Le dernier costume n’a pas de poche
Le dernier costume n’a pas de poche n’est pas qu’un nouveau récit traitant de la migration et de l’horrible traversée de la Méditerranée. Ici, Laurent Galandon et Paolo Castadi mêlent les destins : celui qui accueille un jour peut devenir le réfugié de demain.

À Zarzis, ville côtière du sud-est de la Tunisie, des pêcheurs retrouvent enfin la mer, le calme succédant à une tempête. Tout à leur satisfaction de reprendre le travail, les trois hommes sont interrompus, confrontés à l’indicible. À quelques mètres de leur embarcation, cinq corps humains, sans vie, flottent à la surface de la mer. La Méditerranée a de nouveau prélevé sa dîme sur le destin des réfugiés. À plusieurs centaines de mètres de là, sur la plage, le jeune Abdoulaye erre. Le petit Guinéen s’approche de touristes qui se reposent sous un parasol. « Est-il en Italie, en Espagne ou en France ? », demande-t-il. Il n’a pas le temps d’entendre la réponse, le tenancier du bar le chasse. Puis, se ravisant, il appelle son cousin Chamesddine afin que celui-ci prenne en charge le garçon. Ce dernier est bénévole pour le Croissant-Rouge. Préoccupé par les exilés, il en prend soin. Soucieux de leur âme, il a même créé un cimetière destiné à accueillir les corps des anonymes qui ont péri en mer. Aussi généreux qu’il puisse être, l’homme a également ses soucis. Son épouse Moufida n’a qu’un objectif : obtenir un visa pour la France afin de rejoindre ses enfants qui, eux, ont eu le courage d’affronter la Méditerranée.

Liés par le destin
Le tour de force du scénario de Laurent Galandon est de rassembler en 160 pages les destins de nombreux protagonistes. Le dernier costume n’a pas de poche est un récit profondément humain, sensible, mais surtout collectif. Chamesddine et Abdulaye se retrouvent liés par la recherche d’Aya, la mère du petit garçon. Elle est arrivée en Tunisie quelques semaines avant lui, puis a disparu. Ce n’est pas tout ! Les auteurs nous content l’histoire de Nasser et Ali, l’ingénieur, qui deviennent passeurs par nécessité, celle d’Hasar et Faroug qui vivent chez leurs grands-parents, attendant patiemment de rejoindre leurs parents en France. Il y a encore le récit de Mabrouk, pêcheur qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Le salut de sa femme, atteinte d’un cancer, passe par des soins à l’étranger. La grande bleue est un fil discontinu et dangereux qui lie ces destins tourmentés.

Tout au long du récit, les Tunisiens sont profondément tiraillés. Il y a ceux qui restent et ceux qui partent. En musique de fond, il y a l’actualité internationale. À la radio, on y apprend le « traitement de faveur » réservé aux réfugiés ukrainiens alors que la Tunisie est abandonnée par l’Union Européenne. Quel sentiment d’injustice pour les habitants de Zarzis. Ils ne peuvent que compter et enterrer les cadavres qui échouent et s’accumulent sur la côte. Un décompte macabre qui « prend vie » dans le cimetière de Chamesddine.
Une terre en mouvement
Le trait semi-réaliste du dessinateur italien Paolo Castaldi oscille entre la douceur et la mélancolie. Le ton pastel plonge les lectrices et les lecteurs dans une forme de désespoir. Mais, dans chaque page subsiste une forme d’espoir. Une bulle d’empathie s’installe au fil des rencontres avec ces héros du quotidien. Paolo Castaldi révèle les visages qui incarnent le courage et la solidarité, mais reste pudique avec les traits de ceux qui entreprennent le périlleux voyage méditerranéen. On se retrouve solidaire d’une population tunisienne coincée par sa réalité : entre les migrants qui voyagent par la Petite perle du Maghreb et les locaux qui cherchent à la fuir. Entre les deux, les touristes se détendent. Les paysages de cartes postales du pays cachent une autre réalité, celle d’une contrée sans cesse en mouvement, une terre de transit.

L’album s’ouvre par le poignant poème de l’éco-artiste Mohsen Lihidheb intitulé Funérailles de brûleurs. Le texte raconte la découverte du corps sans vie d’une personne exilée. Le malheur est sonore, celui de la tête qui percute les rochers au gré du mouvement des vagues. Ces vers sont le premier point d’ancrage entre la fiction et la réalité. En effet, Laurent Galandon s’est inspiré de plusieurs personnages exisants pour construire son récit. Dans la BD, le poète s’appelle Moshen. Avec l’aide d’enfants, il installe des éco-constructions sur les plages de Zarsis. C’est effectivement le travail artistique du Mohsen de la réalité. Ensuite, il y a Chamesddine, découvert dans un documentaire consacré à ce quinquagénaire bénévole au Croissant-Rouge. L’histoire de ce personnage le fascine, Galandon décide de vivre 15 jours auprès de cet homme exceptionnel. Il tirera de cette expérience un récit poignant et incroyablement humanisé par le dessin du talentueux Paolo Castaldi.

Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album :
- Scénario : Laurent Galandon
- Dessin : Paolo Castaldi
- Couleurs : Paolo Castaldi et Cristina Cesana
- Éditeur : Futuropolis
- Date de sortie : Le 5 février 2025
- Pagination : 160 pages en couleurs