autres, de temps en temps quelque chose me saute aux yeux, ça permet de toujours avancer, depuis des années j’essaie d’effacer mes faiblesses, je les travaille.

©Alain Henriet
©Alain Henriet

LABD : Donc tout seul…

AH : Je me suis formé seul à force d’observer les choses et d’essayer de les comprendre. J’ai suivi une école d’art après mes secondaires en espérant apprendre quelque chose comme on l’enseignait dans les grandes écoles de la fin XIXe ou début XXe. Mais, ce n’était absolument pas le cas, rien, quel que soit le cours artistique. Je me souviens avoir passé des mois seul dans les couloirs à dessiner des couloirs à mains levées au lieu d’aller en classe. Pour finir, j’allais de moins en moins au cours. De toute façon, on n’y apprenait rien. Quand je croise un jeune, je l’encourage à chercher de son côté et de rester ouvert à tout, et surtout à autre chose que la bande dessinée pour ne pas tourner en rond.

LABD : Quelles sont tes sources d’inspiration ?

AH : Quand j’étais gamin, je lisais énormément de BD humoristiques, je n’étais pas très fan des BD réalistes. Cela a commencé à changer à l’adolescence quand j’ai découvert les petits formats et les comics de super-héros. Là, j’ai vraiment commencé à me calquer sur ce genre de dessin et j’ai beaucoup appris en recopiant certains dessinateurs. J’étais, et je suis toujours, un grand fan d’Alain Davis, un dessinateur de comics anglais. Il a vraiment le dessin qui oscille entre le côté européen et le côté américain. Avec les années, je me suis beaucoup intéressé à autre chose que la bande dessinée, tel que les peintures. J’adore les vieux tableaux, les illustrateurs, les publicitaires, le cinéma. J’ai aussi commencé à chercher dans La narration cinématographique ce qui pourrait me servir dans la narration de mes planches afin d’essayer d’améliorer mon travail.

LABD : Comment est organisé ton lieu de travail ?

AH : Je travaille principalement dans mon bureau, à l’étage, où je dessine tout sur ma table à dessin. J’ai un ordinateur, mais celui-ci se trouve dans le bureau de mon épouse. Le matin, je lui emprunte pour faire des assemblages, je scanne mes crayons, je fais du lettrage. Je varie un peu afin de ne pas être toujours sur ordinateur.

Je dessine exclusivement dans mon bureau. Je commence à dessiner vers 16 heures jusqu’à minuit voire jusqu’à 2h du matin. Toute ma documentation se trouve autour de ma table à dessin. D’ailleurs, avec les années, j’ai de moins en moins de place autour de cette table.

LABD : Quels matériels utilises-tu ?

AH : Je crayonne sur des feuilles A4 avec un porte-mine HB. Pour l’encrage, j’encre avec des pinceaux et de l’encre de Chine mais également avec toutes sortes de feutres qui me servent pour divers détails.

LABD : Peux-tu nous parler du projet sur lequel tu travailles actuellement ?

AH : Je dessine en ce moment un western de 142 planches pour Le Lombard, dans la collection « Signé » avec au scénario Pierre Dubois et Usagi à la couleur.

La vallée des oubliées Le Lombard couverture
©Le Lombard 2025, La vallée des oubliées – Dubois, Usagi, Henriet

Quand je suis arrivé au Lombard, pendant deux mois j’ai discuté avec mon éditeur Mathias et un jour je lui ai dit que j’aimerais bien faire un western. Je veux dessiner des sales gueules et de grands paysages. Par le plus grand des hasards, Pierre Dubois venait d’écrire un nouveau scénario, qui n’était lié à rien, et qui est arrivé la même semaine. Ainsi, mon éditeur m’a proposé le scénario de Pierre. C’était exactement ce que je voulais faire ! De plus, Pierre Dubois a conçu son scénario comme un film et non comme une bande dessinée. Je l’ai eu sous forme de roman. J’ai donc eu une totale liberté au Lombard. On m’a dit : prends la place pour dessiner, fais-toi plaisir. J’ai eu une pleine liberté pour m’exprimer comme je le voulais, j’ai géré tout l’album du début à la fin comme je le sentais. Grâce à ça, et avec l’aval de mon éditeur, j’ai rarement pris autant de plaisir à concevoir un album. Effectivement, sur 142 pages, on peut expérimenter ce qu’on ne ferait pas sur l’album classique de 46 pages. On peut donner plein de liberté à ses envies. Il est plus facile avec un tel album de donner de la grandeur aux paysages et à ce que l’on souhaite exprimer

LABD : Est-ce que ce changement d’univers t’a obligé à travailler différemment ? (Passer de l’aviation au western)

AH : Le changement d’univers, graphiquement surtout, provient de la documentation. Les décors, les paysages et plus particulièrement les personnages sont des éléments qui se répètent. Il n’y a que les costumes et l’environnement qui changent. Par exemple il y avait énormément de dessins techniques dans « Dent d’ours » ce qui est moins le cas dans un western. Il fallait être très proche de la documentation. Ici aussi je suis très proche de la documentation, mais les maisons et autres fabrications sont souvent faites de bois et de pierre. Du coup, un caillou un peu plus petit ou un peu plus gros ne change rien. Cela dit, faire un western reste compliqué et demande énormément de travail. Par exemple, un personnage de western a sur lui beaucoup plus d’éléments qu’un personnage contemporain. On retrouve un chapeau, une ceinture, voire deux, un colt, des bottes, des éperons, un couteau, plein de choses à dessiner qui seront présentes dans chaque case.

©Alain Henriet
©Alain Henriet

Le plaisir de la bande dessinée historique est d’essayer d’être le plus fidèle possible à la réalité et à la documentation. Un des plaisirs également de travailler sur une bande dessinée historique, western comme Seconde Guerre mondiale, c’est de passer des heures à regarder de vieux documents, c’est toujours plaisant.

LABD : Fais-tu autre chose que de la bande dessinée ?

AH : Depuis 1998, je suis correcteur de lettrage chez Dupuis. J’ai commencé à la rédaction du Journal de Spirou. J’ai toujours fait les deux travaux en parallèle. Pendant des années, j’ai travaillé dans les bureaux chez Dupuis. Du coup, j’ai appris comment fonctionne de A à Z une maison d’édition. J’en connais tous les rouages. Cela me permet et m’a permis d’être assez carré dans mon travail. Depuis quelques années je ne travaille plus sur place, le télétravail est arrivé.

©Alain Henriet
©Alain Henriet

LABD : Quelle est la dernière BD que tu as lue ? 

AH : « Au cœur du désert » de Charles dans la collection « Signé » au Lombard

Propos recueillis par : Bruce Rennes

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