Un Putain de Salopard, tome 4 – Le rituel
L’automne 2024 voit deux séries du scénariste Régis Loisel trouver leur conclusion. Après la Quête de l’Oiseau du Temps, et son cycle Avant la Quête, chez Dargaud, c’est au tour de la saga amazonienne Un Putain de Salopard, éditée par Rue de Sèvres, de tirer sa révérence, avec un quatrième tome à la couverture énigmatique. Le troisième tome ayant laissé de nombreuses intrigues en suspens, comment Régis Loisel parviendra-t-il à tisser son récit afin d’offrir à chacun de ses personnages une fin satisfaisante ? Réponse dans 88 planches.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
Herman, mourant, met la main sur le Manchot et le contraint à le guider jusqu’à l’épave de l’avion où repose la dépouille de sa fille afin de mener le rituel de réunion et d’adieu. L’empathique Christelle et sa compagne Charlotte, plus récalcitrante, partent avec les malfrats. De leur côté, Max et Baïa, accompagnés par Régo, se mettent à la recherche du Manchot, seul capable de répondre à leurs questions quant à leur origine et leur possible parenté. Tous vont se retrouver réunis au cœur de la jungle pour une ultime confrontation.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
Des putains de personnages
Avec autant de protagonistes importants, des sous-intrigues qui se multipliaient tout au long des trois premiers tomes au gré des rebondissements et révélations, comme en atteste le très long résumé des épisodes précédents au début de l’album, difficile de clôturer tous les arcs en un tome. Mais Régis Loisel n’est pas le premier venu et, en vieux briscard du Neuvième Art, il démontre, une fois de plus, tout son talent pour tenir un récit sur les rails de la cohérence. On ne présente plus ce scénariste aux séries devenues des classiques de la bande-dessinée, tels Peter Pan, la Quête de l’Oiseau du Temps, Magasin Général, le Grand Mort, et tant d’autres. Que ce soit dans un registre fantastique ou réaliste, l’auteur a toujours su construire des personnages attachants et complexes.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
C’est encore le cas dans Un Putain de Salopard, où, à part le rôle-titre, chaque protagoniste possède une part d’ombre et une de lumière, qui en font des êtres consistants. Ainsi, Herman, méchant torturé mais père endeuillé est une grande réussite narrative. Baïa, quant à elle, rejoindra facilement la galerie de femmes fortes et sensibles à la fois de Régis Loisel. Charismatique, empathique, débrouillarde, tenace, elle est l’une des principales clés du récit. La jeune femme est à l’origine de péripéties par sa simple existence, elle en résout d’autres par son intelligence, et elle est également, et surtout, l’enjeu principal de l’arc du « héros » de la série, Max.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
Un putain de bordel organisé
Max, avec un statut de premier rôle qu’il ne parvient jamais à assumer, semble toujours trimballé d’une révélation à l’autre sans avoir le pouvoir d’agir sur le déroulé de sa propre histoire, et ce, jusqu’à une conclusion qui collera parfaitement à sa personnalité. Régis Loisel réussit l’exploit de trouver une fin à la fois cohérente et passionnante à tous ses acteurs, que ce soit dans leur vie amoureuse ou dans leur quête, comme celle d’Herman qui restera un des moments les plus poignants de la série.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
La conclusion des intrigues des personnages passe par de nombreux rebondissements. Bien que ceux-ci bouleversent régulièrement la série et ses enjeux, Régis Loisel parvient à les rendre logiques, évitant toute facilité scénaristique. Chaque twist, chaque révélation a ses causes et ses conséquences qui sont décrites ou évoquées dans le récit, sans jamais alourdir la narration ou son rythme. Car ça va vite, très vite, dans Un Putain de Salopard. Malgré les fréquentes scènes d’exposition ou de souvenirs, et le nombre élevé d’intrigues, l’ennui n’est jamais au rendez-vous, et ce quatrième tome, à l’image de l’ensemble de la série, n’a pas de ventre mou. Les scènes s’enchaînent avec fluidité, passant d’un groupe de personnages à l’autre sans jamais perdre le fil.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
Des putains de gueules cassées
La valeur des personnages de la saga doit aussi beaucoup à la qualité du dessin d’Olivier Pont. Si le titre de la série peut rappeler certains bons mots de Michel Audiard, c’est également la promesse d’une galerie de bonnes tronches. Et le résultat en est largement à la hauteur : des « gueules de l’emploi » des truands, à commencer par celle, complètement dingue, du Manchot, au charisme des jeunes femmes fortes, en passant par la bonne bouille de Régo ou le véritable soleil qu’est Margarida. Même les figurants ont bénéficié d’un réel soin. Sans parler de la poignante Isabel, fantôme éthéré, sans pied mais au visage si expressif, et qui traverse les planches de toute sa mélancolie…

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
L’expérience dans la réalisation de courts métrages d’Olivier Pont transparaît beaucoup dans la mise en scène d’Un Putain de Salopard. Utilisant le décor et la lumière à merveille, avec un sens du cadrage hyper efficace, ce quatrième tome, comme les précédents, possède des plans iconiques, oppressants et menaçants ou, au contraire, contemplatifs et sereins. Les couleurs de François Lapierre, camarade de longue date de Régis Loisel, participent pour beaucoup à la réussite des ambiances de la saga, de la nature luxuriante de la jungle à la moiteur évidente du climat. Son travail sur les nombreuses scènes nocturnes est également à souligner tant celles-ci sont lisibles et immersives.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
Si Un Putain de Salopard ne sera sans doute jamais la série référence de Régis Loisel, par son côté un peu fou dans un cadre réaliste, et l’absence de figures aussi marquantes que pouvaient l’être Bragon et Pélisse, Peter et Clochette ou encore Marie et Serge, elle en restera, peut-être, l’une des plus intelligemment construites. Ce quatrième et dernier épisode en est l’aboutissement parfait. Servi par le dessin riche et expressif d’Olivier Pont et les couleurs toujours justes de François Lapierre, la fresque amazonienne se clôt d’une manière plus que satisfaisante pour l’ensemble de ses personnages, ce qui est un petit exploit au vu de la multitudes d’intrigues qui s’entremêlent dans un récit, finalement, d’une simplicité radicale.

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard
Informations sur l’album :
- Scénario : Régis Loisel
- Dessin : Olivier Pont
- Couleurs : François Lapierre
- Éditeur : Rue de Sèvres
- Date de sortie : Le 20 novembre 2024
- Pagination : 96 pages en couleurs

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024

© Un Putain de Salopard, tome 4 – Régis Loisel, Olivier Pont, François Lapierre – Rue de Sèvres, 2024